Avec Jean-Luc, récit de la soirée face à Mme Le Pen

jeudi 8 mars 2012.
 

Je fais partie d’une génération militante ayant commencé à militer dans le milieu des années 80 qui a toujours souffert de la présence du Front national dans le paysage politique. Depuis plus de 25 ans, il est là, s’engraissant de la crise sociale et du désarroi de beaucoup de gens, insultant les uns, méprisant les autres. Depuis plus de deux décennies, c’est lui qui avec son vocabulaire infect et ses plaisanteries ignobles pollue le climat politique : « sidaïque », « point de détail de l’histoire », « Durafour-crématoire », « pédé », « pédophile », etc… La liste est longue de toutes les expressions par lesquelles le FN a exprimé sa haine. En la matière, Jean-Marie Le Pen fut un orfèvre. Une telle vivacité d’esprit mis au service de tant de méchancetés et d’idées de haine me laisse songeur. Cet homme a mis pendant des années toute son intelligence pour forger , en plus de propos xénophobes qui lui ont valu des condamnations, des centaines de formules bien ciselées et pleines d’allusions racistes ou antisémites, mais gardant toujours en double sens, lui permettant de paraître comme presque innocent et victime de censeurs. Pendant 25 ans, il fut le Fourbe National. La récente expression à propos du bal d’extrême droite à Vienne auquel sa fille avait participé, cette soirée qualifié par lui de « Strauss sans Kahn » en est une nouvelle bien triste illustration. Il faut avoir du vice pour forger de telle formule, approchant presque d’une "ignoble poésie antisémite" comme me le disait si justement avec dégoût Raquel Garrido, secrétaire nationale du PG et avocate de Jean-Luc Mélenchon.

Pendant des années donc, toute la gauche, que dis-je, la très grande majorité des français ont subi le discours de ce parti. Non pas qu’il soit le seul problème de la France, loin de là. Mais, précisément, dans un lourd climat d’offensive libérale brisant les acquis sociaux les uns après les autres et où la gauche, et particulièrement le Parti socialiste, n’était pas à la hauteur des enjeux, voir même accompagnait et mettait en œuvre ces capitulations, le FN prospérait. Des évènements appris dans nos manuels d’histoire semblaient se réécrire sous nos yeux. La crise était là, la gauche impuissante et les fascistes portaient le masque du changement pour des millions d’hommes et de femmes perturbés, désorientés et affolés par la crise.

Et puis, voilà depuis que le Front de Gauche est né les choses changent. L’épisode télévisuel, entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, qui s’est déroulé hier soir sur France 2 à « Des paroles et des actes » est un évènement qu’il ne faut pas minimiser. Pour la première fois, le FN a baissé les yeux devant la gauche ! Ce n’était plus l’extrême droite qui époustouflait le monde de son audace et de son bagout révoltant, mais au contraire, elle apparaissait désormais impuissante et grotesque.

DSC00449.JPGPour préparer cette émission, nous nous étions retrouvés le jour même vers 17h00 dans un café de l’Est parisien pour bâtir la stratégie la plus efficace. Depuis quelques jours, nous avions eu de nombreux échanges téléphoniques les uns avec les autres, mais c’est dans ce café que nous avons fait le mise au point ultime. Quelques heures auparavant, Jean-Luc Mélenchon est descendu d’un avion qui le ramenait d’une tournée de réunions en Corse marquée par le succès (2 000 personnes à Bastia, du jamais vu !). Je crois arriver en premier à notre rendez-vous, mais Jean-Luc est là, studieux, heureux et souriant. Dans sa tête, les choses sont limpides. Il sait ce qu’il doit faire. Bien vite, les camarades prévus arrivent. Désormais, autour de lui, il y a Matthias Tavel, Laurent Maffeis, François Delapierre et moi. Pour Jean-Luc, l’angle a choisir pour affronter Marine Le Pen est clair : il va lui parler des droits des femmes et de quelle manière le FN, notamment en refusant de rembourser ce qu’il qualifie « d’IVG de confort », les méprise. Le Fn réserve donc ce droit aux femmes les plus riches. Les camarades du Conseil Régional de Rhône-Alpes nous ont fait parvenir des amendements FN qui expriment clairement la conception réactionnaire de la femme pour ce parti. Jean-Luc lira ces documents face à elle (voir l’émission). Que le Front du Gauche s’affronte à elle sur ce thème sera une première surprise. Reste à savoir qu’elle sera son attitude.

