Quand des travailleurs sans-papiers algériens et la mosquée de Paris sauvaient des juifs persécutés

mardi 20 mars 2018.
 

En 2008, nous avions mis en ligne un petit article extrait d’un site berbère sur cette question (ci-dessous texte 1 et adresse URL portée en source).

Un film sort en salle fin septembre 2011 sur ce sujet : Les hommes libres (réalisé par Ismaël Ferroukhi). Texte 2 et 3 ci-dessous.

Le Nouvel Observateur n° 2448 (22 au 28 septembre 2011) publie un long entretien de 3 pages avec l’excellent historien Benjamin Stora qui apporte des précisions très intéressantes sur cette action de travailleurs algériens sans-papiers durant la seconde guerre mondiale pour sauver des juifs (ci-dessous courts extraits Texte 4).

4) Quand la mosquée de Paris sauvait des juifs (entretien avec Benjamin Stora)

Ces travailleurs immigrés, souvent illettrés, toujours maltraités, constamment humiliés, ont eu une dignité que beaucoup de "bons français" ont piétinée. Ils sont restés des hommes, simplement des hommes mais hautement des hommes

En 1939, ces Algériens en France étaient près de 100000... Sur le plan statistique, ils n’existaient pas. Main d’oeuvre non qualifiée, écrasée socialement, au bas de l’échelle, c’étaient tous des paysans jetés dans l’univers industriel sans rien connaître des codes urbains. Ils habitaient, dans des conditions très misérables, des "garnis"...

Quel était donc leur moyen d’exister, comme hommes ?

La lutte politique et syndicale. D’où l’importance d’une organisation créée en 1926, l’Etoile nord-africaine... Ce mouvement politique a participé aux grèves du Front populaire.

Ces hommes ainsi niés par l’Etat français, pourquoi s’engagent-ils contre les Allemands ?

Leurs motifs ne sont pas patriotiques ! Ils se situent dans une matrice politique et culturelle qui est celle du syndicalisme et du socialisme... La majorité des immigrés de cette époque, Polonais, Italiens, Espagnols, rejoignent le PC, via la MOI, l’Affiche rouge... Pas les Algériens... Messali Hadj, le principal leader indépendantiste de l’époque, était proche du POUM espagnol, donc, aux yeux des communistes quasiment un ennemi... Messali Hadj était contre Vichy. Il a d’ailleurs écopé en 1941de seize ans de travaux forcés... pour avoir refusé la collaboration.

L’un des aspects les plus étonnants du film, c’est la bienveillance dont fait preuve le recteur de la mosquée de Paris envers les juifs

... Qu’est-ce qui s’est passé pour les juifs séfarades à Paris en 1940 1941 ? La plupart parlaient arabe... Il était tentant de se faire passer pour des mahométans pour échapper aux rafles et aux arrestations...

Guerre d’Espagne (1936-1939) : 500 Algériens ont combattu au sein des Brigades internationales contre le fascisme

3) Une vision méconnue de Paris occupé

Pour son deuxième long métrage, le Franco-Marocain Ismaël Ferroukhi met au jour 
les activités secrètes de la grande mosquée de Paris en 1942. Les Hommes libres, d’Ismaël Ferroukhi. France, 1h50.

En 1942, dans Paris occupé, Younes (Tahar Rahim, la révélation d’Un prophète, de Jacques Audiard), jeune immigrant algérien, mène la vie qu’il peut à coups de petits trafics et de marché noir. Jusqu’au jour où, raflé par la police allemande, il n’a plus qu’à choisir entre croupir dans des geôles qui n’attendent que lui ou être relâché et reprendre son bizness, mais à condition de devenir indicateur. Ce qu’il décide sans hésiter, option conforme au personnage, à son absence de scrupules et à son goût immodéré du moindre effort et de la combine. Son physique comme sa connaissance de la langue arabe en font la taupe idéale pour infiltrer la grande mosquée de Paris.

