Qu’est-ce que Standard & Poor’s ?

mardi 24 janvier 2012.
 

Comme trois millions et demi de téléspectateurs, j’ai regardé la semaine dernière sur France 2 la dernière prestation de Jean-Luc Mélenchon. Un combat de deux heures, acharné, contre des journalistes antagonistes globalement hostiles ou peu sympathisants. Un combat remporté haut la main par le candidat de la gauche de gauche. La dernière séquence de l’émission m’a à peine surpris et un peu choqué : deux intervenants extérieurs à la chaîne ont entrepris de juger, d’évaluer la prestation du politique. Ça volait aussi haut que : « Je vous ai trouvé comme ceci, un peu comme cela ». Alors qu’avec Mélenchon, nous avions atteint de réelles hauteurs dialectiques, avec ce gus et cette gussette, nous sommes retombés dans le people, l’anecdotique, la com’, l’apparence, bref le pipi de chat du journalisme de convenance.

Bernard GENSANE

Ce qui m’intéresse en l’occurrence, c’est que les gens des médias se permettent ce genre d’approche avec les politiques, alors qu’ils ne se l’autorisent pas avec les gens de la finance ou de la grande entreprise. Ces maîtres du monde bénéficient d’un brouillard d’anonymat : « les marchés », « les banques », « les chefs d’entreprise ». Seulement, derrière ces appellations génériques, il y a des gens. Et ces gens n’ont rien de désincarné : ils ont un passé, une éducation, des réseaux, des complicités. Ils sont les auteurs d’actions d’éclat et de coups bas. Ils sont responsables de drames humains à échelle planétaire. Mais à eux, on ne dit rien. Parmi ces « eux », il y a désormais les tristement célèbres agences de notation. En anglais, rating agencies. À noter que le deuxième sens de rating, comme dans a good rating, c’est une engueulade.

Depuis que, pour des raisons idéologiques et de classe, notre kleiner Mann a lié son sort à l’évaluation de ces agences (malgré les palinodies de ces dernières semaines et après avoir fait semblant de les critiquer en 2008), Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch font la politique de notre pays qui n’est plus pour elles, contrairement à ce qu’affirme bêtement Valérie Pécresse, une valeur sûre. Autant savoir qui elles sont et qui est à l’œuvre derrière les luxueuses façades qui nous sont désormais familières.

Standard & Poor’s (S&P) est aujourd’hui une filiale de McGraw-Hill.

Il y a une quarantaine d’années, McGraw-Hill était une très respectable maison d’édition étatsunienne qui publiait des ouvrages scientifiques, culturels et de fiction de qualité. Peut-être que cela n’a pas suffisamment payé, en tout cas l’entreprise s’est reconvertie dans la publication d’analyses financières d’actions et d’obligations.

Standard & Poor’s (S&P) fut fondée par Henry Poor en 1860.

Analyste financier, Poor fut surtout un industriel qui réussit pleinement dans la construction de réseaux ferrés. S&P publie depuis 1920 l’indice S&P 500 qui a récemment détrôné le Dow Jones (fondé en 1884 par Charles Dow) comme indice le plus représentatif du marché boursier étatsunien. Il existe également un S&P 500 en Australie et au Canada. S&P publie chaque semaine The Outlook, une lettre d’information et d’analyses.

Le 5 août 2011, S&P abaissait (en français, on baisse, on abaisse une note, on ne la dégrade pas) la note attribuée à la dette publique des États-Unis, ce qui n’était pas arrivé depuis 1917. Pour ce faire, elle s’était lancée dans des calculs très savants en commettant une simple erreur de 1000 milliards de dollars (l’équivalent du budget du pays au début des années 1970). Quand on pense que cette agence fait trembler le Conseil général du Cantal ou les hôpitaux publics d’Ombrie orientale ! Le 10 novembre 2011, elle annonçait « par erreur » à certains de ses abonnés que la note de la France allait être baissée. Réprimandée par l’Autorité européenne des marchés financiers, l’agence s’excusa pour cette erreur et déclara ne pas avoir l’intention de toucher à la note de notre pays. Elle changea d’avis quelques semaines plus tard. En public, car en privé les dés étaient jetés depuis des mois.

