La demande populaire d’ordre : un enjeu électoral majeur.

lundi 12 août 2019.
 

Le débat électoral ne se réduit pas au partage des richesses, à la lutte contre la précarité et les inégalités.

L’une des clés explicatives de la victoire de M. Sarkozy en 2007 et du score relativement élevé de Mme Le Pen dans les sondages est la récupération, dans leurs discours politiques, de la demande d’ordre des catégories populaires. N.Sarkozy a su surfer sur la crise de l’autorité, stratégie qui à été peu relevée par les observateurs.

Il est donc nécessaire d’analyser finement ce que l’on entend par demande d’ordre, demande qui ne se superpose pas totalement à celle de demande de sécurité et qui ne signifie pas forcément repli sur soi. Dans mon étude sur la stratégie de conquête du Front National, j’avais insisté longuement sur cet aspect de l’ordre. Dans la deuxième partie, paragraphe IV -L’idéologie du Front National, j’avais indiqué que : "1- La notion d’ordre est tout à fait centrale dans le réseau idéologico - conceptuel de tout mouvement d’extrême droite." Je rappelle les parties : A- L’ordre selon le Front National (j’avais identifié 11 marqueurs) B - Réceptivité de la notion d’ordre dans la population. C - Critique de la conception de l’ordre développé par le Front National où j’avais indiqué la nécessité absolue pour la gauche de faire une critique radicale de cette représentation de l’ordre par le FN notamment en invoquant au sous paragraphe 3 - L’ordre social de classes générateur de désordre ignoré par le FN.

J’avais fait aussi remarquer que le fonctionnement même du Front National ne donnait pas l’image de l’ordre, de la discipline, si l’on examinait plus précisément son histoire, mais renvoyait plutôt l’image d’un désordre chronique lié à des conflits internes. (Voir la multiplicité des scissions et départs d’un certain nombre de leurs cadres depuis 1998 et qui ont formé plusieurs micro-partis concurrents du FN). Cet aspect est bien entendu passer sous silence dans les médias. Je rappelle donc le lien de mon article : http://www.gauchemip.org/spip.php?a...

Or il se trouve que le webzine "Délits d’opinion", spécialisé dans l’étude critique et sociologique des sondages, vient de publier un texte fort intéressant sur la demande d’ordre des catégories populaires. Nous en reproduisons in extenso ici le texte.

Il s’adresse au parti socialiste mais en réalité, il pourrait aussi s’adresser, certes dans une moindre mesure, au Front de gauche.

Jean-Luc Mélenchon a enfin fait émerger sur la scène politique la voix haute, claire, puissante et colorée d’une gauche qui renoue avec la meilleure tradition jaurésienne.

Cette voix n’est pas celle de l’esquive, du retrait, de la révérence, de la connivence mais celle de l’offensive frontale argumentée contre les thèmes et les thèses développés par une droite aux abois qui aboie.

En fustigeant les fraudeurs fiscaux, menaçant de les poursuivre fiscalement dans leurs niches à l’étranger, Mélenchon renvoie une image non seulement d’une exigence de justice sociale et d’honnêteté mais aussi d’un ordre juridique sans passe-droit. Même idée lorsqu’on l’interroge sur la délinquance et quand il affirme qu’il ne faut pas seulement prévenir, éduquer mais aussi punir. Mieux, il ne suffit pas de s’acharner à poursuivre les voleurs de mobylettes et les petits dealers, mais il faut aussi s’attaquer aux réseaux, à leurs têtes et détruire les paradis fiscaux où se blanchit l’argent sale. A coup sûr, avec de tels propos, il répond à cette demande populaire d’ordre.

Mais il me semble que ses interventions devraient être encore plus offensives sur ce terrain et qu’il faudrait démontrer que tous les discours de la droite sur l’ordre ne sont que du bla-bla, et il faudrait aussi et surtout démontrer que les fauteurs de désordre, ce sont eux ! Ce sont eux qui suscitent la haine et la division entre les gens pouvant conduire à la violence, ce sont eux qui défendent un système économique générateur de souffrance sociale et de désordres multiples dont l’énumération serait interminable.

Agiter l’étendard du désordre avec les standards bien rôdés du genre à l’encontre de leurs adversaires politiques fait partie du petit livre, aux pages jaunies, de cuisine électorale de la droite. Dernier slogan en cours qui circule de bouche en bouche et , sans entracte, de tract en tract : le PS au pouvoir, c’est immédiatement la ruine de la France ! Rien que ça ! On peut alors imaginer que le Front de gauche au pouvoir, c’est le désordre généralisé, un tsunami submergent la France : la ruine + l’ensevelissement.

