Docteure en sociologie à Metz, Sabrina Sinigaglia-Amadio décrypte les mécanismes de reproduction qui perpétuent les stéréotypes sexistes dès la naissance.
Comment l’identité, féminine ou masculine, se construit-elle dans les premières années de la vie ?
Sabrina Sinigaglia-Amadio. La construction démarre très tôt, même avant la naissance, par les projections que les parents peuvent faire sur l’enfant. Prénom, activités, métiers à venir : l’anticipation est déjà très sexuée. Sciemment ou non, les cadeaux, la couleur de la chambre ou celle des vêtements créent un environnement spécifique. Et ce modèle de répartition sexuée se poursuit jusqu’à la crèche, où la plupart du temps, activités et lectures sont, elles aussi, marquées. Des impensés sociaux continuent à nous faire agir d’une manière que nous croyons naturelle mais qui ne l’est pas.
Que répondre à la justification de cette différenciation par la « nature », par « l’essence » ?
Sabrina Sinigaglia-Amadio. Qu’elle est globalement fausse. Des différences biologiques existent, comme la taille ou la force, et il serait aberrant de les nier. Cependant, comme l’explique la biologiste Catherine Vidal dans Le cerveau a-t-il un sexe ?, les hormones ne déterminent en aucun cas les capacités sociales. Ce n’est pas parce qu’une femme porte un enfant qu’elle est plus à même de s’en occuper. Seulement 10% des connexions neuronales sont définies à la naissance, le reste n’est qu’apprentissage. Par exemple, l’idée selon laquelle « les femmes ne savent pas lire un plan » tient simplement à l’acquisition du repérage dans l’espace, plus stimulé en jouant au foot qu’à la poupée.
Quelle influence exerce cette éducation différenciée sur l’individu ?
Sabrina Sinigaglia-Amadio. Elle conditionne l’identité, l’estime de soi, la capacité à se projeter. Une fille ne va pas s’imaginer spontanément devenir conductrice d’engins. Un garçon ne s’autorisera peut-être pas à faire de la danse, parce qu’on pourrait penser qu’il est homosexuel, et que la société où l’on vit érige le couple homme-femme comme le seul modèle légitime. La question « as-tu un amoureux ? » posée à une fille va déjà en ce sens. Cette première transmission des valeurs, dans la famille et les lieux de socialisation, est déterminante. C’est à l’adolescence, au contact de groupes de pairs, que de nouveaux principes viendront les nuancer, mais les premiers resteront la référence. Or, cette norme peut être ressentie comme une violence symbolique chez un enfant qui se sentirait « à côté ». Elle pèse aussi sur la relation à l’autre, suscitant moqueries et agressions.
Comment expliquer la levée de boucliers de la droite après l’introduction de la notion de construction sociale du sexe dans les manuels scolaires destinés aux lycéens ?
Sabrina Sinigaglia-Amadio. Reconnaître cette construction sociale revient à mettre en cause la société établie en avançant un autre possible, cela dérange nécessairement le modèle défendu par les traditionalistes : une répartition des tâches inégalitaire, définie et pensée, justifiée par le biologique. Ce sont les mêmes raccourcis qui fondent et entretiennent les inégalités. Ce n’est pas un hasard si les violences conjugales sont massivement perpétrées par les hommes, éduqués dans une logique guerrière où « il faut se battre pour faire sa place ». Les déterminismes basés sur le sexe, la classe sociale ou la couleur de peau obéissent aux mêmes mécanismes. C’est pour cela que la question de l’appartenance de genre ne doit pas être déconnectée des autres rapports sociaux.
Entretien réalisé par F. B., L’Humanité
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