Grande Bretagne : Effondrement moral de Tottenham à la City

jeudi 25 août 2011.
 

C’est un vrai Père Fouettard. En réponse aux émeutes, le premier ministre conservateur, David Cameron, a promis d’agir contre « l’effondrement moral » de la société britannique. Pour rassurer l’honnête citoyen, le preux chevalier du 10 Downing Street s’est engagé à mener une « guerre totale » contre les prétendus agents du désordre, aussi bien les gangs, les familles à problèmes, les adolescents sans aucun sens du civisme et même les défenseurs des droits de l’homme.

Hélas, trois fois hélas pour le chef du gouvernement tory-libéral-démocrate, le quotidien conservateur Daily Telegraph préfère pointer du doigt le mauvais exemple donné par les banques responsables du crash des subprimes et les parlementaires impliqués dans le scandale des notes de frais. Ce porte-drapeau des valeurs traditionnelles suggère qu’à cause des financiers et des politiciens, l’immoralité est devenue la norme : « La décadence morale de notre société est aussi forte au sommet qu’au bas de l’échelle. » Un député conservateur, Matthew Hancock, surenchérit en affirmant que les émeutiers n’ont fait que copier les élites « cupides, imprudentes et irresponsables » qui franchissent constamment la ligne jaune de l’éthique.

Troisième offensive contre la politique répressive du pouvoir, les économistes estiment que le coût des émeutes n’aura aucun effet sur la conjoncture. En revanche, ils s’alarment des ravages de la spéculation en Bourse, ces dernières semaines, sur les retraites par capitalisation de dizaines de millions de sujets de Sa Majesté.

Emeutiers, banquiers, hommes politiques, même combat ? Les similitudes sont nombreuses entre le comportement de ces trois groupes et les critiques qu’ils suscitent : une accumulation de bombes à retardement détectables mais ignorées, la crise qui éclate subitement, de nombreuses victimes collatérales qui ont perdu emploi et logement.

Dans les rues du quartier de Tottenham comme dans les salles de marché de la City, le sentiment d’impunité est la règle. Comme si de rien n’était, les banquiers coupables sont de retour. La liste des PDG revenants est longue, à lire la presse financière. Aucun dirigeant de banque n’a été appréhendé, jugé ni condamné à la prison, même dans les cas de fraude avérée sur les crédits hypothécaires. Les traders peuvent facilement se jouer des nouvelles barrières mises en place pour limiter les risques créés par des salaires et des primes excessifs.

De plus, alors que le contribuable, qui a sauvé le système bancaire, doit se serrer la ceinture, l’heure est à nouveau aux bonus et aux rémunérations mirobolants. Tandis que le revenu moyen des patrons des cent plus grosses capitalisations de la Bourse de Londres s’est accru de 32 % en 2010, celui de leurs employés n’a augmenté que de 2 % en moyenne. Le supplément « How to Spend It ? » (« Comment le dépenser ? ») du Financial Times, miroir qui réfléchit, sur papier glacé, tous les visages de l’argent roi et de l’individualisme insatiable, regorge de pages de publicité.

Parallèlement, les inégalités outre-Manche se sont creusées au cours des trois dernières décennies après avoir diminué entre 1945 et la fin des années 1970. La mobilité sociale a reculé. Aujourd’hui, cinq écoles privées de renom envoient plus d’étudiants à Oxford que 2 000 établissements publics. Et pour la première fois depuis la récession du début des années 1980, le thème de la division Nord-Sud a refait surface. Le Nord est touché de plein fouet par les compressions d’emplois dans la fonction publique. Quant au Sud, il résiste mieux à une économie atone grâce aux services, surtout financiers.

David Cameron prêche les convertis quand il fustige le manque de civisme des fauteurs de troubles. Mais que dire de l’évasion fiscale pratiquée par les grandes fortunes qui est en plein essor, comme l’atteste le récent projet de l’entrepreneur philanthrope anobli Sir Richard Branson de domicilier le groupe Virgin en Suisse ?

Le monde politique non plus n’a pas mis ses actes en conformité avec ses déclarations. Le scandale des fausses notes de frais des parlementaires a accentué la défiance de l’électorat. La famille royale elle-même n’est pas épargnée, comme en témoigne la démission du prince Andrew, VRP du royaume, à la suite de mauvaises fréquentations.

Les comportements répréhensibles d’une autre institution alimentent les doutes de l’opinion : la presse. Le scandale Rupert Murdoch à l’origine de la fermeture de News of the World, les accusations de corruption de policiers un peu trop proches de l’empire médiatique de ce dernier, le recours aux mêmes pratiques de piratage téléphonique par des concurrents ou la controverse sur les salaires astronomiques des dirigeants de la BBC : à l’instar de ce qui se passe dans la City ou à Westminster, bon nombre de médias engagés dans la bataille des tirages ou de l’Audimat se sont trop souvent écartés de la vertu.

D’un côté, David Cameron dénonce « l’effondrement moral » d’une partie de la société. De l’autre, le leader travailliste Ed Miliband, tout en insistant sur la nécessité du maintien de l’ordre, s’en prend aux retombées sociales d’une trop grande libéralisation des marchés. Deux discours qui donnent déjà le ton des congrès annuels des partis à l’automne.

Marc Roche, correspondant du Monde à Londres


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