Platon contre la RGPP Chercherait-on à décrédibiliser le baccalauréat et l’Éducation nationale ?

dimanche 31 juillet 2011.
 

On a beaucoup parlé, ces derniers jours, de tricherie au baccalauréat avec la fuite sur Internet de l’exercice de mathématiques. Rien de mieux ne pouvait sans doute arriver pour les libéraux qui, tous les jours, vilipendent le plus célèbre des examens français : quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage !

Mais un autre fait, bien moins instrumentalisé mais bien plus symptomatique de la gravité du contexte, a eu lieu au cours de ce baccalauréat 2011 : 3000 copies de l’épreuve de philosophie ont été à la recherche de correcteurs dans les trois académies de la région parisienne. Situation inconcevable, renversante et apparemment aux antipodes de la précédente : ce n’est pas ici un manque de vigilance spontanément instrumentalisé que l’on rencontre, mais une décrédibilisation organisée, méthodique, de l’examen national et de l’école publique qui le porte.

Outre le risque que cela a engendré en termes de correction (temps, qualité, etc.), ce que Platon reléguerait à l’apparence des choses, qu’est-ce que cette situation nous révèle de plus profond ? Rien de moins qu’un système généralisé de la pénurie dans l’éducation nationale !

L’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public a fait entendre à juste titre son indignation et mis en exergue le fait que plus de 50 postes ont été supprimés en deux ans dans la discipline sur ces académies. Mais suffit-il de rappeler cela ? Est-ce un problème qui ne concerne que la philosophie ? Non, bien évidemment. Il faut aller plus loin. Car les suppressions de postes touchent toutes les disciplines, tous les établissements et donc tous les élèves.

La saturation se traduit par ce type de réalité désastreuse pour l’image de notre école car extrêmement visible, mais ce n’est là qu’un exemple parmi bien d’autres de la désorganisation engendrée par la pénurie. Les autres exemples sont moins visibles mais plus quotidiens. On pourrait ainsi parler de la précarisation grandissante des enseignants comme de l’ensemble des personnels de l’éducation nationale, des enseignants qui ne trouvent pas de remplaçants précisément faute d’effectifs suffisants, des services répartis sur plusieurs établissements sans la moindre cohérence en termes d’emploi du temps, ou encore des classes surchargées.

On pourrait tout aussi bien évoquer les pressions diverses exercées notamment sur les plus vulnérables (les personnels non titulaires), la gestion de plus en plus « managériale » d’établissements qui deviennent autonomes, la mise en concurrence entre établissements, entre enseignants et entre élèves, et bien sûr, cerise sur le gâteau, la disparition de l’année de formation postconcours entraînant l’envoi immédiat de jeunes lauréats des divers concours de l’enseignement devant des classes sans mise en situation et sans accompagnement préalable.

La désorganisation voulue est le meilleur moyen, par la mise en place d’une pénurie dictée par la rationalisation à tous crins et des économies d’échelle orchestrées par la réforme générale des politiques publiques (RGPP), pour que le système affaibli soit aussitôt accusé de tous les maux, et en particulier du plus grave aux yeux des gestionnaires : son incapacité à surmonter ses faiblesses. Nous avons, par cet exemple de l’épreuve de philosophie, l’illustration la plus discernable par le plus grand nombre des ravages de la RGPP sur l’école de la République : le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux et les dizaines de milliers de postes qui disparaissent de l’éducation nationale depuis 2007 sont en train de l’achever.

Ce qui vaut pour la philosophie vaut pour l’éducation nationale dans sa globalité, mais vaut également pour l’ensemble des services publics. Ayons en tête La Poste ou l’hôpital public. Partout, la logique est la même : une fois les postes supprimés et la pénurie devenue mode de fonctionnement ordinaire, alors le pourrissement interne en vue d’une décrédibilisation externe ne peut plus être stoppé. Et toujours les fossoyeurs des biens publics de la nation se parent, comme le fait le gouvernement actuel, de la bonne conscience de ceux qui ne cherchent qu’à améliorer le système, « pour qu’il marche mieux », osent-ils dire ! « On marche sur la tête », s’emporterait à juste titre Marx !

Platon et nombre de ses successeurs philosophes dans l’histoire n’auraient sans aucun doute jamais accepté, comme le savent tous nos bacheliers, que le juste soit ainsi réduit à ce qui est utile. Précisément, tant que la rentabilité à court terme et les impératifs d’économies factices prévaudront au détriment de l’intérêt général, tant que l’idéologie libérale cherchera à sacrifier le cadre républicain et national de notre éducation en vue de sa marchandisation et du profit espéré, on continuera sans aucun doute à marcher sur la tête puisqu’on ira à l’encontre des principes fondamentaux qui soutiennent depuis la Révolution française notre conception émancipatrice de l’école.

Par Christophe Miqueu, maître de conférences en philosophie à l’IUFM d’Aquitaine et membre du Bureau national du Parti de gauche

(Tribune publiée dans l’Humanité le 12 juillet 2011)


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