La réponse sécuritaire en banlieue est-elle la bonne ? table ronde

vendredi 8 juillet 2011.
 

François Asensi, député (membre du groupe GDR) de Seine-Saint-Denis, maire de Tremblay-en-France.

Jean-Pierre Havrin, adjoint au maire de Toulouse chargé de la sécurité, ancien policier.

Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherches au CNRS.

Faut-il envoyer l’armée
 dans les cités  ?

Jean-Pierre Havrin L’élu qui a avancé cette proposition l’a fait, je crois, autant par désespoir que par provocation. Je remarque tout de même que cela fait un moment qu’on emploie des mots guerriers pour tout ce qui concerne les banlieues  : on va faire la guerre aux voyous, on va projeter des troupes… Ce discours n’est pas sans conséquences sur les gens. On leur dit  : combattons ces jeunes des cités qui sont tous des voyous, des ennemis qui représentent une force étrangère. Tout cela est très dangereux. Si on envoyait l’armée dans les banlieues, on ne serait plus en République. De plus, l’armée n’est pas faite pour cette mission. La police non plus, d’ailleurs  : le plus beau nom du policier, c’est gardien de la paix. Il n’est pas fait pour mener la guerre. C’est l’inverse.

Laurent Mucchielli C’est un terrible aveu d’échec et d’impuissance. Impuissance pour l’élu, échec pour la stratégie policière choisie par le pouvoir politique depuis 2002. Elle consistait à dire  : il y a des zones de non-droit, nous allons mettre en place des stratégies plus offensives pour mater les sauvageons. C’est la guerre, et la police va la gagner. Pour ce faire, on a opté pour la militarisation avec une police de maintien de l’ordre, des opérations coup de poing, des équipes surarmées pour nettoyer tel terrain avant d’aller sur le suivant. Avec dix ans de recul, on voit bien que cette politique ne règle pas le problème. Elle décrédibilise même l’idée qu’on pourrait y changer quelque chose  : la délinquance, ne serait pas produite par des facteurs sociaux –une idée qui relèverait du laxisme– et une posture autoritaire suffirait. Cette stratégie n’a absolument pas diminué la délinquance, qui a des causes socio-économiques plus profondes. L’action policière n’a mis fin ni au phénomène des bandes ni au trafic de drogue.

François Asensi Appeler l’armée à la rescousse dans les quartiers populaires est un terrible aveu d’impuissance et d’échec. D’autant plus quand, dans le même temps, on avance, comme solution aux trafics, la légalisation de la drogue. J’estime que la société ne peut pas baisser les bras. L’armée n’est pas une force d’interposition. Comment peut-on imaginer un seul instant des combats entre l’armée et les trafiquants sous les fenêtres des habitants  ? Le travail de l’armée est de faire la guerre, pas d’assurer l’ordre public. On n’est ni en Colombie ni au Kosovo. Les habitants des banlieues ne sont pas les ennemis de l’intérieur. En appeler à l’armée dans des quartiers ciblés n’est pas non plus exempt de relents colonialistes. Cette proposition jette de l’huile sur le feu et montre, une nouvelle fois, du doigt les banlieues comme des territoires exclus de la République. Le récent sondage de France Soir montre bien que la grande majorité des Français, 81%, estiment que ce n’est pas à l’armée mais à la police d’assurer la sécurité publique. C’est à la police républicaine de garantir la sécurité des citoyens quels que soient leur lieu d’habitation, leur statut social ou leur origine. Elle a besoin pour son travail d’être encouragée et soutenue dans ses missions républicaines.

La présence policière est-elle facteur de calme, d’ordre, de tranquillité dans les quartiers  ?

François Asensi Je n’apprécie pas beaucoup ce concept dévalorisant de quartiers pour parler de la banlieue. Les habitants des cités populaires sont des habitants de vraies villes. La présence policière est bien sûr nécessaire là où le trafic de drogue s’apparente au grand banditisme. Elle joue un rôle de dissuasion, de prévention et de répression aussi. Aucune complaisance n’est de mise face à la dérive mafieuse du trafic de drogue qui empoisonne la vie des habitants de quelques cités. Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour neutraliser ce trafic odieux qui pose avant tout un problème de santé publique. Le renforcement des actions d’investigation et de renseignement est essentiel pour confondre les trafiquants. Le nombre de policiers présents sur le terrain en banlieue est notoirement insuffisant. Dans cette lutte sans merci contre le grand banditisme, aucun moyen ne doit être négligé.

Jean-Pierre Havrin La police est un facteur de calme à condition de l’employer correctement. Aujourd’hui, les policiers passent dans les quartiers en patrouille, casqués, avec des épaulières, des protections telles qu’ils ressemblent à des Robocop. Ils n’ont plus visage humain. De plus, une police qui ne fait que passer est aveugle, elle tape un peu au hasard. Non seulement cela ne crée pas de liens, mais cela déclenche plutôt des affrontements. Ces policiers sont projetés dans les quartiers et se retirent le combat terminé, offrant une image symbolique de force brutale. Du coup, la police est regardée comme une adversaire, comme une ennemie.

Laurent Mucchielli La stratégie d’intervention actuelle, en force, après coup, est le contraire de ce qu’il faut faire. Tous les policiers et tous les gendarmes d’expérience savent que si on traite seulement les auteurs d’actes de délinquance, les problèmes recommencent par la suite. Tous les discours populistes et totalement démagogiques qui disent que la police est en guerre et qu’elle va la gagner, que nous allons éradiquer la délinquance, sont une aberration.

Une véritable police de proximité 
est-elle une garantie de réussite  ?

