Justice états-unienne : A la lumière de l’affaire DSK

jeudi 23 juin 2011.
 

La France ébahie a, dans les jours suivant le 15 mai, découvert (ou parfois reçu la confirmation) qu’aux Etats-Unis, la puissance et l’argent ne protègent pas des outrages policiers et judiciaires mais aussi que les procès américains sont bien loin de prémunir contre l’injustice.

Le système pénal états-unien, dit "accusatoire", repose sur l’idée d’un juge-arbitre se prononçant en fonction des preuves et arguments avancés par les parties (l’accusation représentée par le procureur, la défense et dans une moindre mesure la plaignante). Le procès pénal est avant tout pour les Américains une affaire privée dans lequel les pouvoirs publics n’interviennent que pour départager des thèses en présence. Le procureur est élu et l’avocat de la défense est rémunéré par son client, quand celui-ci le peut. Selon un rapport officiel de la Legal Services Corporation paru en 2005, seuls 20% des besoins en aide juridictionnelle sont satisfaits ! Jusqu’à une éventuelle condamnation, le ou la plaignant-e est considéré-e comme un témoin et non comme une partie, encore moins comme une victime.

Mais le plus choquant est bien que, entre l’accusation et la défense, tous les coups sont permis : seuls des accusés très argentés ont les moyens de répliquer en menant des investigations coûteuses afin de prouver leur innocence. La technique consistant à salir la partie plaignante en enquêtant sur sa vie, sa famille s’est développée avec l’aide de détectives privés utilisant souvent des méthodes peu ragoûtantes (filatures, surveillance, recueils de témoignages de membres de la famille se nourrissant de tous les règlements de comptes intrafamiliaux...). Les accusés pauvres sont à la merci, sans pouvoir répliquer, de procureurs et de policiers bien souvent peu encombrés de scrupules, dont certains n’hésitent pas à occulter des éléments à décharge ou même à fabriquer de fausses "preuves" à charge. Tout cela dans un pays où un accusé plaidant non-coupable condamné peut être puni de surcroît pour "parjure"... tout comme la plaignante si l’accusé est déclaré innocent ! Le polar de Michaël Connelly, aujourd’hui adapté au cinéma, "La défense Lincoln", relate parfaitement cette réalité. L’image du renard libre dans le poulailler libre vient immédiatement à l’esprit. Plus que toute autre, la justice états-unienne broie les plus faibles, au mépris de la réalité des faits : pour éviter un procès, il faut plaider coupable ce qui permet à la défense de mener des négociations avec la plaignante pour arriver à une transaction financière. La conséquence est que des accusés ayant des chances raisonnables de s’entendre reconnus comme innocents préfèrent éviter "l’aléa judiciaire" en plaidant coupable.

Toutes les dérives du système pénal états-unien (marchandisation des droits de la défense et des outils de surveillance, prisons privées, plaider-coupable, développement des procédures d’arbitrage privées,...) sont à l’œuvre en Europe depuis plus d’une décennie et particulièrement en France. Il n’en reste pas moins que, s’agissant de la comparaison des systèmes états-unien et français, la maxime « je me lamente en me contemplant mais je me rassure en me comparant » prend tout son sens.

Le marché de la punition

La privatisation et la concurrence règnent puisqu’il appartient au condamné de payer pour sa propre surveillance (200 000 euros par mois dans le cas de DSK !), assurée par des entreprises privées qui peuvent d’ailleurs aussi fournir, comme dans le cas d’espèce, un logement. L’aliénation atteint son comble. Le cynisme marchand aussi. Le chercheur norvégien Nils Christie a parfaitement disséqué l’industrie de la punition dans son livre éponyme (1) et son extension particulièrement marquée aux Etats-Unis. Sur fond de recul marqué de l’Etat social durant les trois dernières décennies, l’Etat pénal a lui connu un développement spectaculaire, faisant la fortune d’entreprises privées ayant investi à la fois dans le carcéral et plus récemment dans les infrastructures de surveillance (vidéo-surveillance, bracelets électroniques...). Cité par Loïc Wacquant, chercheur français aux Etats-Unis, dans Punir les pauvres (2), le PDG de "Corrections Corporation of America", principale entreprise sur ce marché, donnait le ton en 1996 dans son rapport annuel aux actionnaires : « Nos lits sous contrat totalisent maintenant plus de deux fois la taille du système carcéral moyen d’un Etat, et nos tarifs par lit sont inférieurs de 26% au coût moyen de détention dans le secteur public. Notre succès est aussi reflété par les dividendes que nous distribuons : la valeur (de notre action) a augmenté de 138% en trois ans (...) Nous pouvons continuer à être le fer de lance de la croissance de l’emprisonnement privé et de la valeur de notre titre pour les actionnaires ». Quinze sociétés se partagent la gestion complète de prisons. Sept d’entre elles sont cotées en bourse, totalisant un chiffre d’affaires de deux milliards de dollars pour leur seule activité carcérale. Le marché ne cesse de profiter de l’accroissement de l’Etat pénal : l’évolution comparée du nombre d’étudiants et du nombre de détenus dans l’Etat de Washington, également citée par Loïc Wacquant dans le même ouvrage, est terrifiante : de 15 000 étudiants pour 3 000 prisonniers en 1980, la capitale fédérale est passée à 4 700 étudiants pour 13 000 détenus en 1997 !

(1) Nils Christie, "L’industrie de la punition", éd Autrement, dernière édition 2003

(2) Loïc Wacquant, "Punir les pauvres, éd Agone, 2004

Pays des erreurs judiciaires

Une étude parue en 2000 portant sur les 5760 condamnations à mort prononcées entre 1973 et 1995 (1) aux Etats-Unis a révélé que 68% d’entre elles étaient entachées d’erreurs, soit en droit, soit en fait. Ainsi, le rapport pointait du doigt les avocats « incroyablement incompétents qui ne cherchent pas ou manquent de façon inexpliquée les preuves montrant que leur client est innocent ou ne mérite pas de mourir », tout comme "la police ou les procureurs qui ont découvert (des éléments à décharge) mais décident de les supprimer et de ne pas en faire part au jury ». L’utilisation quasi-systématique de l’ADN en matière criminelle, si elle a permis de disculper a posteriori de nombreux condamnés à mort, jusqu’à décider certains Etats à décréter un moratoire sur l’application des exécutions, n’est donc pas la réponse absolue contre l’inégalité des armes qui prévaut entre l’accusation et la défense. A noter que selon des études concordantes, les Noirs représentent 40% des condamnés à mort (20% environ de la population totale) et également environ 40% des cas dans lesquels des gens sont libérés du couloir de la mort parce qu’on a des doutes quant à leur culpabilité.

(1) Le système brisé, rapport de l’Université de Columbia (New-York), 2000


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message