Egypte : la Confédération syndicale indépendante se construit

samedi 16 juillet 2011.
 

La création de la nouvelle centrale

Ses représentant.e.s rencontrés au Caire expliquent [1] : « En janvier, existaient déjà quatre syndicats indépendants : collecteurs des impôts fonciers, techniciens de la santé [2], enseignants et retraités. Ils discutaient de la mise en place d’une nouvelle confédération lorsque la révolution s’est produite, et nous y étions tous personnellement impliqués.

Le 30 janvier, sur la place Tahrîr, la création de la confédération a été annoncée. Le comité constitutif a appelé à la création de structures syndicales de base, puis à leur regroupement en syndicats nationaux sur la base de quatre principes :

► l’indépendance envers le gouvernement, les patrons, les partis politiques et les organisations religieuses,

► la démocratie totale dans l’organisation des syndicats,

► chercher à faire adhérer le plus possible de salariés de façon à ce que les syndicats soient véritablement représentatifs des travailleurs,

► rendre le syndicat réellement efficace dans la défense les droits des travailleurs, la conquête de nouveaux droits et l’amélioration de la situation des salariés.

L’implication des travailleurs dans la révolution a accéléré le départ de Moubarak".

En juin 2011, à l’occasion de sa venue au congrès de l’Union syndicale Solidaires, la représentante de la nouvelle confédération explique [3] : " La date du 30 janvier représente pour les travailleurs le début du chemin vers la liberté, la démocratie et l’autonomie syndicales. Elle marque la volonté de construire une démarche crédible et une structure forte afin de pouvoir défendre les intérêts des travailleurs et leurs conditions de travail.

La classe des travailleurs en Egypte ne tolère plus qu’on lui barre le chemin de la conquête de ses droits. Elle refuse désormais la tutelle de la structure soumise au pouvoir qui n’avait de syndical que le nom. Son travail consistait à discréditer les revendications syndicales pour maintenir les privilèges de ses dirigeants".

« La création de la Confédération indépendante est une application concrète du slogan de la Révolution du 25 janvier : Pain – Liberté - Justice sociale ». « La Confédération indépendante a ouvert ses portes à tous les syndicats qui souhaitent y adhérer. Celle-ci s’efforce d’informer les syndicats sur les démarches, les valeurs syndicales et le rôle local et international qu’ils peuvent jouer ».

La nouvelle confédération a tenu sa conférence de fondation le 2 mars au siège de l’Ordre des journalistes. Cette réunion a regroupé plusieurs centaines de syndicalistes provenant de villes et de secteurs professionnels variés : impôts, enseignants, textile, sidérurgie, etc. "Au cours de sa réunion du 6 mars 2011, le Comité fondateur a décidé de :

► Poursuivre la construction de syndicats indépendants ;

► Organiser un congrès fondateur en avril (ce qui a été fait) ;

► Adopter les statuts provisoires de la Confédération, élire son Comité fondateur, le congrès fondateur devant organiser dans un délai d’un an une Assemblée générale pour élire les responsables ;

► L’organisation d’un meeting de travailleurs, place Tahrir à l’occasion de la fête du travail le 1er mai 2011 (ce qui a été fait).

Fin mai 2011, une trentaine de syndicats avaient rejoint la nouvelle centrale".

L’évolution de la législation syndicale

« Après la chute de Moubarak, le secrétaire général adjoint de la centrale officielle (ETUF) avait été désigné par le nouveau pouvoir au poste de ministre du Travail. Aucun changement n’est intervenu et nous avons demandé son remplacement par un ministre qui respecterait les libertés syndicales. Nous avons, par contre, accepté la nomination de son successeur, Ahmed El Borai. Nous l’avions pourtant combattu dans le passé, mais dans le nouveau contexte nous savions qu’il défendrait les libertés syndicales. Nous avons eu raison, car le 12 mars, il a promulgué un décret sur les libertés syndicales basé notamment sur les conventions internationales, ce qui rendait notamment possible la création de syndicats indépendants ». [4]

