Crise au FN : Quand Jean-Marie Le Pen dit tout haut ce que tout le FN pense tout bas… et désapprouve aussi sa fille publiquement !

dimanche 1er avril 2018.
 

Vous souvenez-vous de cet absurde slogan du FN des années 90 : « le FN dit tout haut ce que les français pensent tout bas ! » ? Je m’amuse à le détourner pour donner un titre à ce billet. Que se passe-t-il ? J’ai l’intuition que le vent tourne et, selon moi, c’est la crise au Front national. Je suis convaincu que jeudi soir, lors de la confrontation de Marine Le Pen face à Jean-Luc Mélenchon, où la présidente du Fn fut ridiculisée, nous avons marqué un point très important qui va impacter toute cette campagne présidentielle. La « Marine de guerre » a pris une torpille Front de gauche sous la ligne de flottaison. Depuis, au FN, ils écopent pour ne pas couler. Alors, ils rappellent les vieilles troupes. C’est pourquoi Jean-Marie Le Pen est de retour, attiré par l’odeur de poudre et aussi pour colmater les brèches.

Je demande à chacun de bien mesurer ce qui est en train d’avoir lieu et de l’observer avec attention. Un nouveau cycle s’ouvre, ou du moins une parenthèse pourrait se fermer. Toute l’entreprise sournoise de Marine Le Pen engagée depuis le 16 janvier 2011 où elle a officiellement remplacé son père à la présidence du FN est en train de s’effondrer. La pseudo « dédiabolisation » dont on nous a tant rabattu les oreilles vole en éclat. Le vieux chef, fondateur et encore président d’honneur, reprend la main et veut faire entendre la vraie nature du Front national : la sienne. Délectons nous de ce que Charles de Gaulle aurait nommé : "La discorde chez l’ennemi".

Le voilà qui refait la tournée de toutes les rédactions pour s’exprimer. Mesurant le choc qu’ils ont subi jeudi soir, il semble dire : les enfantillages ça suffit. Dimanche, il était l’invité de Radio France Politique et voici ce qu’il a dit : « Je trouve scandaleux qu’un voyou comme Jean Luc Mélenchon se croit autorisé à prendre à partie une femme (Journaliste : Candidate tout de même !) Oui, candidate c’est vrai. Marine le Pen pour des raisons que je respecte n’a pas voulu débattre avec Jean-Luc Mélenchon. Moi je ne suis pas Marine le Pen et j’offre un débat un débat à Jean-Luc Mélenchon, je vais lui retirer son caleçon et je vais montrer ce qu’il est : le candidat des communistes qui ont du sang sur les mains et jusqu’au coude. Voilà ce qu’est Jean-Luc Mélenchon. »

Je m’arrête un instant sur ce passage très révélateur. D’abord, Jean-Luc n’a pas pris à partie une femme (on mesurera d’ailleurs le machisme latent de cette idée considérant que la femme est faible par nature et ne peut se défendre seule face à un homme) mais une candidate d’un parti d’extrême droite. Le Pen devrait d’ailleurs en rabattre sur ce point, car en matière de violence physique contre les femmes il s’est déjà illustré lamentablement. Lui, c’est à coup de poing dans le ventre qu’il a agressé une élue socialiste sur le marché de Mantes-La-Jolie dans les Yvelines en mai 1997. Cela avait valu trois jours d’interruption de travail à la victime et c’est la police qui avait dû s’interposer pour stopper la violence du président du FN. Il fut d’ailleurs me semble-t-il condamné par la justice pour cela. A cette occasion, devant les caméras, il avait également traité de « pédé » l’un de ses opposants. Ce fut une nouvelle illustration que décidément, le concernant, le style c’est l’homme.

Deuxièmement, Jean-Marie Le Pen propose un débat à Jean-Luc Mélenchon. Excellent. Cette volte-face est la démonstration éclatante que de son point de vue, sa fille a fait une erreur jeudi soir. Il a mesuré que son comportement était absurde et très contre-productif. Dois-je rappeler que la veille, j’avais moi-même débattu au Téléphone Sonne (France Inter) avec un porte-parole du FN, et mon ami François Delapierre, notre Directeur de campagne, avait fait de même sur Public Sénat. Le matin même de l’émission de France 2, Martine Billard, présidente du PG, débattait encore face à Louis Aliot vice-président du FN. Où était donc la cohérence de la part de Marine Le Pen ? Nulle part, ne cherchez pas.

Troisièmement, revoilà le FN et son anticommunisme primaire à front de bœuf. Je ris aux éclats devant tant de sottises. Laissons la peur du rouge aux bêtes à cornes. Voilà bien longtemps que le PCF a condamné le stalinisme et a fait le bilan critique de son histoire. De plus, ne pas voir que l’existence même du Front de gauche, composé de sept formations, désignant un candidat qui fut toujours un opposant à l’horreur stalinienne, en est une éclatante démonstration, est symptomatique. Cet aveuglement est une funeste erreur qui coûtera cher au leader de l’extrême droite française.

