La Droite et la culture de 2002 à 2006 : un sombre bilan

jeudi 28 décembre 2006.
 

« Il n’y a pas de culture de gauche et de culture de droite, mais il y a une politique culturelle de gauche et une politique culturelle de droite ».Plus que jamais cette affirmation apparaît justifiée, au vu du bilan de l’actuel pouvoir durant la législature qui s’achève.

Plus que jamais aussi, il est temps de (re)donner à la culture la place centrale qui doit être la sienne dans notre société, frappée de plein fouet par le chômage et la précarité, en perte de repères et en quête d’identité. C’est bien parce qu’il y a un lien intime entre la culture et la solidarité, le progrès, le « vouloir vivre ensemble », que la gauche se doit à nouveau de remettre la culture au cœur de son identité politique, comme de ses priorités.

I) Une incontestable régression

1 La baisse du budget de la culture, en dépit des trompe l’œil du gouvernement

Les gouvernements Raffarin et Villepin ont multiplié les annonces manipulatrices pour cacher la baisse des crédits.

En 2003, alors que le budget était officiellement en hausse de 3,9%, la réalité a été celle d’une baisse de 5,5%, traduite par une dégringolade astronomique des crédits de paiement de 215 M euros, qui a durablement désorganisé la gestion des moyens de l’Etat.

En 2004, 2005 et 2006, les très modestes hausses affichées en DO +AP ou AE (dépenses ordinaires et autorisations de programme ou d’engagement) ont toujours été inférieures à l’inflation, tandis que le budget du spectacle vivant était optiquement épargné, pour éviter au pouvoir le courroux des professionnels de ce secteur.

En 2006, le pouvoir a usé d’un nouveau stratagème pour donner l’apparence d’une hausse, présentée à + 4,9% : l’affectation de 100 M de recettes de privatisation au budget culturel, non mentionnées dans les documents soumis au Parlement. Mais il s’agit d’un fusil à un coup, et utilisé surtout pour financer des opérations parisiennes. Hors cette dotation, le budget n’augmente que de 1%.

De plus, les gels, mises en réserve et annulations en tout genre ont ponctué l’exécution des Lois de Finances. En 2005, la ponction sur les crédits a été ainsi de 2,2% (20 M Euros). En 2006, 5% des crédits ont été « mis en réserve »à la suite de la mise en œuvre de la LOLF( loi organique relative aux lois de finances), puis ont été partiellement dégelés. Et pour payer les « dettes », les crédits de paiement sont ponctionnés, tandis que des postes vacants sont supprimés...

Pour 2007, il en va de même : une hausse de 7,8% du budget de la culture est annoncée, alors que la hausse réelle sera seulement de 2,2%, pour une inflation prévue à 1,8%, soit la quasi-stagnation ! Et faute d’argent, on prend à Pierre pour donner à Paul. A l’approche des élections, une hausse des crédits des Monuments Historiques a été programmée, mais la création est en revanche sacrifiée : hors grands établissements publics et fonds de professionnalisation, les crédits du spectacle vivant consacrés aux institutions et aux compagnies n’augmenteront que de 1,2%, soit moins que l’inflation. Le développement culturel est plus mal traité encore, c’est à dire les actions en région, et celles en faveur des publics et des politiques territoriales : ici, c’est tout simplement l’effondrement (-20% !).

Un autre constat d’importance doit être fait : au moment même où le budget du ministère de la culture est ainsi contraint, des grandes opérations à caractère national ont été lancées (cf infra dernière page) : une tendance lourde se fait alors jour, celle de la hiérarchisation de fait des priorités au bénéfice de quelques institutions nationales et au détriment des actions sur l’ensemble du territoire et en lien avec les collectivités territoriales.

La conclusion est claire : pas plus durant cette législature que dans les autres périodes où la droite a été au pouvoir, le budget de la culture n’a été une priorité. De surcroît, cette baisse a été accentuée par d’autres mesures nocives du gouvernement : tel est le cas de la suppression des emplois jeunes, qui a porté un lourd préjudice au secteur associatif culturel et de l’éducation populaire, ainsi qu’aux jeunes équipes de production.