Les Allemands soupçonnent son recteur (Michael Lonsdale, droit sorti de la bure monastique de Des hommes et des dieux qu’il remplace pour l’occasion par la chéchia) de mener un double jeu malgré les marques de déférence qu’il leur accorde. Entre prières et ablutions, Youssef fait la connaissance de Salim Halali (Mahmoud Shalaby), un chanteur algérien qui cherche à dissimuler son ascendance juive.

Là est le mérite principal de l’œuvre, lever le voile sur un pan bien occulté de notre histoire. De même qu’Indigènes, de Rachid Bouchareb, avait fait beaucoup pour raviver le souvenir du rôle joué par les troupes coloniales dans la défense de la patrie, les Hommes libres nous semble être le premier film à rappeler qu’il se trouva des musulmans pour sauver des juifs du nazisme pendant l’Occupation, rappel qui, aujourd’hui tout particulièrement, n’est pas forcément inopportun.

Précisons que les faits ne sont pas une invention de scénariste, l’historien Benjamin Stora ayant au demeurant contribué à l’écriture. Sous des dehors ostensiblement collaborationnistes, le recteur, Si Kaddour Ben Ghabrit, homme mystérieux qui tint la mosquée jusqu’à sa mort en 1954, signa des certificats d’appartenance à la confession musulmane au profit de juifs et de résistants. Une centaine pour les plus sceptiques, mille six cents pour les plus convaincus.

Quant au chanteur, il s’agit bien de Salim Halali, de son vrai nom Simon, né en Algérie en 1920 et mort à Antibes en 2005. Connu pour interpréter le flamenco en arabe, il est la coqueluche des clubs parisiens d’avant-guerre avant de lancer la vogue du cabaret oriental après, à Paris puis au Maroc.

Entre les deux, le recteur de la mosquée lui aura sauvé la vie en gravant le nom de son défunt père sur une tombe du cimetière musulman de Bobigny et en engageant Salim comme musicien au café maure de la mosquée. Que reconnaîtront immédiatement tous ceux qui y ont mis un jour les pieds, ne serait-ce que le temps de boire un thé.

Film tout à fait intéressant donc, sinon qu’il est très académique. Ismaël Ferroukhi avait été une révélation avec le Grand Voyage, justement primé au titre de la meilleure première œuvre à Venise. Il n’a pas cette fois retrouvé son souffle.

Jean Roy, L’Humanité

2) Quand la Mosquée de Paris sauvait des juifs - Les Hommes libres

Synopsis : 1942, Paris est occupée par les Allemands. Younes, un jeune émigré algérien, vit du marché noir. Arrêté par la police française, Younes accepte d’espionner pour leur compte à la Mosquée de Paris. La police soupçonne en effet les responsables de la Mosquée, dont le Recteur, Si Kaddour Ben Ghabrit, de délivrer de faux-papiers à des Juifs et à des résistants.

A la mosquée, Younes rencontre le chanteur d’origine algérienne Salim Halali. Touché par sa voix et sa personnalité, Younes se lie d’amitié avec lui. Il découvre rapidement que Salim est juif. Malgré les risques encourus, Younes met alors un terme à sa collaboration avec la police. Face à la barbarie qui l’entoure, Younes, l’ouvrier immigré et sans éducation politique, se métamorphose progressivement en militant de la liberté.

Date de sortie cinéma : 28 septembre 2011

Réalisé par Ismael Ferroukhi

Avec Tahar Rahim, Michael Lonsdale, Mahmud Shalaby,

Long-métrage français . Genre : Drame

Durée : 01h39min Année de production : 2010

Distributeur : Pyramide Distribution

1) Quand la mosquée de Paris cachait des juifs persécutés

Dans le Paris de 1942-44, des musulmans ont sauvé des enfants persécutés. La médaille des Justes pourrait leur être décernée à titre posthume