Effectivement, explique Souad Abdel-Hamid [5], "le nouveau ministre du Travail et de l’Immigration, Ahmed El-Boraï, s’est engagé à respecter tous les accords, traités et pactes internationaux et nationaux. De même, il y a annoncé dans un communiqué un plan d’application des libertés syndicales, reposant sur les principes suivants :

► 1. La reconnaissance totale et sans réserves du droit des travailleurs à créer des syndicats et à adhérer aux syndicats de leur choix ;

► 2. L’indépendance totale des syndicats en ce qui concerne leur fonctionnement interne, leur statut, leur gestion et le choix de leurs dirigeants ;

► 3. Le droit des syndicats de créer fédérations, confédérations et unions syndicales et de s’affilier à des fédérations ou unions internationales ;

► 4. L’indépendance des syndicats par rapport au ministère du Travail. Les statuts et documents administratifs des syndicats seront à déposer au ministère (provisoirement, la future loi devant confier ce rôle au tribunal se situant dans le périmètre géographique du siège du syndicat). Le rôle de celui-ci sera de leur fournir le récépissé de déclaration leur permettant de bénéficier de la personnalité juridique ;

► 5. Le ministère étudie actuellement les modalités d’organisation des prochaines élections professionnelles et syndicales, à l’écart de tout contrôle du ministère. Le ministère se concertera avec les syndicats à ce propos".

Une nouvelle loi est donc en préparation qui devrait garantir les libertés syndicales. L’ETUF essaye de la bloquer par tous les moyens.

La nouvelle confédération demande pour cette raison le soutien des syndicats du monde entier pour que les conventions internationales protégeant les droits des salariés et des organisations syndicales soient enfin respectées. Elle leur demande également d’empêcher que l’Egypte soit retirée de la liste noire de l’Organisation du travail (OIT) tant que cela ne sera pas le cas.

Vers le pluralisme syndical ?

La nouvelle confédération pense que l’ancienne centrale syndicale ne sera finalement pas dissoute. Le plus probable est donc que les deux centrales soient en concurrence lors des élections professionnelles prévues à l’automne 2011.

La Confédération indépendante ne demande plus la dissolution de l’ETUF. Elle exige, par contre, que les mêmes règles s’appliquent aux deux centrales. Il est pour elle, par exemple, inadmissible que lorsqu’un syndicat indépendant se crée, certains patrons continuent à verser à l’ancien syndicat officiel le montant des cotisations syndicales prélevées sur le salaire !

Un présent porteur d’avenir

« Le train de la création des syndicats indépendants vient de se lancer à toute allure. Ces créations sont proportionnelles à l’effondrement des syndicats officiels. Nous assistons à l’expression d’une volonté de vivre et faire vivre le droit à la justice. Cette volonté doit triompher. La volonté de l’Union nationale des syndicats indépendants est d’être aujourd’hui et demain en pointe des revendications des travailleurs. Ce sont en effet les travailleurs qui construisent un pays. Ils représentent sa richesse humaine et productive et assurent sa croissance et son développement ». Voir note 3.]]

Le siège de la centrale est une véritable ruche, ses responsables ont expliqué à la délégation de Solidaires : "Tous les jours, des travailleurs se déplacent ou téléphonent pour demander une aide à la création de syndicats, par exemple pour écrire un règlement intérieur. Nous avons des militants ayant les compétences pour cela, mais ils ne sont là que pour les aider. C’est aux syndiqués eux-mêmes de d’établir leur règlement intérieur. Nous devons également leur expliquer les démarches à entreprendre pour faire reconnaître le syndicat, quels sont les documents à remplir, comment réunir l’assemblée constitutive du syndicat, comment élire les organes dirigeants et répartir les tâches. Lorsqu’ils rencontrent des obstacles, nous les aidons à les surmonter.