2 La paralysie croissante de la politique culturelle

Le gouvernement n’a pas été avare de missions de réflexion et de proposition diverses et variées (exemple Rapport Latarget), de réunions de type grande messe pour donner le change et étaler son souci de concertation, et d’opérations de communication coûteuses et inutiles (éditions de maquette, soirées privées rue de Valois...) : autant de procédures destinées à occuper le terrain, mais débouchant sur du vide, ou presque.

C’est particulièrement le cas dans le spectacle vivant. L’actuel Ministre a tenu à l’automne 2005 des conférences de presses destinées à présenter sa politique dans les domaines du théâtre, de la danse, de la musique classique, et des musiques actuelles, mais, au-delà des banalités d’usage et des bonnes paroles consensuelles, aucune réforme d’envergure n’a été entreprise, ni aucune politique globale et cohérente esquissée, auxquelles se substitue en fait le recensement laborieux des actions menées par les services.

De timides propositions émergent sur l’emploi ou la diffusion, mais les quelques décisions concrètes annoncées peuvent difficilement passer pour des avancées majeures : création de diplômes nationaux de danseur, de comédien et de musicien ; création de l’aide à la maquette pour les compagnies de théâtre, poursuite de l’aide à la reprise dans la danse ou extension du dispositif de l’accueil-studio aux centres de développement chorégraphique, contrats d’association pour les compositeurs dans la musique... Le comble est atteint dans le secteur des musiques actuelles, où la seule mesure affichée fut...la création d’un conseil supérieur des musiques actuelles !

En fait, c’est l’immobilisme généralisé. Rien n’est dit sur le devenir des réseaux nationaux et des labels d’institutions culturelles, sur le soutien à la production et à l’innovation, sur la question pourtant majeure des amateurs, sur les rapports entre l’Etat et les collectivités territoriales, sur la conquête des publics...Le manque de vision politique et l’absence d’innovation sont patents.

Il en va de même dans les arts plastiques ou le livre. Le Premier ministre-poète que le Président de la République a donné à la France a fait en octobre 2005 un discours à la FIAC sur la création artistique, dans lequel il affirme « le rôle irremplaçable de l’art dans notre société », mais la politique de l’Etat dans la culture est bel et bien sans moyens et aussi sans idées. La création précipitée et improvisée de l’exposition « la force de l’art » au Grand Palais a révélé une prédilection pour les opérations évènementielles au détriment de l’action en profondeur : dans le même temps en effet, les missions des FRAC sont remises en cause. L’Etat a baissé en catimini leurs crédits d’acquisition, s’attirant la réplique des présidents de FRAC, qui ont engagé une démarche commune pour protester contre le péril menaçant leurs structures.

La démarche est semblable pour les cultures urbaines : célébrées le temps d’une fête au Grand Palais (Rue »), elles sont en fait négligées parce que les crédits consacrés à ce type d’actions de proximité sont en chute libre. L’administration culturelle, tant en centrale que dans les DRAC, est du reste notoirement découragée, de même que les acteurs de la présence culturelle de la France à l’étranger (centres et instituts culturels ). Pendant ce temps, la vie artistique évolue, les besoins croissent, les publics stagnent, et les nouveaux talents et les jeunes générations montent, sans vraie reconnaissance des pouvoirs publics... Il est significatif que la démarche innovante et de long terme que la gauche avait engagée sur « les nouveaux territoires de l’art » et « les espaces intermédiaires » ait été aussitôt abandonnée après le retour de la droite au pouvoir.

3 L’abandon de l’éducation artistique

Le gouvernement (beaucoup plus au niveau du ministère de l’éducation que de la culture) a laminé le plan Lang-Tasca lancé en 2000, qui, ambitieux, global et cohérent, visait à généraliser l’éducation artistique à l’école. Tous ceux qui luttent en faveur de l’éducation artistique le savent : celle-ci n’est plus une priorité. Ainsi, les classes à « PAC » (classes à projet artistique et culturel) sont en voie de disparition, faute de crédits et de soutien. Ici aussi, et une fois de plus, le pouvoir a tenté de donner le change et de cacher son abandon derrière la création d’une instance supérieure consultative (le Haut Conseil de l’Education Artistique, en fait déjà crée en 1988), et ce qu’il eut le culot de présenter comme « un plan de relance de la politique conjointe en matière d’éducation artistique et culturelle », assorti d’une circulaire aux DRAC et Recteurs, en escomptant en fait un engagement accru des collectivités territoriales pour financer les actions. Mais en fait, les crédits sont laminés, les bonnes volontés découragées, les initiatives rabotées.

