Mondialisation Démondialisation 9 Les vertus de la démondialisation (Par Walden Bello)

mercredi 23 août 2017.
 

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Mondialisation Démondialisation 25 textes pour un débat

Dans leur lutte contre la crise économique actuelle, les gouvernements se sont publiquement targués de leur attachement à la coordination internationale, mais ont en réalité favorisé des plans de relances nationaux conçus pour redynamiser leur propre marché. Ce faisant, ils ont discrètement enterré la croissance par les exportations, qui a longtemps orienté de nombreuses économies, sans pour autant cesser de vanter l’approfondissement de la libéralisation du commerce – via la poursuite du cycle de négociations de Doha dans le cadre de l’organisation mondiale du commerce – comme un moyen de contrer la récession mondiale.

Il est de plus en plus évident qu’on ne reviendra pas à ce monde largement dépendant de la prodigalité des consommateurs américains : la plupart d’entre eux sont sur la paille et personne n’a pris leur place. Par ailleurs, que cela prenne la forme d’un accord international ou de décisions unilatérales des gouvernements, toute une gamme de restrictions viendra très probablement encadrer les capitaux financiers, dont la circulation efrénée fut l’un des facteurs de la crise.

Pourtant le discours intellectuel témoigne encore assez peu de cette rupture avec l’orthodoxie. Le néolibéralisme, qui met l’accent sur le libre-échange, la primauté de l’initiative privée et un rôle de l’Etat réduit à sa plus simple expression, reste le langage par défaut des décideurs. Ceux qui, au sein de l’establishment, critiquent le fanatisme de marché, tels les économistes américains Joseph Stiglitz et Paul Krugman, s’enlisent dans d’interminables débats sur l’ampleur que doivent prendre les programmes de relance et sur la nécessité pour l’État de demeurer interventionniste ou bien de rendre les entreprises et les banques, une fois stabilisées, au secteur privé. Certains, dont Stiglitz, continuent par ailleurs de croire à ce qu’ils estiment être les bienfaits de la mondialisation tout en déplorant son coût social.

Reste que les choses évoluent bien plus vite que les idéologues ou les contempteurs de la mondialisation néolibérales, et des transformations jugées impossibles il y a encore quelques années sont aujourd’hui en passe de se concrétiser. « L’intégration économique mondiale recule sur quasiment tout les fronts« , constate ainsi The Economist. Les entreprises continuent de croire à l’efficacité des chaînes logistiques planétaires, assure le magazine britannique, mais » c’est à son maillon le plus faible que l’on mesure la solidité d’une chaîne. Le danger surgira si des entreprises décident que c’en est terminé de ce type d’organisation de la production. »

La « démondialisation », terme dont The Economist m’attribue la paternité, représente une évolution jugée négative par le magazine, grand chantre mondial de l’idéologie libérale. J’estime pour ma part que la démondialisation est une chance. Avec mes confrères de Focus in the Global South, nous avons présenté la démondialisation comme un modèle pouvant remplacer la mondialisation néolibérale il y a de cela prés de dix ans, quand les tensions, les épreuves et les contradictions de cette dernière étaient déjà douloureusement tangibles. Conçu comme une solution de remplacement essentiellement destinée aux pays en développement, ce paradigme est également pertinent pour les principales économies capitalistes.

Le modèle de la démondialisation se décline en 11 points clés :

1 – Le centre de gravité de l’économie doit être la production destinée au marché intérieur et non à l’exportation.

2 – Le principe de subsidiarité doit être inscrit dans la vie économique par des incitations à produire les biens à l’échelle locale ou nationale tant que cela peut se faire à des coûts raisonnables, afin de protéger la communauté.

3 – La politique commerciale (autrement dit les quotas et les barrières douanières) doit avoir pour objectif de protéger l’économie locale contre les importations de matières premières subventionnées, à des prix artificiellement bas.

4 – La politique industrielle (qui inclut subventions, barrières douanières et échanges commerciaux) doit avoir pour objectif de revitaliser et de renforcer le secteur manufacturier.

5 – Toujours remises à plus tard, les mesures de redistribution équitable des revenus et des terres (y compris la réforme foncière en milieu urbain) peuvent créer un marché intérieur dynamique qui deviendra le pilier de l’économie et produira au niceau local des ressources financières pour l’investissement.

6 – Accorder moins d’importance à la croissance, mettre l’accent sur l’amélioration de la qualité de vie et renforcer l’équité, c’est contribuer à réduire les déséquilibres environnementaux.

