Butin de guerre, le pétrole irakien aux multinationales USA

jeudi 3 mai 2018.
 

"En glissant silencieusement dans la nuit du Golfe Persique, les Navy Seals - écrivait un reporter excité du New York Times le 23 mars 2003 - ont occupé des terminus pétroliers off shore par une série d’attaques hardies achevées ce matin à l’aube et sont arrivés à s’imposer aux armes légères des gardes irakiens, obtenant une victoire sans effusion de sang dans la bataille pour le vaste empire pétrolier de l’Irak".

Cette victoire fut immédiatement suivie, comme les plans détaillés du Pentagone l’avaient programmé, de l’occupation des principales installations pétrolières du pays et de celle, à Bagdad, du Ministère du Pétrole, très bien gardé par les troupes USA tandis que les mêmes militaires américains ouvraient les portes des autres ministères et en abattaient les murs pour inviter la foule à mettre à sac l’histoire et la mémoire de l’Irak.

Dans les prochains jours, peut-être dans les prochaines heures, selon ce qu’a écrit dimanche l’hebdomadaire britannique "The Independent on Sunday", l’Administration Bush et le cartel des principales compagnies pétrolières seraient en passe de mettre définitivement les mains sur le pétrole de ce que Paul Wolfowitz définit comme "un pays qui navigue sur le pétrole". Un pays considéré comme le troisième au monde pour les réserves pétrolifères, après l’Arabie Saoudite et l’Iran, mais qui pourrait être en réalité le deuxième, sinon le premier. Officiellement, l’Irak a des réserves de 115 milliards de barils de pétrole, 10% du total mondial, mais en réalité dans le désert occidental il y aurait des quantités de pétrole encore inconnues. Il s’agit d’un pétrole de très bonne qualité et très facile à extraire, à tel point que dans certaines zones les autorités ont dû jeter des coulées de béton pour éviter que les citoyens, en creusant, fassent jaillir l’or noir du sol. Un pétrole, donc, dont l’extraction coûte très peu.

Ce jardin des délices pour les pétroliers, plus de trente ans après la nationalisation du pétrole menée à bien par le président de l’époque Hassan al Bakr et par le vice président Saddam Hussein en 1972, sera bientôt à nouveau prêt pour être exploité à des conditions très favorables par les grandes multinationales comme la BP et la SHELL britanniques et les américaines EXXON et CHEVRON. Et, le cas échéant, les compagnies USA pourraient laisser quelques miettes, concernant les gisements de Nassiriya, à l’ENI. Quelque chose de très différent de ce qui aurait pu arriver si Enrico Mattei n’avait pas été tué avec son avion le 26 octobre 1962 dans les environs de Linate. Quelques jours plus tard, le président de l’ENI aurait dû parfaire un accord avec le gouvernement irakien d’Abdel Karim Kassem qui avait annoncé le 30 septembre la formation de la Régie Nationale Irakienne pour le pétrole, pour la production annuelle de 20 millions de tonnes de pétrole. Un véritable défi aux sept sœurs.

La nouvelle loi qui sera discutée par le gouvernement de Bagdad proaméricain et pro-iranien sorti des élections mascarade de l’année dernière, se détache totalement des lois normalement appliquées dans la région et dans les pays en voie de développement, car elle permet aux sociétés pétrolières, sous un système appelé « Production-Sharing Agreements » , ou Psa, de s’approprier 75% des profits tant qu’ elles n’auront pas récupéré les coûts soutenus, pour descendre ensuite, si jamais ce jour arrive, à 20%. Exactement le double de ce que le gouvernement de Saddam Hussein avait offert dans le passé à TOTAL, à la veille de la deuxième guerre du Golfe, pour le développement d’un grand gisement pétrolier et de ce qui est pratiqué normalement. De plus, les contrats auront une durée de 30 ans et si un gouvernement irakien devait changer d’idée à l’avenir, il y aura toujours les marines pour lui rappeler ses devoirs.

Il s’agit pour cela d’un accord qui sera difficilement accepté par le peuple irakien. Les accords de Psa laissent la propriété des gisements au pays qui reçoit mais octroient une grande partie des profits aux sociétés qui ont investi dans les infrastructures et dans la gestion des puits, des oléoducs et des raffineries et pour cette raison la nouvelle loi irakienne serait la première de ce type jamais adoptée par un grand pays producteur de pétrole de la région. Sans compter que, en cas de controverses entre l’Etat irakien et les sociétés pétrolières, la souveraineté irakienne n’aura aucune valeur et les parties devront faire recours à un arbitrage international. En outre les sociétés pétrolières, selon le document obtenu par l’Independent, pourront exporter librement leurs profits sans aucune condition et ce faisant elles ne seront soumises à aucune taxe.

Au contraire, aussi bien l’Arabie Saoudite que l’Iran - tout comme l’Irak de 1972 à aujourd’hui - contrôlent tous les deux le pétrole par des sociétés publiques où il n’y a aucun espace pour les compagnies étrangères, de même que la plupart des pays adhérant à l’OPEC. La loi représenterait donc une sorte de précédent dangereux pour l’Organisation des pays exportateurs, visés depuis toujours par les « néo cons » selon lesquels la guerre et l’occupation de l’Irak auraient dû servir à désagréger les pays arabes, l’Irak avant tout, la Syrie ensuite et enfin l’Arabie Saoudite et les pays musulmans comme l’Iran, tant pour laisser le champ libre à Israël que pour asséner le coup définitif à l’OPEC.

Et justement dans ce but la constitution provisoire de l’Irak, écrite par les experts USA, ouvre la voie à la division du pays en trois « patries ethniques » une kurde, l’autre sunnite et la troisième chiite, qui gèreront d’une façon autonome l’exploitation des nouveaux puits pétroliers en ne laissant au gouvernement central qu’un pourcentage des revenus dérivant des gisements déjà en cours d’exploitation. Cela ne signifiera pas seulement un conflit permanent entre les trois entités, dont chacune peut être facilement faire l’objet de chantage de la part des multinationales, mais représentera aussi la fin d’un rôle prééminent du gouvernement central et donc de n’importe quelle forme de « welfare » et d’intervention de l’Etat dans l’économie.

La loi qui légalise le vol des ressources irakiennes n’a pas été rédigée, comme on pourrait le penser, par le gouvernement irakien, mais par la BearingPoint, une société américaine embauchée par le gouvernement américain pour « conseiller » les autorités de Bagdad par un représentant fixe à l’ambassade Usa dans la « zone verte ». En juin 2003, la BearingPoint reçut un contrat pour « faciliter la reprise économique irakienne » auquel s’ajoutèrent une série de tâches délicates : Rédiger le budget irakien,

Réécrire la loi sur les investissements, organiser la collecte des taxes, rédiger les nouvelles règles libérales pour le commerce et les douanes, privatiser les entreprises irakiennes, mettre fin à la distribution de produits alimentaires à des prix politiques, créer une nouvelle devise et fixer les taux de change. Une fois perfectionnée, la loi sur le pétrole a été présentée au gouvernement Usa, aux sociétés pétrolières et, en septembre, au Fond Monétaire International. Plusieurs députés irakiens n’en savent encore rien.

de Stefano Chiarini


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