Tout s’écroule, les puissants font du vent

mercredi 7 septembre 2011.
 

Quel été ! Une tempête estivale a balayé les places boursières. Et ce n’est pas fini. Cela va même s’aggraver. Car la violence du choc a laissé intacte une des causes principales de cette crise. Je veux parler de l’aveuglement des puissants qui dominent la scène. Ils s‘agitent, interrompent spectaculairement leurs vacances, multiplient les communiqués, les sommets extraordinaires, les rencontres et indiscrétions, week-end compris avant que les grandes places financières ne rouvrent. Mais ce qu’ils font n’est d’aucune utilité face à la crise. Ils auraient pu arrêter à plusieurs reprises la machine infernale et pourraient encore le faire. Hélas, prisonniers de l’obsession de « rassurer les marchés » quand il faudrait plutôt s’en protéger, ils adoptent des mesures qui laissent au mieux la catastrophe s’avancer et qui au pire en accélèrent l’issue fatale. Les chefs d’Etat et de gouvernements des Etats-Unis et de l’Europe en porteront la lourde responsabilité devant l’histoire. Mais les révisions qui s’annoncent ne devront pas s’arrêter là. Car leur unanimité dans l’erreur tient aussi au fait que la grande majorité des « relais d’opinion », médias dominants, opposition officielle, défendent uniformément les mêmes politiques erronées face à la crise.

La réponse la plus fréquente et la plus unanime est justement la pire : l’austérité. Il a fallu moins d’un an pour que cette politique imposée à la Grèce soit considérée par les analystes financiers eux-mêmes comme le meilleur moyen de rendre ce pays insolvable. Appliquée à l’échelle du monde, l’austérité promet une récession qui ferait oublier la crise de 1929. Son ampleur est inconnue car une réduction aussi brutale et simultanée de la dépense publique dans tous les pays n’a jamais été expérimentée. Nous en avons pourtant un avant-goût avec la croissance nulle mesurée au deuxième trimestre en France par l’INSEE. C’est la conséquence de la baisse de la consommation des ménages et de la stagnation des exportations qui avaient augmenté de près de 2% le trimestre précédent. Ces deux « moteurs de la croissance » toussent déjà. L’austérité en France (désastreuse pour la consommation) comme celle de nos principaux partenaires économiques (fatale aux exportations) les éteindraient pour longtemps. Avec un terrible enchaînement de conséquences. Croissance nulle ou négative, donc recettes fiscales en berne, donc dégradation de la notation de la dette souveraine, donc augmentation du coût de financement sur les marchés… tous découvriraient le cercle vicieux où nous ont précédés les Grecs.

Il y a pourtant un consensus entre les principaux dirigeants socialistes et l’UMP sur la réduction du déficit public de la France à 3% du PIB en 2013. Le programme du PS se contentait jusqu’ici de parler de 2014 et Harlem Désir fustigeait encore début juillet la volonté irréaliste affichée par Sarkozy d’y parvenir un an plus tôt. Mais les cris d’orfraie de la finance ont percé les torpeurs estivales et triomphé de la détermination en carton-pâte d’Hollande et Aubry qui s’y sont ralliés sans délai ni résistance. Hollande en fait la condition « pour que notre pays retrouve confiance en lui ». Voilà qui tient davantage de l’article de foi que de l’argument, et formule un pronostic bien hasardeux en donnant à la réduction des déficits plus d’importance que celle du chômage pour le moral national. Hélas aucun journaliste n’a interrogé Hollande sur le raisonnement proprement économique à l’appui de cette thèse, préférant célébrer sa proximité idéologique avec Strauss-Kahn, et même Barre dont Hollande loue rétrospectivement « le souci de remettre nos finances publiques à flot ». Aubry justifie elle sa volte-face par le fait qu’il faudrait respecter la parole de la France. Vu l’usage qu’a fait Sarkozy de cette dernière, l’argument promet. Il est encore une fois d’une totale vacuité économique. Quand bien même cela aggraverait la crise, il faudrait le faire parce que le président actuel s’y est engagé ? On peut penser qu’il y a un raisonnement plus solide derrière ces formules passe-partout. C’est lui qu’il faudrait exposer.

