De ma vie. Il est normal que l’on veuille savoir qui je suis et d’où je viens

mardi 10 janvier 2012.
 

Comme c’est la trêve des confiseurs, je tourne au ralenti, loin du feu brûlant qui court sur le monde. J’ai accepté de me prêter au jeu du tournage d’une vidéo qui présente des vœux. De cette façon je compte régler cette année la quadrature du cercle qui me condamne chaque année à contourner le tsunami des formules toutes faites sans que mon refus de surfer dessus ne convainque personne.

Je décide ici de faire un point à propos d’un exercice littéraire : les récits qui se font à propos de ma vie politique. Je compte qu’en écrivant sur ce sujet je pense plus clairement le moment que je vis à ce propos.

Je sais que c’est normal que cela arrive. Je suis candidat à la plus importante élection prévue par cette Constitution. Je le suis au titre d’un Front de Gauche qui est un événement sans précédent dans la vie de la gauche. Et cela au sein d’une période politique elle-même incroyablement volatile dont il peut sortir de l’imprévu le plus total. Il est normal que l’on veuille savoir qui je suis et d’où je viens. Mais je redoute la part de pipolisation que cet exercice contient. Personnaliser la politique a conduit tant de fois à dépolitiser les personnes ! C’est ce qui m’arrive. Certes, pas tout le temps. Mais ma vie m’est donnée à voir à travers une série de récits qui m’échappent. Je n’en suis plus le sujet. Juste l’objet. J’en lis parfois ici et là dans la presse écrite. Ce sont alors des « portraits ». D’autres fois j’en vois à l’écran, sur ma télé. Ce sont alors des fresques aux ambitions narratives plus larges. Je suis invité à m’y voir tel qu’on me voit. Je devrais écrire : tel que l’auteur me voit. Et si je devais être plus précis dans mon appréciation je devrais écrire : tel que l’auteur a envie de me voir. Ce regard extérieur n’est jamais objectif, on s’en doute. Pourrait-il l’être ? Non bien sûr. Même avec la meilleure bonne volonté. C’est pourquoi la biographie est un exercice exigeant, à mi-chemin de l’enquête journalistique touche-à-tout et de la science historique qui est, elle, très exigeante. Ce que je lis ou regarde comporte son lot d’erreurs de dates et de lieux. Des personnages récurrents apparaissent comme des « vieux amis » qui n’en sont pas tous, loin de là. Certains sont même des adversaires spécialement vicieux comme il y en a dans la vie de tout le monde et qui se faufilent pour recevoir leur part de lumière dans une vie qui n’en comporte souvent pas beaucoup. Mais je crois que de telles confusions sont inévitables quand l’auteur n’est pas historien. Moi-même je suis dans le flou sur nombre de dates et de lieux où se produisirent des événements pourtant majeurs de mon existence. Quand ai-je embarqué depuis le Maroc pour le rapatriement ? Etait-ce le 6 août 1962, le 9 août ? J’ai aussi ma part d’ambiguïté sur la façon d’apprécier les personnages qui ont traversé ma vie et pesé sur ses rebondissements. D’aucuns m’ont affronté à mort, que je continue de regarder avec tendresse. D’autres ont été mes amis et m’ont trahi de telle façon que leur seul souvenir continue de me remplir d’un dégoût nauséeux. Qu’importe en réalité, tant qu’il s’agit de mes démêlées avec moi-même. Mais s’il s’agit de faire un récit à prétention informative, il faudrait aller au bout de l’exigence de sérieux de ce type de travail et tâcher de savoir et de situer avec précision. Cet exemple me permet d’illustrer cette exigence non comme un caprice personnel mais comme une conséquence logique de la prétention de ceux qui se lancent dans cet exercice.

Encore n’ai-je envisagé que le plus simple. Car lorsqu’il s’agit de choix et de décision politique, une question essentielle doit être réglée. Quel est mon critère de décision au moment où je la prends ? Ici la matière est plus rude à formater. Intervient un fort critère de préjugé du rédacteur-enquêteur. La question dépasse mon cas personnel. Quel est le critère qui conduit en général quelqu’un à sa décision ? Je n’étonne personne en disant que dans ce domaine on ne fait souvent que projeter ses propres façons de faire en les attribuant aux autres. C’est un grand classique du malentendu des premières rencontres entre personnes issues de civilisations différentes. Mais on peut souvent constater qu’il en va de même pour les rencontres entre personnes d’une même société. Pour peu qu’on ne vienne pas d’un même milieu social, les codes de comportement n’ont pas les mêmes significations et le risque est toujours très grand d’attribuer à des attitudes un sens qu’elles n’ont pas du tout pour leurs auteurs. C’est en faisant ces raisonnements que j’ai pu m’extraire du mode douloureux que j’ai pu connaître au contact de nombre de ces portraits qui ont été faits de moi ces deux dernières années. Plutôt que d’y lire d’abord un récit à mon sujet j’y ai finalement trouvé une grille de lecture de la vie d’un « homme politique » telle que se la représentent mes contemporains. Naturellement il n’y a pas de règle générale en la matière. Juste des constantes. La plupart ne sont pas favorables.