Enfin, je m’interroge sur la jubilation manifeste de Jean-Marie Le Pen à « retirer son caleçon » à Jean-Luc Mélenchon. Sa fille voyait déjà en Jean-Luc un « petit garçon » et le père veut maintenant lui mettre les fesses à nue… Etrange et inquiétant. Bah... N’allons pas plus loin. Je laisse les psychanalystes décrypter de telles expressions. Mais, manifestement, cela ne tourne pas bien rond dans leurs têtes.

Que Le Pen se rassure. Au Front de gauche, nous ne craignons personne, et surtout pas lui. Sa proposition va être étudiée avec sérieux et nous allons faire le point avec Jean-Luc dans les jours qui viennent. C’est ce dernier qui décidera tranquillement, car il ne s’agit pas non plus de faire n’importe quoi. Mais, la baderne xénophobe ne sera pas déçue, croyez moi.

Au comble de l’excitation, il a rajouté : « Prendre une candidate par rapport à ce qu’a dit son père c’est des méthodes de voyou. Je l’attends en débat, on va voir, on déballe tout : le trotskysme, le sénat, le socialisme, le communisme, tout, on va pouvoir parler librement et éclairer les gens sur Mélenchon, les gens ne savent pas très bien qui c’est comme Brasillach d’ailleurs. » Hé, hé… Parlons en, oui, pourquoi pas. Et devant tous les français qui jugeront. Nous n’avons pour notre part à rougir de rien (si je puis me permettre l’expression) de l’histoire glorieuse, et même parfois tragique, du long combat de la gauche pour l’émancipation humaine.

Alors à propos de Robert Brasillach…Peut nous importe dans cette affaire que cela était dit par le papa de la candidate. L’apologie d’un antisémite est toujours abjecte. Nous condamnons par principe fermement ses déclarations comme président d’honneur du FN, rendant hommage à un violent antisémite collaborateur sous les applaudissements nourris de la salle, dont ceux de la candidate, qui s’avère être sa fille. C’est donc un acte politique public qui n’a rien à voir avec les liens familiaux qui les unissent.

Et Brasillach ? Oui, parlons en à nouveau, c’est nécessaire puisque Le Pen assume et de quelle façon. Il a même osé dire dans la vidéo de son « Journal de bord » que Brasillach n’était, après tout, qu’un « jeune journaliste de 34 ans, fusillé à la Libération pour ses articles. Ce qui devrait lui valoir une certaine compréhension de la part de ses collègues. Après tout « Pauvre moi, qui pourrait être à sa place » pourraient-ils se dire ! ». Incroyable, il demande en quelque sorte une solidarité de corporation de la part des journalistes pour défendre un tel ignoble personnage. Est-il sain d’esprit ? Mais pour nous, c’est cette nouvelle banalisation de la collaboration avec le nazisme qui est abjecte. Faut-il le rappeler ? Un brûlot antisémite n’est pas un journal, c’est un torchon. Celui qui écrit dedans, n’est pas un journaliste, mais une ordure. L’antisémitisme n’est pas une opinion, mais un délit.

Chacun doit donc comprendre ce qui se joue ici. Pour cela, je dois prendre le temps d’un petit rappel historique. J’en ai déjà parlé sur ce blog. Robert Brasillach fut le Rédacteur en chef de « Je suis partout » le principal hebdomadaire antisémite (tiré à plus de 250 000 exemplaires) et collaborateur pendant l’occupation allemande. Chaque semaine, les caricatures antisémites faisaient la une de ce torchon et Brasillach a soutenu les rafles contre les juifs de France, demandant que l’on n’épargne pas les enfants. L’horreur était au bout de son stylo.

Pour avoir à ce point joué un rôle majeur dans le crime antisémite, Brasillach fut condamné à mort et fusillé le 6 février 1945. Certes, cette condamnation entraîna quelques prises de position d’intellectuels engagés dans la Résistance (comme Simone de Beauvoir, François Mauriac..) opposés à la peine de mort, qui demandèrent avec dignité à De Gaulle de l’épargner. C’est tout à leur honneur, mais cela n’innocente pas pour autant cet infâme collabo. Si j’avais vécu en ces temps, j’ignore ce que j’aurais fait car, comme toute conscience de gauche, je suis un opposant à la sentence suprême, même quand il s’agit d’ordure comme Brasillach. Mais, ici, ce n’est pas le sujet, d’autant que le FN défend la peine de mort encore en 2012.