Soit mais ne faut-il pas réduire le poids de la dette ? Si. Mais le poids de la dette dépend des relations qui existent entre les Etats qui l’émettent et ceux qui la détiennent. La dette publique du Japon dépasse les 200% du PIB mais elle est soutenable car financée par l’épargne domestique. La dette publique des Etats-Unis dépasse les 100% du PIB. En proportion c’est autant que l’Islande. Mais la place du dollar dans le système financier international fait que les Etats-Unis continuent d’emprunter à des taux très faibles que la dégradation de leur notation par l’agence S&P n’a même pas alourdis. Le problème principal n’est donc pas le montant de la dette mais les mécanismes qui assujettissent les Etats aux marchés obligataires mondiaux, les placent sous la dépendance d’investisseurs privés pour financer leurs budgets et les désarment face aux spéculateurs qui peuvent imposer des taux d’intérêt pharamineux à ceux qu’ils ont pris à la gorge. C’est à cela qu’il faut s’attaquer et se donner ainsi les moyens de financer les déficits publics nécessaires à une relance massive et urgente de l’économie.

La seconde direction souvent avancée pour répondre à cette crise est la réforme des agences de notation. On pourrait railler la découverte tardive de leur pouvoir de nuisance par ceux-là même qui leur ont donné tant de poids. La plus ancienne agence de notation, Moody’s, date de 1909. Il n’y a donc là rien de bien nouveau. Mais à partir des réformes libérales adoptées ces dernières décennies, les agences se sont vues reconnaître un pouvoir quasi officiel. La vraie nouveauté réside dans leur reconnaissance politique, qui signale l’influence conquise sur les dirigeants des pays capitalistes développés par le capital financier dont ces agences sont les porte-voix. Le gouvernement des Etats-Unis a commencé en interdisant aux investisseurs institutionnels d’acheter des titres mal notés par un petit nombre d’agences agréées. Mais c’est l’Union Européenne qui est allé le plus loin en obligeant à sortir des bilans bancaires les titres dégradés. Ce qui signifie que la seule dégradation de la note d’un pays ruinerait des banques, quand bien même celui-ci pourrait les rembourser au final !

Généralement, ce ne sont pas ces lois et directives qui sont les plus critiquées. Les partisans d’une réforme des agences de notation veulent plutôt élargir leur nombre, créer une agence européenne ou encore lutter contre les conflits d’intérêt qui se nouent dans les arcanes opaques de ces institutions financières. Cela procède de l’illusion selon laquelle le marché libre fonctionnerait bien pour peu qu’on le régule, avec des régulateurs privés indépendants vous diront les libéraux, avec des régulateurs publics oseront les sociaux-démocrates. C’est passer là encore à côté du problème de fond. Les agences de notation ne font qu’exprimer les exigences de la finance mondialisée. Leur pouvoir est la satisfaction d’une prétention constante de la finance, le « delegated monitoring » qui préfère l’autorégulation des marchés au règne de la loi. C’est ce régime de domination financière qu’il faut mettre au pas. Car tant que la fixation des conditions de financement d’un Etat dépendra d’investisseurs privés auxquels ne s’applique aucune exigence d’intérêt général, ceux-ci se formeront librement leur opinion d’après leur propre intérêt particulier et sur la base d’analyses financières proposées par des agences, des journaux, des collègues, des voisins, des astrologues s’ils le souhaitent, bref d’après tout ce qu’ils jugeront pertinent pour eux-mêmes et surtout pour les marchés financiers dont ces moutons de Panurge cherchent à anticiper les mouvements. La concurrence entre agences ne garantit par ailleurs absolument pas la fiabilité de leurs analyses. Là encore il s’agit d’une illusion qui montre bien combien prévalent les mythes libéraux. Des études ont démontré au contraire au lendemain de la crise des subprimes que la concurrence que se livraient les trois grandes sociétés du secteur avaient permis aux banques de faire du « rating shopping » c’est-à-dire de faire noter leurs produits par l’agence qui s’engageait à leur donner la meilleure note, alors qu’une agence unique se serait montrée plus rigoureuse.

Si les agences sont myopes (elles n’ont anticipé aucune des grandes faillites de ces dernières années, ni les subprimes, ni Enron, ni la crise asiatique…), si leurs décisions aggravent les difficultés économiques qu’elles pointent, si leurs critères sont opaques, c’est le lot de tous les acteurs de la finance privée. Et s’il faut contester le pouvoir des agences de notation au nom de ces défauts majeurs, c’est le pouvoir de toute la finance privée qu’il faut attaquer.