La situation au Proche-Orient pourrit mon existence : je ne peux pas raconter de blagues sur les juifs sans risquer des regards réprobateurs. C’est peu de chose comparé à la peur que ressentent certaines personnes coiffées d’une kippa quand elles prennent le métro. Et que dire de l’antisémitisme qui monte d’un cran dans nos quartiers chaque fois que les chars merkavas sont de sortie ? Il faut continuer à penser que les personnes qui, d’un coté comme de l’autre, contribuent à importer les tensions israélo-palestiennes dans l’Hexagone forment une minorité. S’il convient de rappeler que les antagonismes entre juifs et arabes ne datent pas d’hier – le grand mufti de Jérusalem dans le contexte d’un nationalisme anti-britannique soutenait les nazis –, peu savent que des musulmans ont agi comme des Justes, ces personnes qui ont protégé des juifs pendant les persécutions de la Seconde Guerre mondiale. Episode méconnu de la résistance française : des résistants algériens cachaient des juifs dans la Mosquée de Paris sous l’occupation.

Le "groupe Kabyle" – nom donné aux FTP (francs-tireurs et partisans) algériens car la langue berbère qu’ils utilisaient rendait toute infiltration de leur réseau extrêmement difficile – fut créé en 1942 ; au départ pour venir en aide aux soldats d’Afrique du Nord évadés des camps de prisonniers allemands. Les parachutistes anglais terrés dans Paris et le début des persécutions juives dans la capitale ont étoffé leur domaine d’activités. La plupart de ces FTP étaient originaires des milieux ruraux extrêmement pauvres de l’Algérie coloniale. Émigrer à Paris leur a ouvert les portes d’un nouveau monde. Dans les usines, ils ont acquis une conscience politique, ils étaient tous syndiqués et participaient aux grèves. Leur engagement militant s’est poursuivi durant l’occupation au service de la résistance.

Les motivations religieuses n’étaient donc pas forcément au cœur de leur engagement lorsqu’ils amenèrent des enfants juifs à la mosquée de Paris pour les soustraire aux rafles, avec l’accord et le soutien de son recteur, Si Kaddour Benghabrit. Les persécutés y trouvèrent asile, en majorité des enfants, mais aussi parfois leurs parents ainsi que nombre de parachutistes anglais. La mosquée fournissait un sanctuaire permettant d’organiser leur évacuation vers la zone libre ou le Maghreb. Ils étaient alors dissimulés sous une identité algérienne quitte à leur fournir de faux papiers par le biais de la mosquée. L’immigration maghrébine étant essentiellement le fait d’hommes seuls, faire passer des enfants juifs pour des enfants algériens n’était pas sans risque. Cacher une personne vouée au camp de la mort revenait à risquer le même sort.

Dans un tract écrit en kabyle durant ces années noires, intitulé « Comme tous nos enfants », on peut lire ceci : « Hier, à l’aube, les juifs de Paris ont été arrêtés, les vieillards, les femmes comme les enfants, en exil comme nous, ouvriers comme nous, ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants. Si quelqu’un d’entre vous rencontre un de ces enfants, il doit lui donner asile et protection, le temps que le malheur passe. »

Derri Berkani, cinéaste français d’origine algérienne, relate ces faits dans son film « Une résistance oubliée, la Mosquée de Paris ». Dans ce documentaire, le docteur Assouline, un des liens entre les résistants algériens et la population juive, témoigne : il comptabilise 1600 cartes alimentaires (une par personne) qu’il avait fournies à la Mosquée de Paris pour les juifs qui y avaient trouvé refuge. Les souches de ces mêmes tickets donnent le chiffre de 1732 en comptant les parachutistes anglais que la mosquée a abrités.

Un appel à témoin de juifs sauvés par la Mosquée de Paris entre 1942 et 1944 a été lancé en 2005 pour que la médaille des Justes soit remise aux descendants de Si Kaddour Benghabrit par le mémorial Yad Vashem. Si la démarche aboutit, il sera le premier Maghrébin à recevoir à titre posthume une des plus hautes distinctions conférées par l’Etat hébreux. Que ce soit par compassion envers les souffrances des Palestiniens où pour le droit d’Israël à exister, certains Français entretiennent un lien émotionnel fort avec le conflit israélo-palestien. En attendant de trouver de l’espoir dans le futur, trouvons-le dans le passé.

Auteur : Idir Hocini Avril 2008


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