A UN AMI COMMMUNISTE DECU ET AMER... (Patrice Cohen-Séat, proche de Marie George Buffet)

lundi 15 janvier 2007.
 

Cher ...

Je me sens évidemment personnellement interpellé par la lettre que tu m’as envoyée pour m’exprimer ta déception et ton amertume devant la décision du Parti d’entrer en campagne présidentielle avec la candidature de Marie-George. Je partage largement l’amertume et la déception, mais pas de la même façon que toi.

Je voudrais donc te dire comment je perçois les causes de la situation qui a conduit finalement à l’échec de la recherche d’une candidature commune et aux conséquences que nous en avons tirées. En un mot, je voudrais répondre à ce que je ressens comme une question de ta part, à laquelle tu attends réponse : que s’est-il passé ? Pourquoi la direction du Parti a-t-elle pris une telle décision ?

J’espère que nous aurons l’occasion de prendre le temps d’en parler vraiment. Mais je voudrais, en quelques lignes, te donner quelques informations dont j’ai été témoin direct, et sans lesquelles il est difficile d’apprécier réellement la situation dans laquelle nous étions mi-décembre dernier.

D’abord - je crains que trop peu de camarades l’aient réellement perçu - aucune candidature ne faisait consensus parmi les organisations et sensibilités politiques partie-prenante du collectif national unitaire. Je dis bien : aucune. Et j’ajoute, car c’est capital, qu’aucune ne faisait consensus, ni même ne réunissait une simple majorité des sensibilités et organisations politiques autres que le PCF. C’est-à-dire, pour dire les choses clairement, qu’il s’est finalement avéré qu’il était impossible - avec ou sans la candidature de Marie-George - de réaliser un consensus, voire plus modestement de trouver un accord rassemblant plus de la moitié des composantes politiques du rassemblement sur une candidature à l’élection présidentielle.

Après la réunion de Saint-Ouen, à la veille et surtout pendant le Conseil national du 14/15 décembre, le bruit s’est mis à courir que la candidature de Francis Wurtz pourrait faire consensus, bien que son nom n’ait jamais été prononcé auparavant, même dans la « commission de synthèse » de Saint-Ouen. J’ai alors considéré qu’une telle éventualité - la possibilité d’un consensus - avait trop d’importance pour rester dans le flou. J’ai personnellement demandé à ceux qui l’évoquaient de vérifier la crédibilité de cette hypothèse directement auprès des intéressés. Ils n’ont pu obtenir aucune confirmation de ce qui est alors apparu probablement comme une rumeur ,jouant sur l’espoir d’une ultime possibilité,destinée à jeter le trouble, au dernier moment. Pourtant, devant le sérieux, et même la gravité de la situation, Marie-George a été informée, et elle est intervenue au Conseil national pour dire que si une telle hypothèse se confirmait, ou si un fait nouveau montrait qu’un consensus pourrait être atteint, le Conseil national serait re-réuni en urgence, et que la consultation des communistes serait modifiée en conséquence.

Le lundi 18 décembre se tenait une nouvelle réunion des organisations et sensibilités politiques. Là encore, le constat a été fait qu’aucune candidature ne faisait consensus, et ce, de nouveau, en comptant ou sans compter la formation du PCF dont j’étais l’un des représentants.

Comme personne n’évoquait le nom de Francis Wurtz, j’ai pris l’initiative, au nom du PCF, de proposer un tour de table sur cette possibilité. Les réponses ont été :

« oui » pour le Mars,

« peut-être » pour la Gauche Républicaine (dont un autre représentant s’est exprimé le lendemain de façon plus nettement favorable),

« non » pour les socialistes (PRS), les écologistes (AlterEcolo), les Objecteurs de croissance et les Alternatifs

« cela permettrait de rouvrir le débat dans les collectifs locaux avec les candidatures de Francis Wurtz, Clémentine Autain et Yves Salesse » pour Alternative citoyenne et les minoritaires de la LCR.

Tout le monde est donc convenu, une nouvelle fois, qu’aucune candidature n’était susceptible de faire consensus entre ces sensibilités et organisations.

Au collectif national du lendemain 19 décembre, les raisons de ce blocage sont d’ailleurs apparues assez clairement. Et tout le monde a pu constater qu’il ne provenait pas en fait d’un désaccord sur la candidature, mais des rapports entre cette candidature et les idées de chacun sur les perspectives de « recomposition » de la gauche :

• Certain considèrent que les Partis sont non seulement dépassés, mais même disqualifiés parce qu’ils ne pourraient porter que leur esprit de chapelle, et qu’il faudrait construire un « mouvement » à partir des « nouvelles mobilisations » (sociétales, écologique, altermondialiste, ...) ce qui imposerait à leurs yeux de mettre en avant une personnalité comme José Bové (Alter-Ecolo, Objecteurs de croissance, Alternatifs),

• D’autres (PRS) qu’il faudrait faire une opération façon « Linkspartei », à l’allemande, ce qui impliquerait de mettre en avant une candidature social-démocrate,

• D’autres encore (Alternative Citoyenne, minoritaires de la LCR, Mars et Gauche républicaine) que le Parti communiste et le communisme ayant été condamné par l’histoire, il serait « évidemment exclu » que l’avenir se construise en mettant en avant une candidature issue du Parti communiste.

