Portugal Mai 2011 : « Il faut prendre un autre cap au service du pays et du peuple  ! »

jeudi 2 juin 2011.
 

« Il faut prendre un autre cap au service du pays et du peuple  ! » Des dizaines de milliers de Portugais sont descendus dans les rues de Lisbonne et de Porto, à l’appel de la CGTP, la principale confédération syndicale, pour protester centre le plan dit d’aide concocté par la troïka (Union européenne, BCE, FMI). Les conditions assorties au prêt de 78 milliards d’euros sur trois ans conduisent à un « désastre national », selon eux. « Le Portugal vit depuis longtemps dans la crise », affirme Helder Pires, du syndicat Fiequimetal (industrie chimique, minière…). « Le plan va rajouter des problèmes aux problèmes déjà existants car la troïka exige la mise en place de mesures d’austérité qui vont surtout fragiliser ceux qui ont déjà le moins de moyens, c’est-à-dire la majorité de la population. »

Un ensemble de mesures antisociales

L’accord passé avec le gouvernement socialiste et l’aval des deux partis de droite PSD et CDS, que les syndicalistes ont désormais rebaptisé « l’autre troïka », repose en effet sur un ensemble de mesures antisociales sans précédent. Outre la casse des services publics (voir encadré), « l’aide » est conditionnée au gel du salaire minimal, qui n’est pourtant que de 485 euros, tandis que les salaires et les pensions supérieures à 1 500 euros seront soumis à un nouvel impôt.

Quelques exemples  : les prix des médicaments, des transports, du gaz et de l’électricité, ainsi que la TVA vont être augmentés. Dans le même temps, à la faveur d’un Code du travail dépecé, le coût des licenciements sera de nouveau abaissé, conformément à la demande du patronat, les salariés en CDD licenciés voyant leurs indemnités amputées des deux tiers. Le plan du FMI et de l’UE prévoit également une série de privatisations dans les secteurs de l’énergie (électricité), des transports (aériens), de la poste. « Alors que les secteurs économiques primaire et secondaire ont été détruits, ils veulent désormais dérégler tout le marché du travail », estime Helder. Dans le même temps, accuse-t-il, le FMI, l’UE et la « troïka nationale » continuent de favoriser les banques et les grandes entreprises « avec de nouvelles exonérations d’impôts ».

5 juin une nouvelle journée de lutte

Or, ces « “remèdes” ne soigneront pas la crise, et la Grèce en est le meilleur exemple », assure Fatima Messias, salariée de la construction civile. En partant de l’Assemblée nationale pour finir à Belem, lieu de la présidence, la manifestation se voulait également symbolique. Face à « un gouvernement socialiste qui se soumet à la tutelle étrangère, nous pouvons décider de notre futur en faisant du 5 juin une nouvelle journée de lutte », poursuit-elle, en référence aux élections législatives anticipées qui auront lieu ce jour-là. La CGTP appelle en effet les salariés à se saisir de cette occasion pour faire valoir « des chemins alternatifs », et rejeter ainsi le plan de Bruxelles et du FMI qui tient lieu de feuille de route pour le prochain gouvernement. « Notre pays est libre, souverain, et nous refusons que le FMI et l’UE se superposent à nos structures nationales », déclare Fatima, qui ajoute  : « Vous pouvez le voir avec le directeur général du FMI  : l’argent ne peut pas acheter les valeurs et les principes de dignité. » Quand bien même le chèque est de 78 milliards d’euros.

Cathy Ceïbe, L’Humanité du 20 mai 2011

1) Manuel Carvalho da Silva « Il faut transformer les peurs et les silences en contestation »

Manuel Carvalho da Silva est secrétaire général de la Confédération générale des travailleurs portugais (CGTP). Il dénonce 
le « plan d’aide » 
de l’UE et du FMI et précise l’alternative 
aux orientations néolibérales pour sortir de la crise.

Comment réagit la CGTP 
à l’accord entre la troïka 
(UE, BCE, FMI), le gouvernement socialiste et les formations de droite conditionnant le prêt financier 
de 78 milliards  ?

Manuel Carvalho Da Silva. Cet « accord » n’a pas force de loi. Et les salariés doivent le reformuler. Car le programme est une attaque à la démocratie et à la souveraineté nationale. C’est une ingérence étrangère qui nie le développement du pays. L’accord prévoit des privatisations qui vont occasionner des pertes irréparables dans les domaines de la santé, l’éducation, la justice et la Sécurité sociale. Un exemple, au nom de la résolution des problèmes de compétitivité, la taxe sociale unique (cotisations sociales patronales) va être diminuée alors qu’elle n’est que de 2,8 %. L’objectif est  : davantage d’impôts pour les travailleurs, tout en déstabilisant le système social en vue de le privatiser.