Je ne parle pas du fond de sauce plus que méfiant sur les motivations d’un engagement politique. Je peux le comprendre vu ce que c’est devenu. Ni sur les soupçons parfois à peine voilés qui nous pensent tous plus ou moins corrompus, soit par l’argent mal acquis soit par une ivresse du pouvoir. Chaque fois, j’ai pensé que le regard ainsi porté m’en apprenait surtout sur les névroses de ceux qui s’y abandonnaient. Je ne pense pas à leur propre obsession à propos de l’argent ou du pouvoir. Encore que j’ai eu l’occasion d’en connaître de bien bonnes sur quelques petits prix de vertu plumitive. Je pense à cet idéal qui est devenu un lieu commun : devenir un justicier. Etrange ambition qui condamne à une paranoïa permanente tant de beaux esprits ! J’y vois l’aveu des limites de l’ambition d’une époque et de la génération qui l’incarne. Le redressement des torts individuels compense celui qu’il est impossible d’infliger à l’ordre social qui l’engendre. Viennent d’abord en fond de scène les ratés de l’âge précèdent, maoïstes rouillés d’échecs, trotskistes croyants mais plus pratiquants perdus d’impasses, socialistes recalés de la course aux places, aigris de tous poils. A ceux-là s’ajoutent leurs enfants et plus largement la cohorte des enfants de la classe moyenne en voie de déclassement. Ils ne croient à aucune action collective. Mais ils tâchent encore de joindre l’utile carriériste à l’agréable égotique. Ils le font en assouvissant des vengeances que le système approuve pour se purger sans frais. A tous ceux-là s’ajoutent les entomologistes. Ceux-là examinent les « politiques » comme d’autres la biodiversité de la canopée.

Pour être franc c’est eux que j’accueille le mieux. Ils me font l’effet de n’avoir aucun compte à régler, ni avec leur passé ni avec leur famille. Je ne me suis jamais autant intéressé aux récits sur mon compte que lorsqu’ils sont venus de gens qui n’étaient « pas de la partie », comme on dit. Ainsi, quand fut fait le reportage intitulé « La mécanique Mélenchon » sur LCP, rediffusé pendant les fêtes. L’auteur n’avait pas du tout l’air de m’apprécier, ni politiquement ni comme homme. De plus, sa spécialité est le portrait de sportif. Ce que je l’ai entendu dire au fils des jours passés ensemble m’a montré qu’il ne comprenait pas du tout ce que nous faisions. Pour autant, son film est sans prétention didactique ni moralisante, limité dans le temps et dans son objet. En cela il est insaisissable. Je l’ai trouvé tellement hors des codes politiques habituels, tellement extérieur et distancié qu’il m’a fasciné. Je me suis vu de l’extérieur, pour de vrai, sans l’ombre d’une intériorité qui aurait compromis mon regard en m’impliquant. Vous le croirez si vous voulez, en le regardant, j’en ai appris sur moi. Je veux dire qu’il a pointé des marottes, des expressions récurrentes, des comportements dont je n’avais pas vu, jusque-là, à quel point ils me représentent quotidiennement. Mouvement des mains, questions sur l’heure, tics de paroles, postures du corps, j’ai découvert ! J’ai adoré ! Peut-être est-ce parce que je suis toujours marqué par le goût du roman américain comme je l’ai tant aimé chez Caldwell d’abord. Je crois que l’extériorité est la clef de la puissance d’un récit narratif. Ce récit-là, sans voix-off, juxtaposant des moments d’action, sans témoignages autres que la chose vue par quelqu’un qui se moquait complètement de nos codes de posture, m’a laissé pantois. Et je lui dois quelque chose pour la suite de mes dialogues intimes. Naturellement j’ignore totalement quel effet il a pu produire sur ceux qui l’ont vu. Je ne sais pas si ce récit sert mon action où la dessert ou s’il n’a aucun impact sur l’idée qu’on s’en fait en voyant ce film. Mais je m’en fiche.

