« Le modèle austéritaire mène à la catastrophe »

jeudi 4 octobre 2012.
 

Le rapport 2012 de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement démontre la nocivité des politiques de rigueur publique et salariale au sein de l’UE et alerte sur les conséquences globales de la récession en Europe.

1) « Le modèle austéritaire mène à la catastrophe »

par Pierre Khalfa, la Fondation Copernic, membre du bureau du Front de Gauche)

Êtes-vous surpris qu’un organisme 
de l’ONU alerte ainsi sur les risques 
de l’austérité  ?

Pierre Khalfa. C’est une bonne nouvelle parce qu’au niveau européen les classes dirigeantes, qu’il s’agisse du patronat ou des responsables politiques, n’ont jusqu’à présent rien appris de la leçon des années 1930. Que certains commencent à s’inquiéter de voir le mur s’approcher est une très bonne nouvelle.

Est-ce un signe que le modèle 
européen est considéré comme 
erroné dans le reste du monde  ?

Pierre Khalfa. C’est surtout un modèle qui risque d’amener le monde à la catastrophe. L’Europe est l’une des principales zones économiques au monde, avec la Chine et les États-Unis. Il est clair que, si elle entrait en récession prolongée, cela aurait des conséquences sur l’ensemble de la planète. Les économies sont totalement interdépendantes les unes des autres. Le fait que des pays à l’extérieur de l’Union européenne commencent à s’inquiéter sérieusement de ce qui est en train 
de s’y passer n’est pas étonnant.

Le rapport de la Cnuced met l’accent sur l’austérité salariale…

Pierre Khalfa. Austérité budgétaire et salariale sont liées  ! La logique actuelle, celle que veut sanctuariser le pacte budgétaire, consiste à couper massivement dans les dépenses publiques et à réduire globalement la demande exercée par les ménages, avec l’idée qu’en réduisant la demande interne, on pourra retrouver de la compétitivité, exporter et retrouver de la croissance. Le problème, c’est que cette idée qui pourrait, à la limite, être économiquement compréhensible si elle était appliquée dans un seul pays, devient totalement absurde quand tous les pays l’appliquent en même temps dans une Europe intégrée où les clients des uns sont les fournisseurs des autres. Non seulement une telle orientation entraîne une stagnation économique, voire une récession, dans le pays concerné mais elle crée la contagion dans les autres pays au travers des mécanismes du commerce extérieur.

Si tout le monde fait cela en même temps, le résultat est connu d’avance  : la récession généralisée comme cela commence à se constater aujourd’hui. Même l’Allemagne est touchée  : une grande partie de son PIB provient des exportations vers les autres pays européens. Mais où exportera-t-elle quand les autres pays ne pourront plus importer  ? L’idée que l’on puisse avoir une relance de la croissance par la compétitivité et une accélération de la concurrence entre les États est complètement stupide  !

Ce rapport d’un organisme des Nations unies peut-il avoir une influence sur l’Union et les gouvernements européens  ?

Pierre Khalfa. J’en doute. Il est bien que ce rapport existe, mais ce qui pèsera, ce sera la mobilisation des citoyens, des salariés, pour créer le rapport de forces nécessaire, notamment contre la ratification du pacte budgétaire. Il y a eu déjà un grand nombre de rapports, même de livres de prix Nobel comme Krugman ou Stiglitz, et non seulement des «  économistes hétérodoxes  » mais des gens qui viennent de l’establishment, qui ont dénoncé les politiques d’austérité. Cela n’a amené strictement aucun changement d’orientation. Il faut certes mener la bataille idéologique et ce rapport sera utile pour délégitimer les politiques menées, mais la clé sera la mobilisation populaire.

Entretien réalisé par 
Adrien Rouchaléou

2) Cnuced  : le modèle austéritaire nourrit la crise

Le rapport 2012 de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement démontre la nocivité des politiques de rigueur publique et salariale au sein de l’UE et alerte sur les conséquences globales de la récession en Europe.

Le diagnostic est sans appel  : non seulement la politique austéritaire ne soigne pas la crise, mais elle constitue un véritable poison puisqu’elle la nourrit. Dans le rapport qu’ils viennent de rendre public, les experts internationaux de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) sont formels. Eux qui alertent depuis plusieurs années déjà sur les conséquences des politiques budgétaires restrictives et des réformes antisociales des marchés du travail, sont particulièrement inquiets de la volonté des gouvernants de l’Union européenne de poursuivre dans cette voie. «  Les faits confirment nos prévisions alarmantes », écrivent-ils, relevant qu’austérité et compression des salaires « freinent toute sortie de récession ».