4 Le délabrement du patrimoine

Le patrimoine monumental a été tout particulièrement frappé par les coupes budgétaires, notamment pour les CP (crédits de paiement) : restaurations reportées, chantiers arrêtés, services de l’Etat en cessation de paiement, entreprises menacées, emploi en berne... Ainsi en 2003, ce sont 100 M Euros qui ont été perdus. En 2005, la patrimoine a subi une baisse réelle de 25%, à cause de la disparition des crédits reportés et des trous en CP de l’année précédente. Les 100 M Euros supplémentaires annoncés en 2006 ne sont, on l’a vu, qu’un subterfuge. La réouverture ponctuelle du Grand Palais comme le Plan exceptionnel pour le Grand Versailles apparaissent dans ce contexte comme des leurres cachant la grande misère des monuments historiques.

Pour 2007, le gouvernement a réagi en annonçant l’affectation aux MH (monuments historiques) d’une partie du produit des droits de mutation à titre onéreux, pour un montant de 70 M euros par an . Cette décision tardive et précipitée ne va pas sans ambiguités cependant : les crédits 2007 des MH « non Etat » (propriétés des collectivités territoriales ou de personnes privées) augmentent de 40 M euros en AE (autorisations d’engagement), mais baissent de 23 M euros en CP (crédits de paiement) ; cette mesure intervient dans le contexte d’une réforme controversée des services patrimoniaux ( rattachement des SDAP, services départementaux de l’architecture et du patrimoine aux DRAC, d’où des interrogations sur le devenir de leurs missions à caractère interministériel et du pouvoir d’avis conforme des ABF, les Architectes des Bâtiments de France) ; de surcroît la pérennité de la mesure n’est nullement garantie si l’on en croit les projets fiscaux de l’UMP...

En matière d’archéologie, la droite, par une loi de 2003, amendée elle-même en 2004, a réformé l’archéologie préventive dans un sens libéral : mise en concurrence commerciale pour les fouilles (choix de l’opérateur des fouilles par l’aménageur), fragilisation de l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), rendement de la redevance instituée inférieur aux besoins.

En matière d’architecture, la réforme des études reste inachevée ; la séquence professionnalisante instaurée en fin d’études se réduit à un stage de 6 mois, et son financement n’est pas assuré. Une fois de plus, la droite s’illustre par son incapacité à traiter convenablement l’insertion des jeunes diplômés. De plus, dans le champ de la construction, le partenariat public/privé a été instauré, ce qui compromet l’indépendance du maître d’oeuvre, et donc la qualité de l’ouvrage, même si la mobilisation des professionnels a permis de limiter les effets négatifs de cette mesure.

5 Le pluralisme menacé par la concentration économique

Les processus de concentration se sont développés dans la presse, les médias et les industries culturelles.

