Mélenchon à la chasse aux riches fraudeurs

jeudi 15 mars 2012.
 

Tandis que la polémique enfle autour de l’exil fiscal des grandes fortunes que susciteraient les mesures de la gauche pour les taxer davantage, le candidat du Front de gauche a mis les pieds dans le plat, mardi à Rouen, en dévoilant les noms d’une dizaine d’exilés dorés en Suisse. état des lieux.

Faut-il y voir un lien de cause à effet  ? En tout cas, la coïncidence est troublante. Au lancement de sa campagne, la proposition du Front de gauche de faire payer les riches qui ne contribuent pas assez à la solidarité nationale s’attirait, au mieux, les sourires condescendants de ses adversaires. Maintenant que les sondages attestent de la popularité grandissante de son candidat, l’idée est reprise. Ou conspuée. Plus un jour ne passe sans que l’on tombe sur des articles relayant le lamento des riches qui seraient matraqués d’impôts. Au point de les contraindre à l’exil.

C’est le Figaro qui a tiré le premier, comme s’il avait senti le vent tourner  : « Fiscalité  : ces Français qui choisissent l’exil », titrait-il en pleine une le 24 février, avant même la proposition surprise de François Hollande d’imposer la partie des revenus supérieurs à un million d’euros annuels à 75%. Le quotidien précisant  : « Ce mouvement s’accélère à l’approche de l’élection présidentielle. »

L’échec du bouclier fiscal

Peu après, le reste de la presse lui a emboîté le pas. « L’exil des riches a commencé », titrait ainsi le Journal du dimanche, le 4 mars, faisant le lien avec « la surtaxe Hollande (qui) ne laisse personne différent ». Mauvaise pioche  : en fait, cet exil n’a jamais cessé. Même durant le quinquennat Sarkozy et son bouclier fiscal qui a limité les impôts directs à 50% des revenus, impôts locaux, CSG, CRDS et impôt de solidarité sur la fortune (ISF) compris. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, avec un solde négatif entre le nombre de rapatriements et le nombre de départs des assujettis à l’ISF en France qui s’est creusé ces dernières années  : de 350 « exils » en moyenne entre 2000 et 2005, on est passé à 719 en 2007, puis 821 en 2008, contre respectivement 246 et 327 retours ces deux années-là. Pour un coût qui, lui, est allé en augmentant, de 563 millions d’euros en 2008 à environ 700 millions en 2010, sans contrepartie ni retombée positive d’aucune sorte. Et la prétendue liste de 3 000 fraudeurs au fisc dont Éric Woerth, ministre du Budget, avait menacé de rendre publique, en août 2009, si les intéressés ne négociaient pas leur régularisation, s’est révélée n’être qu’un pétard mouillé.

Mais c’est à Rouen, mardi, que Jean-Luc Mélenchon a véritablement mis les pieds dans le plat en révélant les noms de plusieurs exilés fiscaux en Suisse parmi les plus riches du pays  : les familles Wertheimer (propriétaires de Chanel, dont la fortune est estimée entre 3,2 et 4 milliards d’euros), Castel (eaux minérales Thonon, Saint-Yorre, Vichy Célestin, bières 33 Export  ; de 3,2 à 4 milliards d’euros de patrimoine), Peugeot (PSA, de 1,2 à 1,6 milliard), Lescure (Seb, Tefal, Calor  ; de 1,2 à 1,6 milliard), Bich (Bic, de 1,2 à 1,6 milliard), Defforey et Fournier (Carrefour, de 650 à 730 millions d’euros). Pour le candidat, ces privilèges doivent prendre fin  : « Tous les citoyens français qui votent, où qu’ils soient dans le monde, participeront à l’impôt en France », a-t-il lancé, en détaillant plusieurs propositions du Front de gauche pour y parvenir, comme la mise en place d’une « taxation différentielle » ou l’interdiction pour « toute personne qui ne veut pas être imposée, domiciliée fiscalement en France » d’« exercer une responsabilité exécutive dans une entreprise française ».

Tous ces contribuables en fuite n’ont pas attendu les propositions de la gauche pour s’exiler, pas plus qu’ils n’ont été convaincus par le bouclier fiscal de se réinstaller en France. Ainsi, Paul Dubrule, ancien maire de Fontainebleau de 1992 à 2001, sénateur UMP de la Seine-et-Marne de 1999 à 2004, et président du groupe de surveillance du groupe hôtelier Accor, cité par Jean-Luc Mélenchon mardi soir, s’est-il expatrié à Genève dès 2006, économisant 2,3 millions d’euros d’impôts durant les quatre années suivantes, apprend-on en consultant le site de Public Sénat du 20 mai 2010, pour une fortune estimée entre 80 et 160 millions d’euros. Bel exemple de patriotisme économique de la part d’un ancien élu  !

Un devoir vis-à-vis de la société

Bien sûr, le candidat en est conscient, faire de la publicité aux noms de « ces déserteurs fiscaux qui refusent de contribuer à l’effort commun » l’expose aux pires accusations de « la bonne société ». Il s’agirait pourtant d’un mauvais procès, car cette liste n’a rien de confidentiel  : après vérifications, elle est en fait extraite de la liste des 300 plus riches de Suisse en 2011 de la revue économique helvétique Bilan. Y figurent les noms de 44 Français, individus ou familles, dont les huit cités par Jean-Luc Mélenchon, et cumulant un patrimoine de 30 milliards d’euros. Au point de se demander si l’anomalie n’est pas du côté des candidats qui ne parlent jamais des moyens de remédier à ce scandale alors que les propositions pleuvent pour rappeler aux chômeurs et aux immigrés leurs « devoirs » vis-à-vis de la société…

Sébastien Crépel, L’Humanité


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