Gauche antilibérale : Il est interdit de désespérer ( Denis Sieffert dans Politis)

samedi 23 décembre 2006.
 

Il faut en convenir : la chose n’est pas aisée à comprendre. D’ordinaire, la démocratie, c’est une arithmétique. Ce n’est pas que cela, mais c’est d’abord cela. Une minorité qui se plie à une majorité. Or il se trouve que, dans l’aventure des collectifs pour une candidature unitaire de la gauche antilibérale, la démocratie et la règle à calcul ne pouvaient pas faire bon ménage. Pourquoi ? Parce qu’il était admis, dès l’origine de ce rassemblement, qu’il existait en son sein une composante plus importante que les autres. Si tout ce chemin parcouru, tous ces débats, toutes ces résolutions et tous ces amendements, tous ces meetings et tous ces ateliers n’avaient eu pour seul but que de démontrer l’hégémonie numérique du parti communiste, le jeu sans doute n’en aurait pas valu la chandelle. Les dirigeants et les militants qui se repaissent de cette victoire à la Pyrrhus ont découvert la lune. Ils’agissait évidemment de tout autre chose. Il s’agissait de dépasser dans un processus constituant la logique mortifère des cartels. Pour le dire, les initiateurs des collectifs avaient, dès le début, usé d’un mot peu habituel sous ces latitudes politiques : le consensus. Il fallait que le nom du candidat qui représenterait tous ces mouvements, tous ces courants, toutes ces sensibilités, toutes ces cultures, fasse « consensus ». Et il était au moins tacitement admis pour cela que l’heureux promu, pour ne pas dire l’heureux élu, ne pouvait pas être le porte-parole officiel d’un mouvement, et surtout pas du plus important de tous.

D’où cette apparente contradiction entre la démocratie de l’arithmétique et celle du consensus. Ce pouvait être, bien entendu, un communiste. Voire un communiste en vue. Il y avait l’hypothèse Patrick Braouezec, député de Saint-Denis, mais assez indépendant dans sa démarche pour pouvoir réunir sur son nom tous les courants. Il y avait Clémentine Autain, dont l’étiquette d’« apparentée communiste » ressemble déjà à une audacieuse synthèse. On poussa même la communistophilie jusqu’à envisager la candidature de l’euro-député Francis Wurtz, qui aurait pourtant du mal à passer pour un dangereux gauchiste, mais qui s’est acquis, par sa pratique au Parlement européen, la sympathie de beaucoup de ses partenaires de gauche. Mais rien n’y fit. Les caciques du parti avaient décidé que ce serait Marie-George Buffet et personne d’autre. Et la preuve qu’ils avaient raison, c’est qu’ils étaient les plus nombreux. Après tout, on ne peut leur reprocher qu’une chose : n’avoir pas dit plus tôt que, quoiqu’il advienne, la candidate officielle du Parti serait... candidate. Et qu’il n’était guère question dans cette affaire que de se compter et d’enfermer dans cette logique des collectifs condamnés à devenir en bout de course de simples comités de soutien. Carc’est ainsi que tout un processus qui avait été pensé pour échapper aux réflexes tribaux a finalement cédé aux réflexes tribaux. Que tout un mouvement qui ne pouvait aboutir que dans le dépassement des patriotismes d’organisations a fini dans l’exaltation des patriotismes d’organisations. Et si le pluriel est ici de mise, c’est qu’il faut bien associer dans ce conformisme politique la LCR au PCF. Chacun selon sa tactique. Pour une fois, ce sont les communistes qui ont fait de l’entrisme.

Mais essayons de voir un peu plus haut, et un peu plus loin. Si tant de militants se sont engagés avec ferveur dans ce mouvement pour une candidature unitaire, ce n’est sûrement pas par passion pour le régime présidentiel, ni par béate admiration pour les institutions de la Ve République, c’est évidemment en conscience d’un autre enjeu. L’objectif était d’inventer une force de gauche nouvelle, résistant aux agressions du néolibéralisme. De donner forme et continuité à ce qui s’est exprimé lors de la campagne référendaire de mai 2005. D’offrir une représentation à une partie de l’opinion qui ne se reconnaît pas, ou plus, dans le parti socialiste, et qui ne peut s’identifier à aucun des groupes ou groupuscules qui se concurrencent sur ce territoire politique en jachère qu’on appelle « la gauche de la gauche ». Et,pour cela, d’opérer une synthèse entre plusieurs cultures. C’est une occasion ratée. Mais les collectifs ont tout de même un formidable acquis. Ils ont converti une tradition protestataire en propositions et en programme. Ils ont réussi le plus difficile et échoué sur le dérisoire. Il faut espérer que ce qui s’est construit ces derniers mois ne sera pas perdu, et reversé au profit du mouvement social, notamment. Mais pas seulement. L’enjeu est si impératif, et l’offre politique actuelle si peu conforme aux demandes de l’opinion, qu’il est interdit de désespérer.


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