La troisième fausse piste est plus difficile à démonter. Car elle aurait pu fonctionner à un stade moins avancé de la crise. Il s’agit de la création d’eurobonds, ou obligations européennes, qui permettraient de mutualiser la dette des Etats de l’Union européenne et donc d’empêcher la finance de spéculer contre les pays européens au détail. Le problème est que prise isolément, cette mesure n’empêcherait pas la finance de spéculer alors en gros, contre l’ensemble des pays de l’Union. Et elle aurait de solides arguments pour le faire.

Une esquisse de mise en commun, limitée, de la dette souveraine au niveau de l’Union a été initiée avec la création du Fonds Européen de Stabilisation financière, dans la continuité du fonds créé pour « venir au secours de la Grèce » (plus exactement au secours des banques qui en sont créancières). Celui-ci donne déjà une idée des dangers qui nous guettent. Sa capacité est sans cesse dépassée par l’ampleur des dettes attaquées. Doté aujourd’hui de 250 milliards d’euros, les décisions du sommet européen du 21 juillet, que Trichet somme d’appliquer rapidement, doivent le porter, une fois validées par chaque Etat, à 440 milliards. Or cette somme est déjà insuffisante pour couvrir un défaut espagnol ou italien. The Economist a calculé le coût total d’une intervention du fond dans l’hypothèse où il aurait à couvrir les deux tiers des dettes arrivant à l’échéance de 2015 : 800 milliards d’euros. Or ceci est connu des spéculateurs qui se savent capables de faire sauter la banque. Comme le rappelle Frédéric Lordon, seule une banque centrale pourrait, parce qu’elle dispose de liquidités illimitées, tenir tête à la spéculation en étant assurée de remporter le bras de fer. Mais dans leur obsession monétariste, les dirigeants européens n’ont pas voulu imposer à la BCE cette mission, il est vrai interdite par le traité de Lisbonne. Cela signifie que le jour où le FESF renforcé prendra le relais des interventions de la BCE, comme le réclame Trichet, la situation va en réalité se dégrader. Et peut-être de façon irréversible car si une spirale spéculative se forme contre les dettes espagnoles ou italiennes, qui dépassent les capacités du fonds, il ne sera plus possible au-delà d’un certain seuil de l’arrêter.

L’autre tare originelle de ce fonds est qu’il repose au final sur les budgets des Etats… et contribue donc à leur endettement. Si des Etats font défaut, ils sortiront automatiquement des contributeurs au fond, ce qui diminuera d’autant les garanties effectivement mobilisables. Que va-t-il se passer si des défauts se succèdent ? Au final le poids de la dette va se concentrer sur la France et l’Allemagne, qui en portent déjà la moitié. Soit ces deux pays refusent d’augmenter leur contribution. Ce serait conforme à l’accord passé au moment de la création du fonds. Mais en refusant de mettre davantage sur la table face à la spéculation, nous perdrions tout ce qui a été engagé jusqu’ici, et cela pour rien. Soit la France et l’Allemagne augmentent leur participation mais nous ne pouvons le faire qu’en levant des fonds sur les marchés, dégradant en conséquence notre taux d’endettement et risquant à notre tour d’être la cible des marchés. C’est en fait toute la zone euro qui risque d’être entraînée par le fonds et l’ensemble des ressources budgétaires requises pour une politique de relance et pour répondre aux besoins de la population qui risquent d’y être englouties pour satisfaire la voracité des spéculateurs.

Les eurobonds souffriraient de la même malfaçon. La mutualisation de la dette est une réponse immédiate efficace pour réduire les taux auxquels les pays attaqués empruntent sur le marché obligataire. Mais sur le moyen terme (un horizon que la finance ne connaît pas), elle conduirait à ce que toute la zone euro soit prise en otage par la spéculation et produirait une dégradation générale des conditions de financement sur les marchés. Aujourd’hui déjà, le fonds FESF devrait perdre sa note AAA dans la mesure où les Etats qui en sont le socle ont eux-mêmes été dégradés. En fait, des eurobonds seraient efficaces dans le cadre d’institutions intégrées disposant de moyens d’intervention sur les marchés de capitaux et contrôlant la banque centrale. Ils n’auraient donc de sens que dans le cadre d’une rupture avec le traité de Lisbonne. Or c’est l’inverse qui se produit puisque les partisans de ces eurobonds veulent les accompagner d’une politique d’austérité généralisée voire d’un pouvoir de contrôle de la BCE sur la politique budgétaire des Etats ce qui conduirait à assujettir ceux-ci davantage encore à la finance.

Des solutions existent pourtant...

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