En prison, à Fresnes, une semaine avant d’être exécuté, Robert Brasillach écrivit « L’enfant d’honneur » le poème lu par Le Pen, qui voit dans ce texte une ode à l’honneur toujours d’actualité. Ce choix d’un auteur qui justement avait perdu le sien est une signature. Mais ce n’est pas tout. Pourquoi Jean-Marie Le Pen, au terme de sa longue existence, utilise-t-il tant d’énergie à défendre cet homme ?

J’ai mon explication. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’extrême droite était totalement marginalisée. Elle s’est progressivement reconstituée en France autour de l’action de Maurice Bardèche qui était le beau-frère de Brasillach. Ce dernier, qui se disait ouvertement fasciste, va mettre en place une maison d’Editions « Les sept couleurs » et quelques revues, assez confidentielles, comme « Défense de l’occident » et « Jeune Nation » autour desquelles, progressivement, les intellectuels d’extrême droite vont se regrouper. En avril 1959, dans l’une d’elles, Maurice Bardèche écrira : « J’aimais beaucoup Brasillach, je l’admirais beaucoup et je ne vous le cache pas, c’est la mort de Brasillach et l’épuration qui ont fait de moi un animal politique. La politique ne m’intéressait absolument pas avant cette date ; à partir de ce moment là, j’ai foncé dans la politique ».

C’est dans ses revues que le négationnisme français va s’exprimer pour la première fois. C’est là que François Duprat, fasciste assumé et fondateur du FN écrira ses articles niant l’existence du génocide juif. Jean-Marie Le Pen sera très marqué par toutes ces lectures et lors de son dernier discours de président du FN, le 16 janvier 2011, il rendra hommage au « professeur Duprat » mort en 1978. Il rendra également régulièrement hommage à Maurice Bardèche, mort en 1982, dont la cérémonie eut lieu à l’Eglise intégriste de Saint-Nicolas du Chardonnet, en disant de lui qu’il « était le prophète de la renaissance européenne qu’il espéra longtemps » ainsi qu’un « grand écrivain et un historien d’avant-garde ».

Jean-Marie Le Pen sait qu’il incarne la continuité de cette longue histoire. Il ne veut pas rompre le fil. Il veut transmettre un héritage aux jeunes générations qui militent au Front national autour de sa fille.

Quand on lutte contre l’antisémitisme, on condamne ce que fait Le Pen. Toute autre attitude n’est qu’une hypocrisie coupable.

C’est tout cela qui éclate actuellement au grand jour. Le FN revient au fondamentaux, qu’il n’a jamais quitté en réalité. La fille continue la sombre œuvre du père et le discours d’hier de Marine Le Pen à Châteauroux, à propos du monde rural, porte à nouveau la marque brute de la pure pensée mystique fumeuse d’extrême droite opposée à l’immigration. De façon grotesque, elle s’en est prise aux « médecins étrangers qui ne maîtrisent pas parfaitement notre langue... et qui déboussolent les personnes âgées ». Elle a pendant plus d’une heure réhabilité une vision de la France digne de Charles Maurras, un autre pape de l’extrême droite des années 30, ou de Philippe Pétain qui affirmait que « La terre ne ment pas ». Qu’on en juge. Elle a opposé à ceux qui parlent de « naturalisation » française, qu’il fallait d’abord « une nature française, une terre française, un air français », puis « une souche, des racines.. » comparant la France « a un arbre qui meurt si on lui coupe ses racines. » faisant comprendre que l’on ne pouvait réellement être français si l’on n’avait pas ses racines. Cette vision réactionnaire n’a résolument rien à voir avec les principes républicains.

Enfin, pour ceux qui goberaient encore que Marine Le Pen est une laïque,je termine en soulignant qu’elle a déclaré hier dans son discours que la bible était le « texte qui a fondé notre civilisation ». Tous nos concitoyens, quelles que soient leurs convictions spirituelles, doivent comprendre le danger d’une telle déclaration, qui n’a rien d’innocente, pour une candidate à l’élection présidentielle d’une République laïque. Je connais bien sûr l’histoire de notre pays. Mais, je sais aussi qu’il faut défendre dans toutes leurs forces, les fondations républicaines de notre Nation qui s’est forgée au long d’une histoire complexe qui ne peut être présentée et résumée de la sorte. Ce n’est pas la bible qui a fondé la République. Bien entendu, le catholicisme a marqué notre pays, mais sans laïcité, sans cesse réaffirmée, la France que nous aimons n’existera plus. Cette conception manque d’ailleurs de respect pour les croyants eux-mêmes qui ne veulent pas voir la religion ainsi instrumentalisé par un parti xénophobe. Ceux qui jouent à transformer le beau mot de « laïcité » en autre chose, le transformant en une menace pour nos concitoyens de confession musulmane sont des gredins.


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