L’entêtement à se soumettre aux dogmes monétaristes – ceux-là même qui inspirent si profondément le traité budgétaire – va avoir des conséquences terribles pour les pays de la zone euro. Mais aussi au-delà, pour ceux en développement. Car la récession en Europe va accentuer encore les tendances au ralentissement mondial observés aujourd’hui. Selon l’économiste allemand, Detlef Kotte, coauteur du rapport qu’il présentait à la presse lundi dernier à Paris, la croissance mondiale ne serait plus que de 2,7 % en 2012 (contre plus de 4,5 % en 2011) et elle chuterait encore en 2013, autour de 2,5 %.

Interrogé par l’Humanité, Detlef Kotte relevait les conséquences très « contre-productives » du modèle austéritaire impulsé en Allemagne par les chanceliers Schröder puis Merkel sur toute la zone euro. «  Avec la compression des revenus salariaux durant la dernière décennie, dit-il, l’Allemagne a pu accumuler des excédents sur ses partenaires européens. Mais qui dit accroissement des excédents pour l’une dit augmentation des déficits pour les autres. D’où l’apparition de ces formidables déséquilibres qui menacent aujourd’hui l’Union économique et monétaire. »

L’allemagne rattrapée par la crise

Et l’Allemagne, elle-même, est désormais rattrapée par la crise, la plupart des instituts de conjoncture prévoyant une stagnation de sa croissance, voire une entrée en récession au deuxième et au troisième trimestre. Elle réalise en effet plus de 60 % de ses exportations dans le reste de l’Europe et les super plans d’austérité adoptés par ses partenaires réduisent les débouchés de ses entreprises… À l’inverse des logiques de flexibilisation des fameuses lois Hartz, il faudrait non plus écraser les rémunérations mais les faire progresser « au même rythme que la productivité » et «  de façon coordonnée » au niveau européen, plaide Kotte.

Proche des préoccupations des 197 États membres des Nations unies, la Cnuced s’inquiète des conséquences d’un ralentissement global sur les pays en développement. Et elle met l’accent sur les effets négatifs qu’a provoqué le creusement des inégalités en lien avec un certain type de mondialisation. «  La concentration croissante des revenus, indique le rapport, limite le potentiel économique des pays en affaiblissant la demande de biens et de services et en réduisant les perspectives en matière d’éducation et de formation. »

L’organisation onusienne déplore également que rien ait changé en matière de surveillance et de régulation des marchés financiers. Des idées de réformes ont bien été lancées par le G20 au plus fort de la crise en 2008. Mais jamais appliquées. Et entre-temps, «  tout continue comme avant », relève Detlef Kotte, faisant allusion à la poursuite des comportements les plus spéculatifs sur les marchés financiers.

Pour une politique publique de soutien

Outre les politiques de revalorisation des salaires, la Cnuced recommande, pour réduire les multiples fractures sociales qui défigurent aujourd’hui toute la planète, «  des politiques publiques de soutien » à rebours de la consolidation budgétaire, chère à la commission, au Conseil européen ou au Fonds monétaire international. Elle insiste sur le fait que ces investissements en matière de santé, de formation, de recherche ou encore de services publics auraient partout «  non seulement des effets sociaux positifs mais favoriseraient aussi une croissance économique plus forte ».

L’organisation onusienne se réfère à une démarche keynésienne critiquant le tournant des années 1980 «  avec, souligne-t-elle, la libéralisation financière et les réformes d’orientation favorable aux marchés ». Face aux poncifs dominants, elle se pend à la sonnette d’alarme : la fuite en avant libérale conduit l’Europe et le monde dans le mur. C’est dire combien son rapport (1) constitue un point d’appui pour tous ceux qui entendent résister au modèle austéritaire. Il démontre aussi l’actualité de propositions pour une véritable libération de la dictature des marchés. Bien au-delà, donc, du seul retour de l’intervention d’État.

Reprise : les principaux obstacles

Pour la Cnuced, les principaux obstacles à la reprise mondiale se concentrent 
dans les pays les plus développés. Aux États-Unis, qui ne devraient pas réaliser 
plus de 2 % de croissance en 2012, la demande intérieure «  reste atone  ». 
Du coup un «  risque majeur  » se profile si l’administration fédérale avait recours «  à une austérité budgétaire prématurée et excessive d’ici au début de l’année prochaine  ». Ce qui, relève la Cnuced, «  étoufferait radicalement l’activité  ». 
Mais, ajoutent aussitôt les rédacteurs du rapport 2012 de l’organisation, un «  obstacle encore plus grand à une reprise mondiale est la dépendance croissante de l’Europe à l’égard des exportations  ». Pour une raison simple  : la demande intérieure est exsangue car «  l’austérité budgétaire est devenue “règle d’or”, relève explicitement la Cnuced, dans toute la zone euro, avec des mesures de réduction des dépenses particulièrement draconiennes dans les États membres d’Europe méridionale. Au-delà d’être simplement contre-productives, de telles mesures pourraient s’avérer fatales pour l’euro et dramatiques pour le reste du monde  ».

Bruno Odent, L’Humanité

(1) L’intégralité du rapport est sur 
le site Internet de la Cnuced : 
http://unctad.org


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