A quoi s’ajoute une question stratégique qui est demeuré comme en toile de fond tout au long du processus, malgré le texte du 10 septembre : veut-on fédérer la « gauche de la gauche », voire y créer une nouvelle force politique - j’ai vu que l’un de nos partenaires appelle maintenant explicitement à une « confédération » -, ou rassembler celles et ceux, de toutes les sensibilités de gauche, qui veulent construire une nouvelle majorité à gauche sur la base d’une rupture avec le libéralisme ? J’ai le sentiment que, au fur et à mesure que les contours du rassemblement se sont rétractés, notamment avec les prises de distance de beaucoup de socialistes et de Verts, ce débat est devenu de plus en plus déterminant des positions de ceux qui restaient.

Voilà, Cher..., la situation telle que je l’ai vécue. A posteriori, elle me paraît bien avoir été sans solution pour la présidentielle. Tous ces débats viendront nécessairement. Ils sont légitimes, et profonds. Sans doute vitaux pour l’avenir de la gauche. Peut-être peut-on regretter que les uns et les autres (nous compris) n’ayons pas été prêts plus tôt à les aborder. Mais l’histoire est ainsi et, comme disait le vieux Karl Marx : « on ne fait pas bouillir les marmites de l’Histoire ».

Reste qu’il fallait prendre une décision. Au vu de ces éléments, nous avons considéré - et je partage personnellement tout à fait ce choix - que repousser l’échéance était suicidaire alors que la campagne était déjà largement engagée ; et illusoire car je ne vois pas comment ces différences, ou différends, auraient pu se dépasser en quelques jours, voire quelques semaines.

Nous avons donc pris la décision qui s’imposait à nos yeux en considérant que Marie-George n’était évidemment pas pour nous une candidature « impossible », même si, comme chacune, elle a ses avantages et ses inconvénients ; que le fait qu’elle ait été le choix le plus partagé dans les collectifs ne signifiait pas « consensus », mais ne pouvait quand même pas être retourné à l’inverse en handicap, pas plus que le choix massif des communistes de chercher avec sa candidature une issue au blocage constaté à Saint-Ouen. Comme tu le sais sans doute, nous avons en même temps multiplié les propositions pour construire une vraie campagne pluraliste, y compris de partager, sur la base d’une stricte égalité, le temps de parole dans les médias, les meetings et les matériels de communication entre plusieurs personnes constituant une véritable candidature collective.

L’un de mes sujets d’amertume à moi, dans cette histoire, est qu’aucun de nos partenaires n’ait cherché dans cette voie une solution - au moins partielle - au problème qui nous était posé de la contradiction entre la diversité du rassemblement et l’unité institutionnelle de la candidature (problème qui concernait de toutes façons toute candidature, sauf à considérer qu’on aurait pu choisir comme candidat un ou une parfait(e) inconnu(e), au mépris des conditions et contraintes réelles du débat électoral).

Un dernier mot : la question du rassemblement politique de la gauche antilibérale est à mes yeux une question stratégique, cruciale pour notre peuple et pour la gauche, et je continuerai de me battre pour cet objectif, pendant et après la présidentielle, les législatives, et au-delà. Je n’ai pour ma part aucune conception « avant-gardiste » - pour reprendre ton expression - qui ferait de notre Parti une sorte de « leader naturel » d’un tel rassemblement. Mais l’un de mes sujets de déception, et même d’amertume, a été de constater que notre Parti a été considéré et même parfois traité par certains de nos partenaires - il suffit de jeter un coup d’œil sur certains mails qui circulent - comme s’il n’avait pas profondément changé depuis les années 50 ou 60, et que c’est pour une bonne part à partir de cette vision du Parti que ceux-là ont considéré « irrecevable » une candidature issue de nos rangs (Marie-George, mais finalement tout autant Francis Wurtz ou à mon avis n’importe qui d’autre que nous aurions proposé).

Je trouve bien dommageable pour tout le monde qu’on n’ait pas pris appui, au contraire, sur l’atout sans équivalent - c’est un constat - que constitue l’existence d’une force organisée de plusieurs dizaines de milliers de membres. Et surtout d’une force qui a fait ces dernières années tant d’efforts pour se renouveler et inventer - ce qui n’est vraiment pas facile - des formes citoyennes de la politique, et qui est pleinement engagée dans cette démarche de rassemblement qui, depuis la campagne référendaire, fait ses premiers pas sur la scène politique. Je suis persuadé, comme toi sans doute, qu’elle a encore besoin de beaucoup d’efforts sur elle-même pour être à la hauteur des enjeux de notre époque. Mais à regarder le paysage politique à gauche, je crois vraiment que nous n’avons pas à rougir (si je puis me permettre....) de ce que nous sommes. Et je crois vraiment que, en poursuivant nos efforts, nous avons, comme d’autres, un rôle important à jouer dans la construction de l’avenir.

Je ne sais si ces quelques informations et analyses peuvent contribuer à ta réflexion. Au moins pourras-tu peut-être mieux juger des raisons - longuement et souvent pesées en moi-même - qui m’ont amené à partager et défendre les décisions que nous avons prises.

Avec toute mon amitié,


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