Le pouvoir a feint de s’en préoccuper, en commanditant le rapport Lancelot sur la concentration dans les médias. « Circulez, y a rien à voir », ainsi peut-on résumer celui-ci, qui a accouché d’un diagnostic lénifiant et fort peu sévère, assorti de mesures techniques, et d’une proposition de fusion entre le CSA et l’ARCEP . Une telle fusion serait la porte ouverte à l’abandon de la spécificité du contrôle et du soutien des médias audiovisuels. Pendant ce temps, assurés de la »passivité » du pouvoir, les grands groupes ont avancé. Dans l’audiovisuel, la fusion des bouquets TPS ( TF1 et M6), et Canal-Sat (Canal+ et Lagardère) était sans doute nécessaire , mais elle symbolise le cartel des sociétés audiovisuelles qui se partagent la rente actuelle, et certaines chaînes thématiques ne s’en relèveront pas. En outre, Bouygues et Vivendi préparent maintenant la grande convergence entre téléphone et télévision. Dans la presse, nationale comme régionale et locale, la financiarisation et les impératifs de gestion sont plus que jamais prégnants. La dépendance de groupes de presse à l’égard de secteurs industriels vivant de la commande publique demeure, plus que jamais aussi, un particularisme français. Lagardère et Dassault (lequel s’implante aussi dans le secteur de la publicité) s’illustrent dans ce secteur, ainsi que Bertelsmann, et entendent profiter de l’éclatement de l’ex-empire Hersant/Socpresse, ce qui crée de la sorte de nouveaux risques pour la diversité de l’information locale. Dans l’édition, le groupe Lagardère a également poursuivi son expansion : il a racheté Editis à Vivendi, avec l’aval du gouvernement, menaçant de devenir ainsi un acteur en position plus que dominante dans la production et la distribution du livre.. C’est la réaction des éditeurs indépendants et de la Commission de Bruxelles qui l’ont obligé à en revendre une partie, mais à Wendel Investissement de Mr Seillère. Les phénomènes de concentration verticale, regroupant dans un même groupe les fonctions de production /édition et celles de diffusion (télévision et/ou radio), sont de plus en plus préoccupants, car ils créent distorsion de concurrence et situation de dépendance des producteurs par rapport aux diffuseurs. En résumé, TV nationales et locales verrouillées, presse quotidienne d’information générale de plus en plus en difficulté, création de monopoles nationaux sur plusieurs segments : en réponse, le pouvoir tergiverse ou laisse faire, mêlant demi-mesures budgétaires et créations de comités, observatoires et conseils qui ne cachent guère son absence de vision, pas plus que ses arrières pensées.

II De graves échecs

1 La crise des intermittents

Cette crise aura accompagné toute le législature, et n’est toujours pas dénouée, malgré la gestion jugée un temps habile de l’actuel Ministre, perçu plus aguerri que son prédécesseur. Commencée fin 2002 par un doublement des cotisations d’assurance chômage frappant les entreprises et les salariés, elle a éclaté avec l’adoption par l’UNEDIC, sous l’impulsion du MEDEF, d’un nouveau protocole signé en juin 2003, et agrée par le gouvernement. Sous prétexte de lutter contre le déficit des annexes 8 et 10 du régime général, celui-ci met gravement en cause les droits à indemnisation du chômage des artistes et des techniciens du spectacle et de l’audiovisuel. Il redéfinit en effet à la baisse les conditions d’ouverture des droits, les durées d’indemnisation et les modalités de calcul des prestations. La mobilisation des intermittents s’est traduite par l’annulation de nombreux festivals et manifestations, en premier lieu le festival d’Avignon. Depuis lors, les intermittents, soutenus par les partis de gauche et aussi de nombreux parlementaires de tous bords (comité de suivi), n’ont cessé de demander l’annulation de ce protocole inique et l’adoption d’un nouveau dispositif, dans le cadre du régime général dont bénéficient tous les salariés de notre pays.

Rapports multiples confiés à des personnalités (Guillot, Charpillon...) et création du fonds transitoire, transformé en fonds de professionnalisation, ne sauraient faire illusion : le protocole imposé par le MEDEF a réduit les droits des intermittents, fragilisé toute une profession.. , mais sans produire les économies escomptées . En dépit de son échec évident, le protocole, prorogé, est resté en place, de sorte qu’ il n’y a pas eu de nouveau régime « pérenne et équitable » au 1/1/2006, contrairement aux promesses de l’actuel Ministre. Depuis lors, un nouveau projet de protocole, en date du 18 avril 2006, a été élaboré, mais les modifications qu’il institue sont marginales et ne posent pas les bases d’un régime cohérent et juste.

En octobre 2006, la majorité actuelle a fait échouer la PPL (proposition de projet de loi) défendue par les parlementaires socialistes, et reprenant les revendications des professionnels. La CFDT pour sa part, après avoir longtemps tergiversé, vient d’ annoncer son intention de signer le nouveau protocole, pourtant rejeté par la CGT et la coordination des intermittents. Le dossier, longtemps dans l’impasse, ne saurait trouver dans ces conditions une issue positive, et les intermittents vont hélas continuer à faire les frais de cette inacceptable remise en cause de leurs droits.