7 – La mise au point et la diffusion de technologies vertes doivent être encouragées tant dans l’agriculture que dans l’industrie.

8 – Les décisions économiques stratégiques ne peuvent être laissées au marché ni aux technocrates. Toutes les questions vitales (déterminer quelles industries développer, celles qu’il faut abandonneer progressivement, quelle part du budget de l’Etat consacrer à l’agriculture…) doivent au contraire faire l’objet de débats et de choix démocratiques.

9 – La société civile doit en permanence surveiller et superviser le secteur privé et l’Etat, selon un processus qui doit être institutionnalisé.

10 – Le régime de la propriété doit évoluer pour devenir une » économie mixte » intégrant coopératives et entreprises privées et publiques mais excluant les groupes multinationaux.

11 – Les institutions mondiales centralisées comme le FMI ou la Banque Mondiale doivent céder la place à ds institutions régionales batiés non sur l’économie de marché et la mobilité des capitaux,mais sur des principes de coopérations qui selon l’expression utilisée par Hugo Chavez pour décrire son Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA), » transcendent la logique du capitalisme « .

Le modèle de la démondialisation a pour objectif d’aller au delà de la théorie économique étriquée de l’efficacité, pour laquelle le critère essentiel est la réduction des coûts unitaires, quelles qu’en soient les conséquences en termes de déstabilisation sociale ou écologique. Il s’agit de dépasser un système de calcul économique qui, selon les termes de l’économiste JM Keynes, a transformé » l’existence tout entière [en] parodie d’un cauchemar de comptable « .

A l’inverse, une théorie économique efficace renforce la solidité sociale en subordonnant les opérations du marché aux valeurs d’équité, de justice et de communauté et en élargissant le spectre du processus de décision démocratique.Pour reprendre le terme utilisé par le grand penseur hongrois Karl Polanyi (1886-1964) dans La Grande Transformation (Gallimard 2009), il s’agit, par le biais de la démondialisation, de réencastrer l’économie dans la société, au lieu de la laisser conduire la société.

Le paradigme de la démondialisation affirme par ailleurs qu’un modèle » standard » comme le néolibéralisme ou le socialisme bureaucratique centralisé est facteur de dysfonctionnement et de déstabilisation. C’est au contraire la diversité qu’il faut espérer et encourager, comme dans la nature. Des principe alternatifs, largement partagés, existent ; ils se sont déjà dessinés dans la lutte contre le socialisme centralisé ou le capitalisme ainsi que dans l’analyse critique de leur échec. Cependant,l’articulation concrète de ces principes ( dont les plus importants ont été esquissés plus haut) sera fonction des valeurs, des rythmes et des choix stratégiques de chaque société.

Aussi radicale qu’elle paraisse, la démondialisation n’est pas vraiment une idée nouvelle. Elle s’inscrit notamment dans la lignée des écrits de Keynes, qui, au plus fort de la crise des années 1930, affirmait sans ambages : » Nous ne voulons pas …être à la merci des forces mondiales qui ouevrent, ou s’efforcent d’ouevrer, à un équilibre uniforme, conformément aux principes du laisser-faire capitaliste « . D’ailleurs, poursuivait-il, » pour une gamme de plus en plus large de produits industriels, et peut-être également de produits agricoles, je ne pense pas que les pertes économiques dues à l’autosuffisance soient supérieures aux avantages autres qu’économiques que l’on peut obtenir en ramenant progressivement le producteur et le consommateur dans le giron d’une même organisation économique et financière nationale. L’expérience tend de plus en plus à prouver que la plupart des processus modernes de production de masse peuvent être maitrisés dans la plupart des pays et sous presque tous les climats avec une efficacité comparable « .

Enfin, avec des mots étonnamment contemporains, le brillant économiste concluait : « Je sympathise [...] avec ceux qui souhaiteraient réduire au minimum l’interdépendance entre les pays, plutôt qu’avec ceux qui souhaiteraient la porter à son maximum. Les idées, la connaissance, l’art, l’hospitalité, les voyages : ce sont là des choses qui, par nature, doivent être internationales. Mais produisons les marchandises chez nous chaque fois que c’est raisonnablement et pratiquement possible : et, surtout, faisons en sorte que la finance soit en priorité nationale.« 

Par Walden Bello Courrier international (4ième trimestre 2009)


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