Quai du bonheur, Canal St-Martin, France

mercredi 10 janvier 2007.
 

Lundi 8 janvier 2007. Je me rends quai de Jemmapes en longeant le Canal St-Martin, simplement pour m’imprégner du climat, pour voir, écouter, capter la réalité en regard des images médiatiques vues par la France entière depuis quelques semaines. Il pleut légèrement, le ciel est gris. Nous ne sommes pas dans un film de Marcel Carné, il y a la couleur dans ce décor-là bien palpable.

Les tentes rouges sont là, de chaque côté de la rive et sont plantées jusqu’à l’Hôtel du Nord, le vrai pas celui reconstitué pour la légende en Noir et blanc. Nous ne sommes pas au Cinéma mais dans la vie, en 2007 où le drame se joue, où les gens meurent vraiment et souffrent, pas comme dans les bobines, pas en 24 images par secondes.

Aujourd’hui je ne suis pas de gauche, je ne suis pas de droite, ni du milieu ni d’aucun extrême... je suis un humain qui regarde son siècle en dehors de tout clivage politique, parti-pris idéologique.

Rarement dans ma vie je n’ai saisi dans une foule, dans un groupe, un tel sentiment de convivialité, de simplicité, une telle communion entre les êtres. Journalistes, badauds, clochards, exclus, jeunes, vieux, inclus, logés, mal logés, pas trop bien logés, marginaux pour la première fois depuis longtemps se parlent, s’écoutent, se regardent sans se faire honte, sans s’aggresser.

Nous sommes tous des enfants de Don Quichotte, la précarité exclue de moins en moins de monde, elle accueille en son sein tous les milieux, toutes les races, tous les parcours.

Face à ce microcosme sauvage, délicieusement révolutionnaire dans le meilleur sens de ce terme, face à ce collage improbable de gens de tous les horizons se dégage une étrange poésie positive, un sentiment trop peu ressenti qui faire croire qu’une prise de conscience globale est là.

Sur un des ponts qui traverse le Canal on peut y lire des messages divers, des tags, des dessins comme représentatif du meilleur Art urbain. "Quai du bonheur" sur un barre métallique avec une date, une interpellation polie mais inquiète à Nicolas Sarkozy, des messages d’amour...

Autour de moi les individus discutent avec passion ou calme. Une jolie jeune fille brune est assise à l’entrée d’une des tentes et s’entretient avec un des occupants ; ils rient, leurs yeux se toisent avec fièvre, on peut voir des étincelles dans leurs regards.

Plus loin, un homme à lunettes refait le monde, invective son voisin en disant que le combat continue, que la France a compris le message et que rien ne sera plus comme avant. On a envie de le croire.

Des cagettes, des poubelles amassées sous un pont plutôt que de faire décharge publique ont des allures d’oeuvre d’Art contemporain du meilleur effet. C’est comme si le temps avait été stoppé net et que tous les rôles étaient échangés. Le laid devient beau, le malheur et l’exclusion sont devenus outils de partage et de respect, d’Amour.

A côté de cela les discours de haine des écrivains racistes, des pseudo intellectuels exilés à St-Germain, au Canada, en Suisse ou ailleurs paraissent bien ridicules, les petits ego des moralisateurs aussi.

Il prends au tripes ce quai du bonheur, il fait avancer les choses, il rend notre regard sur le monde meilleur.

Bien sûr il faudra lever le camp demain ou après-demain mais l’endroit mérite de rester un symbole de liberté et d’amour et le quai Jemmapes d’être rebaptisé.

de Frédéric Vignale


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