2 La déroute ministérielle à propos de la loi sur le droit d’auteur sur internet (DAVSI)

Alors que la directive communautaire qu’il s’agissait de transposer date de 2001, et qu’un débat agitait sur ce sujet l’opinion, le gouvernement a présenté au Parlement selon la procédure d’urgence un texte mal préparé, mal ficelé, et axé sur le tout répressif. Le Ministre a été mis en déroute à l’Assemblée Nationale, et ce à deux reprises : en décembre 2005, lorsqu’il s’est retrouvé en minorité à propos de la légalisation du téléchargement induisant la licence globale, et en mars 2006 lorsqu’il s’est ridiculisé par ses voltes face à répétition. Lors du débat au Sénat, il a refusé la deuxième lecture qu’il avait pourtant promis dans le cours du débat, conduisant les parlementaires socialistes à claquer la porte de la Commission Mixte Paritaire. Enfin, le texte a été en partie censuré par le Conseil Constitutionnel pour rupture d’égalité devant la loi pénale. Le gouvernement s’est montré en fait incapable d’organiser une véritable concertation entre toutes les parties concernées, au premier chef les auteurs, les artistes et les producteurs, ainsi que les industriels, les fournisseurs d’accès, les associations de consommateurs... Sur le fond, il n’a pas trouvé de solution équilibrée entre les droits légitimes des créateurs, droit moral et droit à rémunération, et les aspirations des internautes, entre la lutte contre le piratage et la liberté des utilisateurs, entre le droit DE la culture et le droit A la culture. Il a ainsi raté l’occasion de poser les bases d’une adaptation raisonnée, juste et évolutive du droit d’auteur à l’ère numérique. Le parti socialiste pour sa part, tout en rappelant à la fois son attachement indéfectible au droit d’auteur, et son souci de prendre en compte les nouvelles pratiques et les nouveaux usages liés à la révolution numérique, a précisé par la voix de son premier secrétaire qu’il n’était favorable ni à un système reposant principalement sur les « DRM » (mesures techniques de protection), ni à la licence globale, laquelle ne garantit pas en l’état les droits des créateurs.

3 Le dévoiement de la décentralisation culturelle

Sous l’impulsion du gouvernement Raffarin, une nouvelle phase de décentralisation a été en apparence mise en place, avec la loi de 2004 sur les libertés et responsabilités locales. Mais cette décentralisation est dévoyée : la réalité est celle de l’alourdissement des charges des collectivités territoriales, et du désengagement de l’Etat qui se défausse sur l’échelon local de missions qu’il ne peut ou ne veut plus assumer, sans lui donner les moyens correspondants. Dans le domaine culturel cette décentralisation se traduit dans deux secteurs :enseignements artistiques du spectacle vivant et patrimoine monumental. Le transfert de l’inventaire aux conseils régionaux aboutit à dépouiller l’Etat, chargé de la protection du patrimoine, du personnel qui en assure l’inventaire. Le transfert d’une partie des monuments historiques de l’Etat, à partir d’une liste établie de 178 monuments appelés à être marchandés au cas par cas, a pris l’allure d’une vaste braderie, et se termine surtout par un camouflet pour le pouvoir, puisque seule une poignée de collectivités territoriales a répondu favorablement à ses appels du pied. Quant aux enseignements artistiques, la réforme annoncée comme une clarification des responsabilités entre les trois niveaux de collectivités territoriales demeure imprécise et floue. Cette décentralisation-là, à l’impact limité, aux objectifs contestables, n’apporte en fait aucune clarification des rapports Etat/Collectivités territoriales dans le domaine culturel.

4 L’audiovisuel public en déshérence

Face à des sociétés privées de plus en plus affûtées, et en voie de concentration accélérée, le service public de l’audiovisuel pâtit de la faiblesse de ses moyens et aussi de l’ambition qui lui est assignée. La réforme de la redevance audiovisuelle, et de l’organisation de son recouvrement, a été utilisée par le pouvoir pour refuser son augmentation depuis 2002. De même, celui-ci a rejeté, lors du lancement de la TNT (cf infra) des projets de nouvelles chaînes publiques, dont la chaîne gratuite d’information. L’absence d’augmentation des moyens publics alloués à l’ensemble de l’audiovisuel limite en fait les marges de croissance financière à la publicité, avec les conséquences qui en découlent sur le contenu des programmes. Face à la stratégie d’assèchement de ses concurrents sur le marché des programmes (fictions, films, sport...) et alors qu’à ce jour il n’y a toujours pas de contrat d’objectifs et de moyens, le service public risque la pénurie. En outre, la politisation des nominations a été souvent la règle (CSA, France-Télévisions, TV5, Radio France...), tandis que des errances déontologiques se sont manifestées (Radio France et RFI).