McGraw-Hill est présidée par Harold McGraw III (c’est comme pour les rois Louis, on les numérote). Né en 1948, ayant fréquenté de prestigieuses universités de la côte Est, Harold siège dans les instances dirigeantes de nombreux comités paragouvernementaux, comme le Conseil national pour l’enseignement économique. Parmi les vice-présidents, on compte Jack F. Callahan, financier de haut calibre, ancien de Pepsi Cola, lui aussi issu d’une université de la côte Est ; John Berisford, lui aussi ancien de Pepsi, spécialisé dans l’économie de la connaissance ; ou encore D. Edward Smith, ancien de Heinz, la très puissante entreprise agroalimentaire (la fayots sucrés, la sauce Ketchup).

Le conseil d’administration compte dans ses rangs Sir Winfried Bischoff, grand banquier allemand (Chase, Citicorps), annobli par la reine en 2001 ; l’Australien Douglas Neville Daft (le pauvre : “ daft ” signifie “ dingue ” en anglais), conseiller de la banque Rothschild, ancien patron de Coca Cola, un des dirigeants de Wal-Mart ; William D. Green, PDG d’Accenture, la plus importante société de consultants au monde, basée désormais en Irlande où les impôts sont doux ; sir Michael Rake (le pauvre, “ rake ” signifie au choix “ râteau ” ou “ roué ”, PDG de British Telecoms et membre de 36 conseils d’administration.

Les principaux actionnaires du groupe sont : Capital World Investors, l’un des plus grands fonds de pension au monde (né durant la crise de 1932) ; the Vanguard Group, société d’investissements étatsunienne qui possède 1000 milliards de dollars d’actifs.

Le tout nouveau PDG de Standard & Poor’s est Douglas Peterson. Cet ancien financier dut résoudre des problèmes bancaires comme seules les banques savent en créer, en particulier s’attaquer aux malversations de la banque Citicorps au Japon. La banque fut contrainte de rembourser l’aide considérable que le gouvernement des États-Unis lui avait allouée lors de la « crise » de 2008. Deven Sharma, le prédécesseur de Peterson avait précédemment fermé les yeux sur les titres toxiques de banques soumises à son évaluation. Une procédure contre S&P est en cours aux États-Unis. Il est également reproché à S&P d’avoir longtemps sous-évalué les difficultés des maillons faibles de la zone euro.

Dans les sphères dirigeantes de ces agences, on trouve donc des financiers, des banquiers qui poursuivent un seul objectif : le leur. À la base : des jeunes âgés de 25 à 40 ans, issus des mêmes écoles, façonnés par les mêmes moules idéologiques, percevant de forts salaires. Du monde, ils ne connaissent que l’écran de leur ordinateur.

On a appris que Moody’s conservait son triple A à la France. Ça ou le contraire de ça, c’est du kif-kif pareil au même…

Un dernier petit mot sur la troisième sœur : Fitch Ratings. Fondée en 1913 à New York par John Fitch, elle a fusionné en 1997 avec la société IBCA Limited, basée à Londres. Ce faisant, elle est passée sous le contrôle de la holding Fimalac. Or Fimalac n’est autre que la financière Marc Ladret de la Charrière. Fitch est donc française, et l’on attend avec impatience son dernier rating nous concernant ! De la Charrière est un patron discret. Mais, outre la notation, les activités de son groupe sont centrés sur trois domaines : immobilier, hôtellerie de luxe et casinos, divertissement. Il possède 40% du groupe Barrière (ohé, le Fouquet’s !).

Il en est des agences de notation comme de la BCE : elles remplissent le vide laissé par les politiques. La banque européenne se permet des jugements politiques, mais les politiques n’ont pas le droit de la juger ou de l’influencer. Les agences, créées pour produire des analyses financières et budgétaires, nous abreuvent de considérations économiques et politiques. On relèvera à ce sujet la manière, pas totalement absurde dans la perspective du capitalisme financier, dont S&P a accompagné sa dernière volée de « dégradations » notes :

« Tous les pays se concentrent essentiellement sur des remèdes budgétaires en réduisant leurs déficits excessifs, en particulier dans les pays périphériques, mais la crise de la zone euro s’explique surtout par un écart de compétitivité qui n’a cessé de se creuser entre certains pays européens depuis le lancement de la monnaie unique » (...) S’il y avait eu une règle d’or budgétaire dans les pays auparavant, il n’est pas certain que la crise aurait été évitée. Les dirigeants européens n’ont pas réussi à trouver les solutions adaptées à l’ampleur de la crise qui touche la zone euro. »

Comme ses congénères, le kleiner Mann se fait donc tirer les oreilles. On est triste pour lui.

Bernard GENSANE


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