Mexique : « Les cartels de la drogue alimentent le système capitaliste. Washington en a favorisé l’émergence » (Babette Stern)

mercredi 27 juillet 2011.
 

Quelle est la caractéristique des cartels mexicains ?

Babette Stern : Ce sont d’abord les plus puissants. Les cartels colombiens ont décliné après la mort de Pablo Escobar en 1993. Leur particularité est qu’ils sont très familiaux. Ils viennent tous de la même région, l’Etat du Sinaloa, sur la côte Pacifique. Il n’y a pas tellement de trahisons entre eux. Si l’un des membres de la famille est arrêté ou tué, il y a toujours un fils ou un neveu pour prendre la relève.

Vous écrivez dans votre livre qu’à l’instar des sociétés côtées en Bourse, ces cartels alimentent le système capitaliste. Comment cela se passe-t-il ?

Babette Stern : Ils alimentent le système capitaliste parce qu’ils sont dans le système capitaliste. Ils ont le même fonctionnement que n’importe quelle entreprise : ils sont dans l’économie de marché, ils profitent des effets de la mondialisation, des innovations technologiques, ils brassent de l’argent, ils le placent en Bourse, ils font des bénéfices. La différence est qu’ils ne redistribuent pas des dividendes à leurs actionnaires ! Ce sont des businessmen, ils font de l’argent.

Quelle a été l’évolution de ces cartels ? En quoi leur ascension a été « irrésistible » pour reprendre le sous-titre de votre ouvrage ?

Babette Stern : Les Mexicains ont une immense frontière avec les Etats-Unis. Depuis les années 1915-1920, du temps de la prohibition, il y avait de la contrebande. Ils passaient un de drogue mais rien de vraiment important. Mais peu à peu la drogue est devenue plus prégnante aux Etats-Unis, c’est le premier marché au monde pour la consommation. Les politiques américaines ont, d’une certaine manière, favorisé leur émergence. C’était des gens qui avaient une position stratégique inégalable, qui étaient astucieux, qui avaient tous les circuits de distribution existants avant la drogue et qui ont profité de la politique américaine pour se développer. Ainsi, lorsque les Américains ont fait une guerre sans merci aux cartels colombiens, les Mexicains en ont profité pour prendre leur place en n’étant plus seulement un lieu de transit, mais en contrôlant toute la filière, de la production à la consommation. Lors des négociation du Traité de Libre échange entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique (ALEAN), Bush avait une telle obsession de le faire ratifier parce que cela ouvrait un énorme marché pour les produits subventionnés américains, qu’il n’a pas voulu toucher aux connections mafieuses au Mexique.

L’irrésistible ascension est venu donc de leur talent d’entrepreneurs et de la frontière mais cela n’aurait pas suffit sans les contrecoups de la géopolitique américaine, et notamment pendant la guerre froide. Les Américains pourchassaient les communistes et pendant ce temps là les Mexicains ont pu tranquillement se développer. D’autant que pendant cette période, le FBI, la CIA et la DEA (chargé de la lutte contre le trafic de drogue) s’opposaient. Pour financer les contras au Nicaragua contre les sandinistes, la CIA s’est ainsi servi de l’argent de la drogue.

Existe-t-il une collusion avec certains dirigeants politiques ?

Babette Stern : Le Mexique est extrêmement corrompu. Il y a 37 Etats et donc autant de gouverneurs, d’administrations, de polices différents. Les narcotrafiquants mexicains brassent énormément d’argent. Leur chiffre d’affaires serait, selon l’Onu, de 450 milliards de dollars. Pour la cocaïne seule on parle de 88 milliards de dollars et les Etats-Unis représentent 41% de la consommation, soit 36 milliards. 90% passe par le Mexique. Personne ne résiste à autant d’argent. Ni les politiques, ni les juges.

Et ceux qui n’en croquent pas ?

Babette Stern : Ceux-là sont souvent abattus. Après l’Irak, le Mexique est le pays le plus dangereux pour les journalistes et pourtant ce n’est pas un pays en guerre. Il y a maintenant une forme d’autocensure. Les journalistes mexicains ne sont pas corrompus mais ne peuvent pas faire leur travail et ne disent plus rien sur les narcotrafiquants.

Il y a néanmoins une réaction avec la caravane qui est passée par Ciudad Juarez. Est-ce un vrai mouvement qui est en train de se créer ? Que faut-il en attendre ?

Babette Stern : On espère que c’est un vrai mouvement. La population est prise en otage. Il y a une violence extrême. Depuis 2007 il y a près de 40000 morts. Il y a des morts suite à des affrontements entre cartels mais c’est une violence assez aveugle et indiscriminée. Les gens en ont assez de cette violence. Ils luttent mais ils ne savent pas très bien s’organiser. Le déclencheur a été l’assassinat, il y a deux mois, du fils de Javier Sicilia, poète très connu au Mexique qui a organisé une marche. Il a une voix qui porte. Ils signent un pacte national en demandant aux politiques d’arrêter les corruption. Pour l’instant, c’est un peu symbolique mais on ne sait pas. La mèche peut peut-être vraiment prendre. Il y a des élections en 2012. Ce n’est pas là où on trouvera la solution pour lutter contre les narcos mais ça peut peser sur les votes, en fonction de ce que les candidats proposeront pour lutter contre ce fléau terrible. Il faut de vraies décisions politiques, une coopération plus importante entre les Etats-Unis et le Mexique. Il faut que les Américains balaient devant leur porte parce que les narcotrafiquants sont armés jusqu’aux dents et ce sont les Etats-Unis qui fournissent les armes. Et il faut lutter contre l’offre mais aussi contre la demande et les causes de la demande.

(1) « Narco business. L’irrésistible ascension des mafias mexicaines ». Max Milo Editions. 284 pages. 18 euros.

Entretien réalisé par 
Pierre Barbancey, L’Humanité


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