François Asensi La police de proximité compte pour développer des relations apaisées entre les habitants et les forces de l’ordre. Je suis intervenu à plusieurs reprises, à l’Assemblée nationale, pour que Sevran bénéficie d’une unité territoriale de quartier (Uteq) et d’un commissariat de plein exercice. L’extension du trafic se nourrit d’une assise forte dans la petite et moyenne délinquance, contre laquelle la présence quotidienne des forces de police sur le terrain est utile.

Jean-Pierre Havrin Il n’y a pas d’autre solution que celle d’une présence permanente des policiers dans les quartiers, où ils apprivoisent le territoire et sont apprivoisés par les habitants. La police de proximité est même indispensable. Il faut que les gens soient persuadés que la police est à leur service, qu’elle est là pour les aider et non pour les emmerder, pour faire en sorte que la vie en société se passe mieux. Pour ce faire, il faut que les mêmes fonctionnaires soient toujours placés aux mêmes endroits. J’ai constaté tout au long de ma carrière que les gens n’aiment pas les flics en général mais qu’ils aiment bien leurs flics à eux, ceux qu’ils voient régulièrement, avec qui ils parlent. À ce moment, ce sont les voyous qui sont isolés. Ils ne font plus la loi parce que les gens ont confiance dans cette police qui est là tous les jours. Au début, au Mirail, où vivent 50 000 personnes, les flics voyaient la population comme une adversaire. Peu à peu, ils se sont aperçus qu’il n’y avait qu’une quarantaine de voyous et que ceux-là, il fallait les interpeller, les arrêter. La police de proximité permet de bien les cibler, de faire preuve de discernement, de ne pas contrôler dix fois les mêmes personnes, de ne pas ennuyer les gens qui n’ont rien à voir avec ça. Et c’est accepté par tout le monde. Parce que c’est juste  : la police n’est pas là pour frapper à tort et à travers mais pour mener une action juste.

Laurent Mucchielli La police de proximité est celle d’une présence continue, en amont et au moment des problèmes. Elle n’a rien à voir avec la caricature scandaleuse et politicienne qu’en a donné Nicolas Sarkozy lorsqu’il est allé humilier les policiers à Toulouse, en 2003. Ce n’est pas une police gentille, benoîte. La police de proximité se donne comme objectifs la compréhension, l’analyse, la présence permanente sur un territoire donné auprès d’une population donnée. Dans le but, d’un côté, d’aider les habitants à régler toute une série de problèmes de la vie quotidienne, d’entendre cette demande sociale et d’assurer la sécurité publique, ce qui leur donne la légitimité sur le terrain, et d’un autre, connaissant le territoire et sa population, de mieux faire tous les autres métiers de police  : le judiciaire, le renseignement, le maintien de l’ordre. Les policiers se créent alors, localement, des réseaux, et travaillent avec les différents services municipaux, avec les travailleurs sociaux du conseil général, avec les acteurs judiciaires. Cette police, complète, ne peut être que plus performante. Les évaluations de l’îlotage et de la police de proximité, réalisées par mon collègue Christian Mouhanna, chercheur au CNRS, l’ont prouvé  : habitants, élus et policiers valorisés dans leur travail étaient contents.

Pour assurer la sécurité, 
la réponse policière est-elle suffisante  ?

Laurent Mucchielli Pour réduire le phénomène de délinquance, il faut avoir une stratégie globale et agir sur ses multiples causes. En ce qui concerne les jeunes, la première est l’échec scolaire, qui est un précipitateur de délinquance. Ce mécanisme est très vieux et très connu  : échec, cancre, perturbateur, exclu, la rue. Ce phénomène n’est pas quantifié de façon satisfaisante dans les quartiers populaires. Au lieu de s’attaquer à ce problème, on dit qu’on va dépister les futurs délinquants. Il s’agit d’un dévoiement complet de la prévention. Ensuite vient le chômage dans les quartiers populaires qui n’est reconnu ni dans son ampleur réelle ni dans ses multiples conséquences dévastatrices. Enfin, il faut relever toutes les carences dans le maillage social des quartiers populaires –partis, syndicats, associations, mouvements de jeunesse et d’éducation populaire– qui, hier, permettait un contrôle social de la jeunesse turbulente.

Jean-Pierre Havrin La réponse sécuritaire ne peut pas être la seule. La sécurité est une chaîne dont les maillons sont l’éducation, les parents, l’école, les services sociaux, en passant par la police et la justice. La sécurité est une coproduction entre tous les services publics. Le désengagement de l’État va à l’encontre de cette logique. La sécurité dans les quartiers ne peut pas être assurée que par l’action de la police. Le problème numéro un, c’est le chômage, c’est clair. Cela étant, mettre en place une police de proximité, c’est installer un cercle vertueux  : cela engage un changement de mentalité, des gens comme des policiers. Il faut admettre que ça prend du temps. C’est politiquement difficile à faire admettre. Plus complexe à gérer que la multiplication des effets d’annonce.

François Asensi Dans les cités, les racines du mal, tout le monde les connaît. Pas loin de 40% des jeunes sont au chômage, dans leur majorité ils n’ont aucun diplôme. Le nombre de familles monoparentales y est plus élevé qu’ailleurs. Plus du tiers des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté. La rénovation urbaine a représenté un formidable effort de l’État, mais reloger les mêmes familles dans de nouveaux logements ne résout pas leurs difficultés sociales. L’État doit mettre plus de moyens pour lutter contre les discriminations, contre le chômage, notamment celui des jeunes, pour favoriser une véritable politique éducative, pour imposer des salaires décents. Les élus doivent se rassembler pour que de vraies mesures sociales soient prises dès maintenant. Cette situation est aussi, pour moi, le révélateur de la nécessité de transformer profondément cette société.

Entretiens croisés réalisés par Dany Stive, L’Humanité


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