Paule Mink (1839-1901) Passionnément femme, 
féministe et socialiste (19)

dimanche 14 octobre 2012.
 

Le 1er mai 1901, au cimetière du Père-Lachaise, une foule de socialistes, anarchistes, féministes se pressent autour du cercueil de Paule Mink. Ils ne sont pas les seuls. Même morte, l’ancienne communarde reste une menace pour l’ordre établi  : les policiers sont nombreux. Les discours et l’incinération ne sont pas terminés que les heurts entre ceux venus rendre hommage à cette propagandiste hors pair et les pandores dégénèrent. La cérémonie tourne à l’émeute. Paule Mink pouvait-elle rêver plus belle fin  ? Elle qui était née en 1839 à Clermont-Ferrand dans la soie et la dentelle, fille d’un noble polonais cousin du roi Stanislas et d’une mère aristocrate française, elle qui fut tôt mariée au prince Bohdanowicz, avait voué sa vie à la révolution. Les uns savent ce qu’ils lui doivent, les autres craignent jusqu’à son héritage.

Adèle Paulina Mekarska, dite Paule Mink (ou Minck), trouve dans son berceau, au-delà de ses nobles racines, les idées saint-simoniennes de son père, poussé à l’exil après l’insurrection polonaise de 1830 contre la Russie tsariste. Malheureuse avec son prince, elle divorce et arrive à Paris en 1867. Pour vivre, elle donne des cours de langue et met à profit sa dextérité dans l’art de manier l’aiguille. Mais sa vie a déjà basculé. Dès 1868, elle rejoint la Ire Internationale, signe des textes où féminisme et socialisme sont intimement mêlés, prend la parole dans les réunions publiques et fonde la Société fraternelle de l’ouvrière, une organisation influencée par les principes mutualistes de Proudhon. Elle est l’auteur d’un pamphlet – les Mouches et l’Araignée – où elle brocarde Napoléon III, mais surtout elle inaugure une longue série de prises de parole qui l’emmènera partout en France.

À Paris, dans la salle du Tivoli-Vauxhall, Paule Mink défend avec énergie les droits politiques des femmes. Gustave Lefrançais (à qui Eugène Pottier a dédié le poème l’Internationale) apprécie  : « Parmi les femmes qui prennent habituellement la parole dans les réunions, on remarque surtout la citoyenne Paule Mink, petite femme très brune, un peu sarcastique, d’une grande énergie de parole. La voix est un peu aigre, mais elle s’exprime facilement. Elle raille avec esprit ses contradicteurs plutôt qu’elle ne les discute et ne paraît pas, jusqu’alors, avoir des idées bien arrêtées sur les diverses conceptions qui divisent les socialistes. Mais elle est infatigable dans sa propagande. »

Dans ses portraits des Orateurs des réunions publiques de Paris, parus en 1869, Louis Albert partage l’enthousiasme de Gustave Lefrançais  : « L’orateur dont nous essayons aujourd’hui d’esquisser le profil est une femme, et rien de plus  : pourquoi dire que Mme Paule Mink est une virago  ? Elle n’a assurément ni la taille ni l’air d’un homme  : ses traits sont accentués, voilà tout  ! Elle a la hardiesse de braver les préjugés mesquins, hautement, avec énergie, et en public. Pour la première fois, dans une question brûlante, concernant essentiellement ce sexe décrié dont elle revendique opiniâtrement pour les autres la réhabilitation immédiate, et pour elle la qualité propre qu’on lui dénie, elle demande la parole (…). La voix, ni bien timbrée, ni bien argentine, comme plaintive à l’occasion, est remarquablement féminine (…). Mme Mink a, dans les réunions publiques de Paris, un nombre d’amis, sinon de partisans, très restreint. C’est parmi les femmes surtout que cette restriction est capitale. Est-ce jalousie de leur part, animosité pour sa hardiesse, sa façon d’envisager les choses et ce qui concerne les femmes elles-mêmes  ? Nous ne le pensons pas. Peut-être serait-ce faire une injure trop grande et trop méritée. C’est parce qu’elle est femme  ! »

Quand la Commune survient, Paule Mink en est, évidemment. Elle participe au comité sur les droits des femmes, est très active dans les débats du club de l’église Saint-Sulpice, fonde celui qui se réunit dans l’église de Notre-Dame-de-la-Croix et ouvre une école à Saint-Pierre de Montmartre. Mais surtout, pour gagner la province à la cause de la Commune, infatigable effectivement, elle parcourt l’Hexagone. « Gare pour le vieux monde le jour où les femmes diront  : c’est assez comme cela  ! Elles ne lâchent pas, elles  ; en elles s’est réfugiée la force, elles ne sont pas usées. Gare aux femmes  ! Depuis celles qui, comme Paule Mink, parcourent l’Europe en agitant le drapeau de la liberté… », clame Louise Michel dans ses Mémoires.

Paule Mink n’est pas à Paris quand la répression s’abat sur la capitale. Cachée dans le tender d’une locomotive, elle parvient à se réfugier à Genève. Et s’y taille vite une réputation. C.-R. Girard, rédacteur de la Terre sainte, dans les Révélations de la Salette paru à Grenoble en 1873, écrit  : « L’Internationale fait en ce moment de la cité de Calvin sa capitale et sa place d’armes. Les socialistes s’y organisent à la face du ciel. Mme Mink y forme une congrégation de libres-penseuses dont l’objet est de travailler à la propagation des affreuses doctrines de la Commune. » Le pauvre homme en tremble, cette créature ne serait-elle pas l’incarnation de « l’Antéchrist »  ?

L’amnistie à peine prononcée, Paule Mink donne l’impression d’être de tous les meetings partout en France. Condamnée à un mois de prison pour avoir participé à une réunion de soutien à une nihiliste russe, elle est sauvée de l’expulsion de France par l’ouvrier anarchiste Negro, qui l’épouse et la fait française. Elle va provoquer Schneider jusque dans son fief du Creusot. Adepte de la franc-maçonnerie, d’abord plutôt blanquiste, elle finit par s’engager dans le Parti ouvrier français (POF) de Jules Guesde. En 1892, elle est la seule femme qui assiste au Xe congrès du POF. Elle écrit dans les revues – dont la Fronde, organe féministe – et signe deux pièces jouées au Théâtre social. Elle est candidate de facto aux législatives de 1893 à Paris.

En 1884, Paule Mink donne naissance à son cinquième enfant (elle a eu deux filles pendant son exil et deux enfants avec son prince). À la mairie, l’employé de l’état civil s’étrangle, la mère veut prénommer son fils  : Spartacus, Blanqui, Révolution. Pourquoi hésiterait-elle, elle qui lance  : « Voici, déjà les gerbes se lèvent et la génération qui vient fera la moisson superbe  : heureux seront nos fils, ils entreront dans l’avenir  ! »

À Paris comme en province, cette infatigable militante révolutionnaire a fait de son existence un éternel combat pour faire triompher l’égalité des sexes et la cause socialiste.

Dany Stive


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