Vous affirmez que ce recours 
à une aide économique étrangère n’était pas inévitable…

Manuel Carvalho Da Silva. Les exécuteurs internes des politiques néolibérales nous ont sciemment soumis au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque centrale en vue de servir leurs objectifs. Durant des années, le Portugal a subi, de façon criante, la destruction de son appareil productif au nom de la modernité  : l’industrie, l’agriculture, la pêche. Dans le même temps, la corruption a crû dans les secteurs publics et privés. Des dizaines de millions d’euros se sont volatilisées. Des individus se sont approprié les fonds d’aides communautaires de l’Union européenne alors qu’ils auraient dû servir au développement. La valeur travail, des professions entières ont été secondarisées. Nous nous sommes privés de partenariats stratégiques avec des pays moteurs de la nouvelle globalisation, comme le Brésil et l’Angola, et plus généralement avec l’Amérique latine, qui auraient freiné l’état de dépendance économique absolue dans lequel nous sommes aujourd’hui. L’autre cause de la dette est la soumission au fondamentalisme néolibéral de l’Union européenne qui a conduit au vol organisé des agences de notation financière.

La Grèce, l’Irlande, le Portugal… Qu’est-ce qui est en échec dans l’Union européenne, et peut-on 
dire qu’elle est en danger  ?

Manuel Carvalho Da Silva. Elle l’est, c’est indiscutable. Lors du récent congrès de la Confédération européenne des syndicats (CES), je suis intervenu pour expliquer que les problèmes auxquels nous étions confrontés étaient très graves mais qu’ils ne concernaient pas seulement les pays mis sous tutelle de l’UE et du FMI. Il n’y a plus de recomposition possible du projet européen tel que nous le connaissons ni des pouvoirs politiques existants. Soit il y a une mobilisation des travailleurs et des peuples en faveur d’un projet européen de coopération, d’harmonisation sociale, d’intégration respectueuse des identités et des cultures, de développement social et humain, soit le projet politique de l’Union européenne est voué à l’échec et nous assisterons à une dégradation sociale et de civilisation incalculable.

Pourquoi domine le sentiment 
qu’il n’y a pas d’autre choix possible qu’une intervention étrangère  ?

Manuel Carvalho Da Silva. Le président, Antonio Cavaco Silva (droite), a osé déclarer que les Portugais ont vécu au-dessus de leurs moyens alors que le pays compte, officiellement, un taux chômage à 12,4 %, et que les salariés pauvres sont toujours plus nombreux. D’autres, en revanche, ont très bien vécu. Les banques ont bénéficié de fonds publics. D’ailleurs, 12 milliards sur les 78 milliards du fonds économique de l’UE et du FMI leur sont destinés. On répète que le peuple ne peut rien faire sauf se soumettre. Que réclamer la renégociation de la dette, et des échéances de paiements est stupide. Tout cela désarme et conduit à croire qu’il n’existe pas d’alternative. Pis, on accrédite l’idée que « l’extérieur » est indispensable pour remettre de l’ordre dans la maison. Mais le FMI et l’UE vont miner les fondations du pays. Il est important de transformer les peurs et les silences en contestations. Le bouillon de culture social doit se transformer en alternative politique.

Justement, quelle est-elle  ?

Manuel Carvalho Da Silva. L’UE, au lieu de dicter des politiques de sacrifices, doit promouvoir des plans d’aides à l’investissement en direction de la production de biens et services. Elle doit appuyer les pays au lieu de s’immiscer dans les politiques salariales nationales pour les tirer vers le bas. Les pays en difficultés doivent pouvoir trouver des financements aux mêmes taux que ceux consentis aux banques qui se refinancent auprès de la BCE. C’est-à-dire, pour le Portugal, des taux d’intérêt à 2% comme nos banques et non à 5,5% comme on nous l’impose désormais. Car à ce compte, le Portugal va devoir payer 30 000 millions d’euros d’intérêts. Les délais de paiement de la dette doivent être rallongés ainsi que celui du déficit public à 3% du PIB. Dans un pays en crise, il est impossible de nous imposer de respecter ces 3 % pour 2013. Il faut une réorientation des politiques financières en faveur d’un autre système de crédit qui favorise les activités productives et non les activités spéculatives. Une production nationale relancerait l’emploi. Nous avons besoin de combattre l’économie clandestine et les évasions fiscales, qui s’élèvent à 10 milliards d’euros annuels. Nous parlons là d’une perspective réformiste. C’est sans compter la rupture dont la société portugaise a tant besoin. Le 5 juin, les travailleurs doivent faire des élections législatives une journée de lutte. Avec leur vote, ils peuvent dire non aux conditions que veut imposer la troïka, et exiger qu’elles soient débattues au sein de l’Assemblée de la République, et soumis au vote populaire.

Entretien réalisé par 
Cathy Ceïbe


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message