Un autre récit filmé m’a aussi impressionné. Celui d’Allan Rothschild pour « Planète + ». L’ambition est immense. Il s’agit de raconter ma vie pour montrer comment j’ai fait « pour en arriver là ». Je ne pouvais pas me mettre à distance de ce récit. Le film ne le permet pas. D’abord à cause des séquences qui illustrent des moments lointains de ma vie où bien des choses se nouèrent dans mon esprit. Ainsi quand est montrée la cohue du retour d’un million de pieds-noirs plus ou moins hagards ! Paradoxe : cet épisode m’a soudé affectivement aux maghrébins. J’ai d’abord été un « bicot » et un « bougnoule », en France ! Je sais ce que ça fait ! Comment ne serais-je pas totalement impliqué en nous voyant tous, si perdus, si épouvantés sur ces images ! Ensuite viennent les « témoignages ». Autant de coups de poing dans la poitrine ! Je connais chacun de ceux qui parlent. D’aucuns ont été des amis si chers ! Je connais donc le sens qu’ils donnent à leurs paroles et les comptes qu’ils continuent à régler autant avec moi qu’avec eux-mêmes. Ils m’ont confirmé combien on parle de soi quand on parle des autres. Ce qui m’a agacé ou blessé s’est effacé dans les éclats de rire, que seul je peux avoir, mesurant la mauvaise foi qui parfois s’exprime. Et d’autres fois, la chaude affection qui nous unit dans le combat politique. Pourtant je sais que les spectateurs prendront pour argent comptant ce que chacun des témoins aura dit, bon ou mauvais, juste ou faux. « Pas grave », me dis-je. L’intérêt de ce film n’est pas là à mes yeux.

L’intérêt de ce film est dans la reconstruction du temps politique auquel il procède. Le travail d’archives et de mise en relation des événements est énorme. C’est un vrai travail d’éducation politique en ce sens qu’il place le « héros » du récit comme un produit de son temps. Je n’en suis qu’une illustration. Et tel est bien l’ordre dans lequel se place la vérité à mon sujet comme à celui de la plupart des militants politiques, hommes et femmes, qui se sont engagés, dans ma génération. Dans ces conditions le récit est fort. Il est utile : chacun le voyant peut se reconstruire lui-même en mesurant sa propre insertion dans ce temps politique. Qu’il s’agisse du temps passé pour ceux qui ont vécu, ou du temps présent pour ceux qui commencent le combat.

Les proportions d’influence des événements et des personnes données par le récit du film ne correspondent pas toujours à mon ressenti. C’est inévitable. Il en va de même pour la place qui m’est attribuée dans la chaînes des événements. Un ami très cher qui a vu ce documentaire, m’en à fait un résumé qui m’étrangle. Selon lui, ce récit montre que mon action n’a d’intérêt qu’à partir du moment où je romps avec le PS. Trente ans d’engagement ne vaudraient que par leur fin ? Je ne le crois pas. Mes trente ans de vie au Parti Socialiste sont celle d’un homme de son temps qui a cru jusqu’à la limite de ce qui était raisonnable, et sans aucun doute un peu au-delà, que c’est là que se jouait l’essentiel pour la gauche. Ce fut le cas. Longtemps. Jusqu’à ce que le vote de 2005 sur le référendum puis les conséquences qui furent tirées montrent que le divorce était consommé. C’est de la capitulation sur l’Europe libérale que vient pour moi la nécessité de rompre avec la social-démocratie à l’agonie qui paralyse le mouvement progressiste aujourd’hui. Je ne veux pas que mon engagement politique soit interprété comme une apologie de la rupture avec le Parti Socialiste. Et encore moins comme l’histoire d’un règlement de compte avec des personnages du type de François Hollande. Je le dis parce qu’une autre mode narrative prétend m’expliquer de cette façon et expliquer mon opposition à ce qu’incarne cet homme. Ma part de vérité est d’un autre ordre.

Dans mes actes, ce n’est pas la rupture qui compte, c’est la continuité. Le film de Rothschild le dit bien je crois. Mon engagement se mène au fil d’une longue vie d’engagement depuis l’âge de seize ans. Il le fait dans des formes et des cadres différents au service d’une même idée et d’un même combat. Chemin faisant je fais des bilans, je rectifie l’axe de travail, je tire des leçons, je remets en cause des certitudes, j’en conforte d’autres. Je ne suis ni dogmatique ni sectaire, ne prétendant ni avoir toujours eu raison sur tout, ni que d’autres aient eu tort en tous points. C’est ce qui me donne de la force pour demander que la reconnaissance de mes actes de clairvoyance pèse au moins du même poids que mes erreurs reconnues. De même ai-je pu m’accorder avec des gens qui étaient de purs adversaires auparavant, du moment que l’on s’entendait dorénavant sur le fond. Mes guerres ne sont jamais personnelles. L’essentiel est que le fil des idées ne se soit jamais rompu. De là ma distance vis-à-vis des récits qui passent à côté de cette dimension essentielle qui a tout commandé dans mes choix et décisions.