jsp1.jpgNous sommes aussi tous les cinq d’accord pour dire qu’il faudra souligner, et mettre bien en lumière, son attitude manquant d’honneur et de dignité, lorsque son père a lu du Robert Brasillach à la tribune de la Convention du FN. Cela nécessite si c’est possible de faire comprendre qui était ce collabo. Pas simple en quelques secondes, mais c’est nécessaire. Dans l’après-midi, j’ai fait quelques recherches et passé des coups de fils. Dans mon cartable, il y a des facs-similés de "Je suis partout" le journal antisémite dont Brasillach était le Rédacteur en chef, et notamment le numéro du 25 septembre 1942 où cette ordure demandait noir sur blanc que l’on n’épargne pas les enfants juifs. J’ai jugé utile que nous ayons sous les yeux ce numéro pour, peut être, y puiser une énergie supplémentaire face à l’extrême droite. Un fragment de seconde, je vois Jean-Luc ému à la lecture de ce passage. Le silence se fait quelques instants. Si certains en France doutaient encore de la filiation fasciste du FN, ils en sont pour leur frais. Sur les unes des exemplaires de "Je suis partout" que j’ai amené se répand à chaque fois l’ignoble caricature antisémite. Jean-Luc s’indigne soudain et se met en colère "Faire applaudir ce criminel collabo, quelle honte. Quand on aime la France, on ne laisse pas applaudir un tel homme, on ne reste pas silencieuse devant ce qui constitue un crachat à la mémoire des victimes des rafles antisémites. Bah ! Ils me dégoutent". Silence encore parmi nous. Oui, durant la seconde guerre mondiale, Brasillach a fait de le choix de la jsp2.jpgcapitulation et de la collaboration. Oui, on ne peut être patriote quand on fait applaudir un tel traitre. Oui, il est des cicatrices qui ne se referment jamais. Dans notre Histoire nationale, celle ci en est une. Jean-Luc a raison. Le FN, pour seul argument rétorque depuis dimanche qu’il faut faire la différence entre "l’homme et l’oeuvre". Mais, chez Brasillach, les deux se confondent précisément, et l’oeuvre littéraire de l’homme fut l’instrument de son crime. Un crime de plume en quelque sorte, mais qui fit des morts bien réels, pas seulement sur du papier. A travers la vitrine du café où nous sommes, je vois la façade d’une école primaire. A coté de la porte, j’aperçois une plaque que la Ville de Paris a placé il y a quelques années en mémoire des enfants juifs scolarisés qui ont été raflés puis assassinés. Pendant quelques secondes, je sors de la conversation et je pense à eux, et je me dis qu’un fil invisible nous relie peut être aussi à leur histoire tragique...

DSC00467.JPG19h00. Nous voilà partis vers les studios où va se dérouler l’émission. Deux autres camarades, Mathieu Agostini et bien sûr Benoit Schneckenburger nous ont rejoints pour faire le déplacement, sur place nous retrouverons Arnauld Champremier-Trigano. Nous sommes les premiers à être sur place, il est 19h45. Marine Le Pen n’est pas encore là. Direction la loge réservée pour Jean-Luc. Une fois sur place, l’équipe de l’émission vient le voir. Fabien Namias lui demande si il sait ce qu’elle va faire. Mystère pour tout le monde. Restera-t-elle ? Partira-t-elle ? Personne, parmi les organisateurs et la production de l’émission ne sait quoi répondre. Dans notre joyeuse bande, on prend les paris. L’opinion majoritaire est qu’elle restera, refusant de débattre avec Jean-Luc mais après avoir lu une déclaration dans laquelle il faut s’attendre à de basses attaques. A peu de choses près, nous avons vu juste. Mais, jusqu’au bout, l’interrogation reste entière.

Je sors de la loge et marche jusqu’au fond du couloir pour rejoindre le hall d’entrée par lequel Marine Le Pen va arriver. Pile poil, la porte s’ouvre, quatre malabars vêtus de noirs arrivent et au milieu d’eux la présidente du FN, les traits tirés, l’air contrarié. Je suis à deux mètres d’eux. Le groupe passe devant moi pour se diriger vers sa loge. Derrière elle, deux de ses conseillers la suivent. Florian Philippot son Directeur de campagne et Bertrand Dutheil de la Rochère qui se dit être son porte parole. Je les connais pour avoir été confrontés à eux l’un sur RMC, l’autre sur France Inter. Un salut de politesse est échangé entre nous, rien de plus. J’aimerai pouvoir leur tirer les vers du nez pour savoir ce que leur présidente a prévu. Je ne trouve pas les mots et eux sont fermés comme des huitres.

