L’histoire du PCF se répète, en farce, par Jacques Bidet ( professeur émérite à l’université de Nanterre Paris-X)

mardi 2 janvier 2007.
 

Dans le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte, Marx écrit que l’histoire se répète toujours deux fois. Il tenait ça de Hegel. Mais il précise : une première fois comme tragédie, une seconde fois comme comédie. Il s’agit en effet du coup d’Etat du futur Napoléon III. Or c’est précisément ce genre d’histoire qui arrive aujourd’hui au parti dont il est le légendaire ancêtre. Et l’on ne sait donc si, là-haut, il pleure ou s’il rit.

La tragédie, toutes proportions gardées, c’était à l’automne 1977, quand Georges Marchais et ses proches décident, à une très courte majorité au seindu bureau politique, de mettre fin à l’aventure du programme commun. Il est vrai que les socialistes n’en voulaient guère. Longtemps, beaucoup l’avaient appelé le "programme communiste". Et c’était vrai : avec son cortège de nationalisations et de réformes sociales radicales, il reflétait une impulsion venue de loin dans le communisme français, revigoré par les luttes de 1968.

Finalement pourtant, il gagnait les esprits, même dans la mouvance socialiste, qui finit par en adopter au moins le discours. Tant et si bien que le PS connut un essor remarquable et inattendu, une vraie résurrection, tandis que le PCF, enfermé dans sa culture ouvriériste, piétinait sur ses terres. Inquiétude au sommet : le mouvement nous échappe, les socialistes nous passent devant, nous ne tenons plus la barre. Il faut trouver autre chose. C’est dans ces conditions que Georges Marchais abrège ses vacances.

Quelques-uns se souviennent encore de son récit, qui fit le bonheur de la presse,"Liliane, fais vite les valises, il faut rentrer, les socialistes..." Il rentre en trombe et définit sobrement la situation en ces termes : les socialistes ont abandonné le programme commun.

Durant les mois qui suivent, L’Humanité répète jour après jour la triste nouvelle. On y cherchera en vain le moindre appel à une mobilisation populaire pour la défense de ce fameux programme. On ne savait pas faire. Morosité générale. Stupeur des combattants. Il faudra attendre exactement cent jours avant les élections de 1978 pour que la situation se dégèle, grâce à divers bons offices... dont ceux de la CFDT, qui suggère : peut-être pas 1 500 nationalisations, mais, disons, 500, les plus importantes, il est vrai.

Mais le mal est fait. L’élan est brisé. Ainsi finit la décennie ouverte en 1968. On connaît la suite. L’échec aux législatives de 1978. Et le triomphe très personnel, modeste, mais "royal" déjà, de François Mitterrand en 1981, avec toutes les prérogatives d’un pouvoir présidentiel lui permettant d’interpréter à sa guise un programme de moins en moins commun.

La "tragédie", en tout cela ? C’en fut une, au moins, pour la famille communiste, soit un Français sur cinq à l’époque : "le Parti" fond à vue d’oeil, des centaines de milliers de militants, souvent très actifs, de toutes les générations, de la Résistance aux guerres coloniales et à Mai 68, le quittent sur la pointe des pieds, ou s’en détachent par couches successives, rénovateurs, refondateurs et autres réformateurs. La "banlieue rouge" se décolore, les forteresses ouvrières tombent l’une après l’autre. On trouve le bouc émissaire : ce programme commun avait été "fabriqué au sommet", leitmotiv à l’usage des nouveaux adhérents.

La seule chose pourtant qui soit venue du sommet, c’est, en 1977, la décision d’arrêter les frais. Il reste, il est vrai, 100 000 adhérents. Et l’appareil, miniaturisé, est intact. Le Parti s’était même rénové, ces derniers temps, admettant tendances et différences, jetant des forces appréciées dans la bataille antilibérale. Il commençait à trouver une nouvelle légitimité. A attirer de nouveaux adhérents. Des jeunes même (songeons qu’ils sont très nombreux à avoir eu des parents communistes...). Avec l’altermondialisme, la lutte contre l’Europe libérale et contre le CPE, il monte en puissance. Il redevient fréquentable.

Et voilà que tout bascule en quelques jours. On remet ça comme en 1977. A trente ans de distance. Cette fois, en forme de comédie. Scénario analogue, en modèle réduit. Car il est bien vrai que les communistes, une large fraction au moins d’entre eux, avec l’appui de leur direction, se sont pleinement retrouvés dans ce nouvel espace politique, "la gauche de la gauche" ou "la gauche de gauche".

Avec une multitude de gens ayant une tout autre histoire, mais en fin de compte à peu près les mêmesidées. Avec une foule bigarréed’associatifs, souvent leurs "ex-", qui mettent leur passion politique là où ils le peuvent. Ils n’ont pas eu trop de mal à rédiger leur "programme commun", les options sociales fondamentales étant, de Copernic à Fabien en passant par Attac, assez voisines.

Et ils furent ensemble très heureux. Jusqu’au moment où il fallut choisir un chef d’orchestre. Et là, tout chavire. Comme en 1977, on découvre en haut lieu que l’on n’a plus le contrôle. On a engendré (avec d’autres, il est vrai) un être qui vous échappe. On a mis en marche une machine de guerre sociale qui va d’elle-même de l’avant, selon une dynamique qui n’est pas celle d’un parti communiste.

A cela il doit y avoir des causes profondes. Désormais, la lutte contre les "méfaits du capitalisme" ne peut plus trouver son unité dans les modèles d’une société qui a disparu. Elle ne peut plus se rattacher à des objectifs ultimes, supposés être la condition de tout le reste. Désormais, la "grande bataille" dont parlait Michel Foucault ne peut se développer que par la sommation alchimique de luttes extrêmement diverses, liées à des demandes de reconnaissance incomparables entre elles, dans des situations sociales de plus en plus fluides, même si tout cela se rattache aux mêmes causes.

Les objectifs et intérêts généraux ne manquent pas pour faire un programme : des lois sociales aux services publics. Mais les groupes sociaux qui peuvent les porter n’ont plus ni la stabilité ni la relative homogénéité de l’époque antérieure. Et le principe d’unité se cherche encore, qui serait capable de troubler le jeu d’un bipartisme déjà de fait installé.

La comédie est dans la désarmante simplicité avec laquelle la direction du Parti communiste, qui s’est lancée dans un schéma de consensus, s’en retire au momentoù celui-ci est refusé à sa candidate secrétaire générale. Ses partenaires ont naturellement du mal à admettre que ce petit courant, qui fait 3 % à la présidentielle, puisse l’emporter à lui seul, en audience et en influence, sur toutes les autres composantes réunies, qui dépassent, dans leur esprit, les 10 %. Ils récusent donc sa prétention à représenter l’ensemble. Et ils savent trop bien que leur lutte, identifiée à celle d’un parti, irait à l’échec.

Au final, le PC se retrouve donc seul, piégé dans le petit scénario que ses stratèges avaient imaginé. Quel que soit son résultat, il a perdu la position symbolique et stratégique qu’il tenait d’une histoire ancienne et parfois glorieuse. Mais finir en comédie n’est pas forcément une tragédie. Car il reste les acteurs qui pourraient songer à se reconvertir. Sur la scène de l’histoire, le rideau n’est pas encore tombé.


Professeur émérite à l’université de Nanterre Paris-X


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