Alors, comment lire le portrait sur quatre pages publié par le « Nouvel Observateur » sans être étonné d’une absence de taille. Dans cette biographie, même au détour d’une phrase, il n’est mentionné nulle part que je suis l’auteur de onze livres. Onze ! Les ai-je écrits pour ne rien dire ? Ne disent-ils absolument rien de moi ni de ce que je crois ? Je n’écris pas ces mots sans tenir compte du fait que, selon mes amis, ce récit n’est pas défavorable puisque, pour une fois, « l’Obs » ne m’insulte pas, et que les photos ne me montrent pas comme d’habitude en diable grimaçant au nez rouge. Mais faire de quarante ans d’engagement politique une collection d’anecdotes où je réglerais des comptes avec Pierre, Paul ou Jacqueline n’explique rien sinon le lien des apparences et des circonstances. C’est juste l’air du temps présent qui est rendu dans ces récits. Celui des cyniques qui ne croient à rien ou se sont tellement trompés sans jamais en tirer une leçon qu’ils ont absolument besoin d’impliquer tous les autres dans leur désarmement intellectuel et moral. Que reste-t-il de tous mes textes présentés à chaque congrès et convention du PS dans ce récit de surface ? De quoi parlait-on à l’époque ? Que se passa-t-il quand l’amendement tiré du texte de la Gauche socialiste intitulé « Maastricht c’est fini ! » fut majoritaire ? Comment me suis-je accordé alors avec Lionel Jospin qui m’échangea le retrait de mes lignes contre… contre quoi ? Rien de tout cela n’intéresse le récit. Quel rôle joue mon livre « En quête de gauche » qui annonce mon départ du PS deux ans avant qu’il ait eu lieu ? Que pense Hollande du rôle que ce livre lui attribue depuis 1983 dans la dérive du PS vers la ligne « démocrate » ? Rien, pas un mot ! Mais ma présence aux funérailles de Pierre Lambert, voilà paraît-il un sujet ! Pourquoi mes thèses sur le capitalisme financier transnational furent-elles si disputées ? Que voulaient dire les polémiques à propos de l’alliance rouge-rose-vert ? Pourquoi fut-elle rejetée par Fabius en 1992 et finalement adoptée par Jospin en 1997 ? C’est pourtant au sujet de tout cela que se firent ruptures, amitiés et combats au dernier sang.

Non, les idées n’étaient pas l’habillage de nos querelles personnelles. Je n’ai pas de querelles personnelles. Bien des personnages dont il est question à mon sujet m’indiffèrent absolument en tant que personnes. Mais je sais qui ils sont en raison de ce qu’ils pensent. Ce fossé ne peut plus être comblé à présent que par des bulletins de vote, dans des élections sans tricheries. Mon but est de faire changer de ligne la direction de la gauche pour battre la droite. Pour cela je me réjouis de n’avoir plus rien de commun avec les fossoyeurs de l’idéal socialiste qu’ils sont ! Eux, leurs pompes dans l’Hérault, leurs splendeurs en Bouches-du-Rhône, leurs exploits en Pas-de-Calais et ainsi de suite, ramassis de bourreurs d’urnes de congrès qui présentent le premier bénéficiaire politique de leurs trucages pendant onze ans comme candidat. Je ne connais pas François Hollande comme personne. Sans aucun doute est-il charmant et drôle comme le rapporte la rumeur. Lui-même m’a dit que la différence entre nous deux est que je crois l’histoire tragique tandis qu’il se dit par nature confiant. Mais pour moi, il est d’abord l’homme qui fut le premier à relayer en France les thèses de Bill Clinton qui seront ensuite illustrées par Tony Blair. L’homme qui écrivait le livre de Max Gallo « La troisième alliance – pour un nouvel individualisme ». Celui qui prêtait anonymement à la radio sa voix en 1982 à un auteur se présentant comme de droite extrême, en fait Bercoff, sous le pseudonyme de Caton. L’homme qui proposait comme programme en 1983, dans une tribune pour le journal « Le Monde » : « Soyons modernes, soyons démocrates ». Il n’a jamais démordu de sa ligne. Moi non plus de la mienne. Je crois que mon pays a un rôle révolutionnaire dans l’histoire qui s’écrit en ce moment et qu’il va l’accomplir. Lui ne sait pas de quoi je parle. Je suis copain d’Oskar Lafontaine, lui de Zapatero. Je lui souhaite une bonne année, meilleure que celle de Sarkozy, moins bonne que celle de mon projet.


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