Les responsables de la droite savent parfaitement qu’un changement de politique remettant en cause certains privilèges des décideurs économiques et financiers fait peur aux hésitants.

Bon nombre d’électeurs de droite partagent les idées proposées par François Hollande, mais craignant un désordre économique, préfèrent garder Sarkozy ou voter François Bayrou.

D’une manière analogue, un certain nombre d’électeurs se reconnaissent dans les propositions de Jean-Luc Mélenchon mais, par crainte du désordre économique, pensent-t-ils, provoqués la sortie du cadre du système (de Lisbonne, entre autres), se résignent à voter François Hollande.

Considérons une frange de l’électorat qui majoritairement vote à droite : les électeurs catholiques, notamment les pratiquants. Comment expliquer que ces citoyens dont les valeurs chrétiennes fondamentales reposent sur le partage, sur l’égalité ontologique entre les hommes ( tous les hommes sont de même nature : ce sont tous des créatures de Dieu) votent pour un parti au service des plus riches et qui contribue par sa politique à accroître les inégalités ? La réponse a donnée par la sociologie et l’anthropologie politique : c’est le désir d’ordre, de stabilité. Pour eux, un Mélenchon remet en cause l’ordre établi et de ce fait leur fait peur.

On voit combien la peur du désordre est exploitée à fond par la droite.

Il ne faut donc pas sous-estimer cette demande d’ordre couplée à une peur du désordre.

C’est à la gauche et particulièrement au Front de gauche de trouver les arguments politiques clairs, adaptés et percutants pour expliquer que c’est plutôt la droite qui provoque un désordre et une instabilité non seulement économique et financière mais aussi morale en faisant vivre dans l’incertitude du lendemain des millions de personnes. Le désordre : c’est eux !

Au contraire, la société du partage et de l’Humain d’abord, fondée sur la planification écologique, proposée par le Front de gauche correspond à un ordre social, économique et moral beaucoup plus stable et satisfaisant aux besoins humains.

Voici le texte Le parti socialiste et la demande d’ordre des catégories populaires : le grand malentendu

Auteur :Xavier Bouvet. Le14 mars 2012. Flagrant Délits d’Opinion Site : Délits d’Opinion : http://www.delitsdopinion.com URL de l’article : http://www.delitsdopinion.com/theme...

Que les catégories populaires soient les catégories les plus en demande « d’ordre », voilà un premier constat qui n’est ni neuf, ni polémique. Entendons par ordre, le sentiment d’une certaine stabilité, d’une sécurité (des personnes, de l’emploi, de l’épargne) assurée par une autorité légitime et active. Jérôme Fourquet et Gilles Finchelstein ont tous deux dressé très récemment des radiographies complètes de cette France populaire en quête de « sécurisation », et ce en net contraste avec les segments plus favorisés de la population. Quand les cadres supérieurs font de l’ordre le cadet de leurs soucis, loin derrière la tolérance, la solidarité et même l’innovation, les ouvriers et les employés la rangent au premier rang de leurs préoccupations (Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès).

Deuxième constat : face à cette demande d’ordre, la gauche, et très précisément le Parti Socialiste, a toujours pris ses distances. Obstinément attaché « au corpus libertaire des années 60 et 70″ (Laurent Baumel, François Kalfon) le Parti Socialiste a développé un discours centré sur la libéralisation des mœurs, l’attention à l’épanouissement individuelle, en évacuant largement les questions relatives à l’ordre et la sécurité, entendu comme répression et contrainte. Une grille de lecture classique se dégage de ces deux constats : le PS a privilégié l’horizontalité (d’individu à individu, de communauté à communauté) , là où les catégories populaires réclament plutôt une certaine verticalité dans le discours et les actions politiques : une autorité en surplomb qui fixe des normes, un cadre.

Si l’on excepte la courte incursion de Ségolène Royal sur ce terrain en 2007, avec un Ordre Juste beaucoup trop sous-estimé dans sa valeur politique, le Parti Socialiste de 2012 n’a rien de très différent du PS de 2002 -celui-là même qui avait pêché par « naïveté » en matière de sécurité.

Intégrer la demande d’ordre « pour reconquérir l’électorat populaire » Le Parti Socialiste ne peut remporter l’élection s’il n’intègre pas à son corps doctrinal cette approche verticale. Il le sait, l’ordre public est l’un des facteurs de l’Equation gagnante.