Souvent, par exemple, les banques ne veulent pas leur ouvrir des comptes. Au début, les structures locales du ministère du Travail refusaient d’aider les salariés voulant constituer un syndicat. Elles leur expliquaient, par exemple, que le nouveau syndicat devait avoir un tampon sans leur dire qu’il fallait obtenir une autorisation officielle pour avoir le droit d’en faire fabriquer un ! Nous avons réussi à contraindre les services du ministère du Travail à changer d’attitude.

Malgrés cela, le mouvement pour la constitution d’un syndicalisme indépendant se développe chaque jour un peu plus en Egypte".

Développer les liens internationaux

Lors du déplacement de la délégation de Solidaires en Egypte, des échanges et des demandes de collaboration ont eu lieu concernant les secteurs, des télécoms, de l’enseignement [6], des retraités [7]. Le syndicat des impôts indirects, fondé le 11 mai 2011, était particulièrement intéressé par des échanges sur les moyens d’en finir avec la corruption.

Une discussion s’est engagée sur la façon de lutter contre l’existence de « zones économiques spéciales » qui sont dispensées d’appliquer la législation du travail egyptienne. Une discussion spécifique a eu lieu concernant celles d’entre elles qui bénéficient d’un libre accès au marchés américains et israëliens à condition que leurs marchandises incorpore un pourcentage significatif de produits intermédiaires israëliens. [8]


Propos recueillis au Caire par Annick Coupé, Julien Ente et Alain Baron pour pour l’Union syndicale Solidaires (France).

Notes

[1] Une première prise de contact entre la nouvelle centrale et la délégation de l’Union syndicale Solidaires a eu lieu le mardi 24. Une rencontre beaucoup plus longue a eu lieu le samedi 28 mai : étaient présents, du côté égyptien, 6 syndicalistes enseignants, 4 représentant.e.s du syndicat des retraités, 2 du syndicat des impôts indirects, rejoints ensuite par de nombreux syndicalistes du textile.

[2] Il s’agit des personnels recrutés au niveau Bac +2. »Bien que cette catégorie constitue le gros des personnels de la Santé, elle est défavorisée par rapport aux médecins et au personnel administratifs. Ces salariés ne sont pas protégés par la réglementation. Aucun syndicat ne défendait leurs droits contre les pratiques arbitraires de l’Etat. Leurs revendications étaient ignorées par les médias officiels. Ne pouvant compter sur la Fédération syndicale officielle, et inspirés par la Révolution du 25 janvier 2011, ils ont décidé de créer un syndicat indépendant afin de choisir librement leurs représentants. C’est la première fois que des milliers d’agents techniques de la Santé se réunissent pour revendiquer leurs droits". (Souad ABDEL-HAMID traduite par Hanny Hanna. Voir sur ESSF (article 22203) : Le syndicat de retraité.e.s de la nouvelle confédération militante en Egypte).

[3] El-Sayeda (Souad) Abdel-Hamid Abdel-Gayad, est membre du Comité fondateur de la nouvelle centrale. Elle participe à la direction de celle-ci au titre du syndicat des retraité.e.s.

[4] Voir note 1.

[5] Voir note 3.

[6] Voir compte-rendu spécifique, ESSF (article 22202) : Le syndicalisme enseignant en Égypte.

[7] Voir compte-rendu spécifique, ESSF (article 22203) : Le syndicat de retraité.e.s de la nouvelle confédération militante en Egypte.

[8] Etude coordonnée par Joel Benin Justice for All : The Struggle for Worker Rights in Egypt (2010) - pages 48 à 55.

* Traduction assurée par Françoise Clément. Traduction d’El-Sayeda ABDEL-HAMID ABDEL-GAWAD, dite Souad ABDEL-HAMID, par Hanny Hanna (Sud Collectivités territoriales) pour l’Union syndicale Solidaires.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message