Mécanismes sociaux de reproduction et stéréotypes sexistes

lundi 2 janvier 2012.
 

Docteure en sociologie à Metz, Sabrina Sinigaglia-Amadio décrypte les mécanismes de reproduction qui perpétuent les stéréotypes sexistes dès la naissance.

Comment l’identité, féminine ou masculine, se construit-elle dans les premières 
années de la vie  ?

Sabrina Sinigaglia-Amadio. 
La construction démarre très tôt, même avant la naissance, par les projections que 
les parents peuvent faire sur l’enfant. Prénom, activités, métiers à venir  : l’anticipation est déjà très sexuée. Sciemment ou non, les cadeaux, 
la couleur de la chambre 
ou celle des vêtements créent 
un environnement spécifique. 
Et ce modèle de répartition sexuée se poursuit jusqu’à 
la crèche, où la plupart 
du temps, activités et lectures sont, elles aussi, marquées. 
Des impensés sociaux continuent à nous faire agir d’une manière que nous croyons naturelle mais qui ne l’est pas.

Que répondre à la justification 
de cette différenciation par 
la « nature », par « l’essence »  ?

Sabrina Sinigaglia-Amadio. Qu’elle est globalement fausse. Des différences biologiques existent, comme la taille ou la force, 
et il serait aberrant de les nier. Cependant, comme l’explique la biologiste Catherine Vidal dans Le cerveau a-t-il un sexe  ?, les hormones ne déterminent en aucun cas les capacités sociales. Ce n’est pas parce qu’une femme porte un enfant qu’elle est plus à même de s’en occuper. Seulement 10% 
des connexions neuronales 
sont définies à la naissance, 
le reste n’est qu’apprentissage. Par exemple, l’idée selon laquelle « les femmes ne savent pas lire un plan » tient simplement à l’acquisition du repérage dans l’espace, plus stimulé en jouant au foot qu’à la poupée.

Quelle influence exerce 
cette éducation différenciée 
sur l’individu  ?

Sabrina Sinigaglia-Amadio. Elle conditionne l’identité, l’estime de soi, la capacité à se projeter. Une fille ne va pas s’imaginer spontanément devenir conductrice d’engins. Un garçon ne s’autorisera peut-être pas à faire de la danse, parce qu’on pourrait penser qu’il est homosexuel, et que la société où l’on vit érige le couple homme-femme comme le seul modèle légitime. La question « as-tu un amoureux  ? » posée à une fille va déjà en ce sens. Cette première transmission des valeurs, dans la famille 
et les lieux de socialisation, 
est déterminante. C’est 
à l’adolescence, au contact 
de groupes de pairs, 
que de nouveaux principes viendront les nuancer, mais 
les premiers resteront 
la référence. Or, cette norme peut être ressentie comme 
une violence symbolique chez un enfant qui se sentirait 
« à côté ». Elle pèse aussi sur la relation à l’autre, suscitant moqueries et agressions.

Comment expliquer la levée de boucliers de la droite après l’introduction de la notion 
de construction sociale du sexe dans les manuels scolaires destinés aux lycéens  ?

Sabrina Sinigaglia-Amadio. Reconnaître cette construction sociale revient à mettre 
en cause la société établie 
en avançant un autre possible, cela dérange nécessairement le modèle défendu par les traditionalistes  : une répartition des tâches inégalitaire, définie et pensée, justifiée par 
le biologique. Ce sont les mêmes raccourcis qui fondent et entretiennent les inégalités. Ce n’est pas un hasard si 
les violences conjugales sont massivement perpétrées par les hommes, éduqués dans une logique guerrière où « il faut 
se battre pour faire sa place ». Les déterminismes basés 
sur le sexe, la classe sociale 
ou la couleur de peau obéissent aux mêmes mécanismes. C’est pour cela que la question 
de l’appartenance de genre 
ne doit pas être déconnectée des autres rapports sociaux.

Entretien réalisé par F. B., L’Humanité


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