Il est pourtant plusieurs verrous à la libération de cet « ordre » de gauche.

Le premier est idéologique, il est inutile de s’y attarder ici.

- C’est une bataille de la pensée, qui consiste à admettre que face aux désordres de l’économie et de la société, fauteurs de troubles et d’injustices, il est un espace pour un ordre politique, créateur de repères et de bien-être individuel. « La demande d’ordre dans la sphère public n’est nullement incompatible avec la demande de liberté dans la sphère privée » (Etienne Schweisguth, le trompe-l’oeil de la droitisation), bien au contraire.

C’est le chemin pris par Arnaud Montebourg, et dans un autre registre, par Jean-Luc Mélenchon.

La France « de l’Ordre » n’est pas réductible à la France « fermée ».

- L’autre verrou, et c’est celui qui nous intéresse, est un verrou analytique. Toute une frange d’observateurs politiques et de politologues ne voit pas cette « France de l’Ordre », et a fortiori ne la comprend pas, parce que cette France est ramenée sans distinction à la « France fermée ». Deux clivages sont gaiement superposés, au risque de la caricature.

- La France ouverte (tolérante, généreuse, éduquée) est ipso facto « horizontale », préoccupée de libéralisation des mœurs et d’épanouissement individuel ;

- La France de l’ordre, verticale, est elle mécaniquement « fermée » (repliée sur elle-même, passablement xénophobe, culturellement frustre). C’est mêler deux grilles de lecture complémentaires mais distinctes ; le clivage ouvert/fermé qualifie le rapport à l’autre, à l’inconnu, là où le clivage horizontal/vertical qualifiera plutôt le rapport à la transcendance politique, à la hiérarchie.

Les deux ne vont pas de pair.

Le conservatisme culturel n’est pas consubstantielle à la demande d’ordre. Tout au plus peut on supposer que parfois, le premier sert de prétexte à la seconde.

Comme l’écrit Jérôme Fourquet : « entendre la demande de protection des milieux populaires comme une revendication de l’idéologie du protectionnisme et du repli sur soi relève de la confusion intellectuelle », de même que « l’assimilation entre demande de sécurisation et idéologie sécuritaire ».

Symptôme de cette confusion des esprits, le rapport de Terra Nova « Quelle majorité électorale pour 2012 ». Les auteurs n’ont pas hésité à assimiler dans un même mouvement classe ouvrière et pensée réactionnaire.

« Liberté sexuelle, contraception et avortement, remise en cause de la famille traditionnelle… : la classe ouvrière n’est pas une fervente partisane de la libération des moeurs à laquelle s’est ralliée la gauche politique.

Un peu plus loin, la demande d’ordre de la « classe ouvrière » est aussitôt réduite à une demande d’ordre moral, et de protection contre l’étranger. « le déclin de la classe ouvrière – la montée du chômage, la précarisation, la fragmentation sociale et la perte d’identité collective – donne lieu à des réactions de repli. La fierté ouvrière laisse place au développement d’un ressentiment contre de possibles nouveaux entrants. La lutte contre l’immigration – et les immigrés -, la lutte contre l’assistanat – et les assistés –, la promotion d’une société « morale », dotée de normes fortes, où l’on se protège des marges, ont alors trouvé dans la classe ouvrière un terrain de jeu favorable. » C’est ainsi que l’on occulte la demande d’ordre : en l’assimilant à la frustration et au rejet de l’autre.

De nombreux politologues ont inventé un champ lexical voisin, dont l’effet d’occultation est identique. « Exclus », « dominés », « silencieux » : ces appellations là (dans lesquelles ne se reconnaitraient pas volontiers les premiers intéressés) dessinent une France in et une France out. La France installée et la France enfermée dehors. Ce champ lexical-là est tout aussi impuissant à rendre compte des aspirations des catégories populaires, parce qu’il les expulse. La demande d’ordre qu’ils expriment est regardée comme étrangère à la démocratie installée.

Le Parti Socialiste a tout intérêt à sortir de cette confusion : il en est la première victime électorale. Pascal Perrineau nous le déclarait lors du deuxième Zinc de Délits d’Opinion : « le vainqueur de l’élection présidentielle sera celui qui sera parvenu à satisfaire la demande d’ordre des catégories les plus populaires ». Fin du texte de Xavier Bouvet

Hervé Debonrivage


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