5 La défiance des créateurs et des intellectuels

La droite s’est (à nouveau) attirée la défiance de l’ensemble des professions de l’éducation, de la recherche, de la culture, -sans parler des psychothérapeutes et des psychanalystes- en raison de la politique qu’elle a menée dans ces domaines : absence de vision, réformes mal conçues, moyens budgétaires largement en dessous des ambitions affichées. La pétition lancée par les Inrockruptibles sur le thème « la guerre à l’intelligence » en a été le symptôme. Les priorités de la droite sont clairement ailleurs, notamment en faisant de la politique de sécurité et de répression son cheval de bataille. Cette atmosphère répressive, parfois accompagnée d’une tentation de retour à l’ordre moral, n’a pas épargné le secteur culturel, ainsi lorsque des responsables politiques de droite ont engagé des poursuites contre des rappeurs, ou que des associations ont déposé des plaintes contre des écrivains. Elle a aussi touché le cinéma : la réforme en 2003 de la commission de classification des films a renforcé le poids des associations familiales et modifié les modalités de vote pour l’interdiction des films aux moins de 18 ans.

III Quelques mesures positives, mais limitées ou incomplètes.

1 L’adoption par l’Unesco de la convention internationale sur la diversité culturelle.

Contrairement à ce que tente de faire accroire la droite, la défense de l’exception et de la diversité culturelles est un combat historiquement engagé par la gauche, et ce dès les années 80. C’est aussi en 2001, lors de sa 31ème session, que l’UNESCO a adopté sa « déclaration universelle sur la diversité culturelle », tout en invitant à avancer la réflexion sur la création d’un instrument juridique international. L’adoption en octobre 2005 de « la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles » est venue couronner un processus au terme duquel 151 Etats ont approuvé le texte, tandis que les Etats-Unis se sont retrouvés isolés. Il s’agit d’une avancée positive, même si ce texte a des limites, parce qu’il est un compromis, peu contraignant en termes de moyens, et contesté par certains pays quant à l’effectivité de ses effets contraignants. Les Etats-Unis du reste n’ont pas renoncé à contourner la convention, au profit d’accords bilatéraux aboutissant à ôter aux pays qui s’y soumettraient la possibilité de conduire leurs propres politiques culturelles. Enfin, pour entrer en vigueur, la convention doit encore être ratifiée par un nombre suffisant de pays. Mais la diversité culturelle progresse-t-elle dans notre pays ? Les cultures régionales souffrent d’un manque de moyens et de reconnaissance, la promotion des identités culturelles, qu’il ne faut en aucune façon confondre avec l’acceptation du communautarisme, est délaissée, la diversité musicale à la radio est bien faible(2,8% des titres joués à la radio totalisent 76% des audiences ...) Mais l’action culturelle extérieure de notre pays a-t-elle connu une relance, pourtant indispensable ? Les moyens en sont de plus en plus réduits, et l’annonce toute récente de la transformation de l’AFAA en un nouvel organisme intitulé « CulturesFrance » (par fusion avec l’ADPF, association pour la diffusion de la pensée française) ne modifie pas la donne de ce point de vue.

2 Le lancement de la TNT.

Le gouvernement actuel s’en crédite quand le succès est au rendez-vous, et en oubliant que le mérite en revient amplement au gouvernement de Lionel Jospin, qui lança le processus, alors que le gouvernement Raffarin, quant à lui, l’entrava, sous le regard bienveillant de TF1 et M6, soucieux de retarder l’arrivée de nouveaux concurrents. La droite a surtout rompu l’équilibre public/privé sur le numérique terrestre, en refusant les projets de nouvelles chaînes que France Télévisions avait préparés. Le réel succès d’audience de la TNT devra être transformé en réussite économique, et l’accélération du plan d’aménagement des fréquences permettant la couverture de l’ensemble de la population française est nécessaire.