DSC00503.JPG20h30. L’émission commence. Nous regardons Marine Le Pen répondre à ses premiers contradicteurs. Même si ce n’est pas son point fort, elle arrive à retomber tant bien que mal sur ses pieds face au journaliste économique libéral de BFM Lenglet, mais on sent bien qu’elle n’est pas à l’aise. Pendant ce temps, en loge et dans les couloirs, de multiples idées farfelus traversent l’esprit de plusieurs camarades pour deviner ce qu’elle nous réserve. Et si elle prétextait du procès qu’elle fait à Jean-Luc Mélenchon pour refuser de lui adresser la parole ? Coup de fil à Raquel Garrido, l’avocate de Jean-Luc, qui nous assure que ce scénario ne tient pas la route. Elle reste disponible à tout instant pendant la soirée pour donner des conseils et réagir si nécessaire. Sur le plateau de l’émission, vient le tour d’Henri Guaino, le conseiller de Nicolas Sarkozy. Un malaise se dégage de ce moment. Le programme commun UMP / FN apparait. Guaino semble d’accord avec des analyses de Le Pen. Sur le plan télévisuel, le moment est pénible.

DSC00473.JPGDans la loge, nouveau silence, Jean-Luc se concentre et se remet à la tâche. Il écrit la trame de son propos. Il sait que cela va aller très vite, qu’il ne faut pas perdre le fil, qu’elle va user de toutes les ficelles pour l’empêcher de lui dire ce qu’il a prévu. Jean-Luc écrit, se concentre, fait le vide... Plus aucun d’entre nous ne lui adresse la parole. Il est prêt.

L’équipe de France 2, vient le chercher. Mathieu et Benoit l’accompagnent pour veiller à ce qu’aucun incident de dernière seconde ne vienne le perturber. Dans les loges, il reste Laurent, Matthias, François, Arnauld et moi. Chacun retient son souffle. désormais, c’est devant l’écran que nous allons suivre la suite.

DSC00507.JPGJean-Luc apparait sur le plateau. La suite, pendant 20 minutes a été suivi par plus de 5 millions de personnes. Elle refusera de lui adresser la parole, mais Jean-Luc ne lâchera rien. Sur le plan médiatique, l’image est terrible pour elle. La grande force d’extrême droite qui clouait le bec aux contradicteurs dans les années 80, 90 et 2000, se tait à présent devant le Front de Gauche. Pour nous, le succès est total. Méthodiquement, Jean-Luc déroule les thèmes qu’il avait prévu. Il qualifie Jean-Marie Le Pen "d’infâme président de notre infâme parti..". Lorsqu’il lui évoque la honte qu’il y a à citer Brasillach sous les applaudissements de ses militants, elle farfouille ses papiers piteusement, faisant sembler de chercher quelque chose. L’honneur aurait dû lui imposer de répondre au moins sur ce point. Non, rien. Elle perd pieds et préfère faire semblant d’être "choquée" semblant dire au Front de Gauche, comme d’autre en leur temps : je vous demande de vous arrêter. Face à nous, le Fn sous la présidence de Marine Le Pen est comme balladurisé.

Le temps est passé. Pujadas met un terme à cette séquence grotesque pour le FN. Plusieurs fois, le public a ri sur le plateau jugeant la fille Le Pen assez ridicule. Jean-Luc revient vers nous. Pour nous, c’est un moment de joie partagé. On se tape dans les mains. Nous sommes fiers du boulot. Pour la première fois depuis tant d’année, ce parti s’est fait rabattre son caquet.

En quelques secondes, nous décidons de quitter les lieux. On ne veut pas rester dans ses locaux où les quelques FN présents doivent écumer de rage. En sortant des studios, une équipe de BFM interroge Jean-Luc. Nous nous demandons tous qui a pu conseiller Marine Le Pen d’une telle stratégie.

23h00. Dans un café parisien, la soirée se termine. Les clients viennent féliciter Jean-Luc. On le congratule. Enfin, quelqu’un leur a tenu tête ! La présidente de ce parti qui a fait si peur était ridicule ce soir. A travers la vitrine, des groupes de passants dans la rue salut Jean-Luc et l’applaudissent.

Le mois de février approche de la fin. Nous voilà à moins de 60 jours du premier tour de l’élection présidentielle. Notre campagne dynamique, intelligente et joyeuse vient de marquer un nouveau point. Dans toute la France, on continue.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message