3 Le projet de « France 24 »(chaîne française d’information internationale, dite « CNN à la française »).

Le projet d’une chaîne française d’informations internationale répond à un besoin réel, dans un monde où l’information ne peut être laissée aux medias anglo-saxons, et où la visibilité de la culture d’un pays est essentielle. Mais le pouvoir a choisi de privilégier TF1, qui ne paie rien et contrôle tout. C’est une double erreur : erreur tactique, car les difficultés de collaboration entre les équipes de France-Télévisions et de TF1 sont notoires ; erreur stratégique, car le rapprochement des moyens communs de l’AFP, de France-Télévisions, de RFI, de TV5, voire d’Euronews, aurait pu conduire à une force de frappe éditoriale réelle.

4 La loi sur le mécénat du 1/8/2003.

Cette loi contient plusieurs dispositions favorisant le mécénat : allègements fiscaux pour les entreprises, les particuliers et les fondations (dont la création est facilitée). Mais, pour contribuer à l’essor de la vie culturelle, le développement du mécénat ne doit pas simultanément s’accompagner du repli de l’intervention publique : hélas, on l’a vu, le retrait financier de l’Etat est patent. C’est par exemple frappant dans le domaine des musées, où le nouveau dispositif législatif organisant « les musées de France », adopté en 2002, ne s’appuie sur aucun moyen public supplémentaire. En outre, la loi ne saurait faire oublier le fiasco de la fondation Pinault sur l’île Seguin, destinée à la promotion de l’art contemporain. Quelles que soient les causes réelles de l’échec de ce projet, force est de constater que les pouvoirs publics n’ont pas su ou voulu faire avancer et aboutir le principal projet privé culturel lancé en France ces dernières années .

5 Des mesures pour soutenir la production

Dans le cinéma et l’audiovisuel, et même dans la musique, la mise en place du mécanisme du crédit d’impôt cinéma, puis audiovisuel, d’aides à la relocalisation des tournages, et d’un soutien incitatif pour les collectivités territoriales, dont l’effort croissant en faveur de la production doit être souligné, a été faite. Les premiers résultats apparaissent encourageants.

6 Projets d’intérêt national.

Le projet du musée du Quai Branly, consacré aux « arts premiers », et lancé au début du septennat de Jacques Chirac, a été poursuivi et mené à bien. Bien qu’il ait suscité des débats légitimes, il s’efforce de conjuguer approche ethnologique et approche artistique. De même, lorsque, en réponse à l’offensive qu’a lancé Google en faveur de la numérisation à grande échelle des livres, Jean-Noël Jeanneney, Président de la BNF, a suscité l’initiative d’une bibliothèque numérique européenne, le gouvernement a repris le projet à son compte. Enfin, on peut le créditer d’avoir relayé et soutenu les projets d’expansion de grands établissements publics nationaux : création d’antennes du Louvre à Lens et du CNAC à Metz ; projets internationaux à l’étude de ces musées en Chine ou aux Etats-Unis. Cependant l’autonomisation accrue des grands musées et leur « filialisation » s’effectuent encore trop selon une logique traditionnelle « descendante », au dépens de la mutualisation des moyens et de la stimulation des initiatives locales .

Le gouvernement a en outre lancé le projet d’une Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration à Paris, transformé le Jeu de Paume en lieu destiné à la photographie, ou confirmé d’autres projets décidés avant lui, tel le Musée National des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille.

D’autres grandes opérations ont été décidées, mais après de nombreux atermoiements, et en fait sous la pression des professionnels ou des chercheurs : création de la Cité des Archives Nationales à Pierrefitte, réalisation de l’INHA (Institut National d’Histoire de l’Art), poursuite de la rénovation du Grand Palais et du château de Versailles, ainsi que - de façon ô combien tardive - décision conjointe avec la Ville de Paris, et cofinancement, de la construction de la salle de concert à La Villette. Ces opérations, si légitimes soient-elles, ainsi que la dernière, récemment annoncée, la création d’un centre européen de création contemporaine sur l’île Seguin, posent cependant la question de leur financement, à court terme en équipement, surtout à long terme en fonctionnement, dés lors que le budget du ministère de la culture est en baisse ou en stagnation(cf supra à propos du budget).


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