L’inflation, cauchemar du rentier et du bankster, fait son retour

vendredi 3 juin 2011.
 

Dans leur bras de fer face aux Etats sur la dette, les marchés ont une hantise : le retour de l’inflation. Le phénomène est mondial et touche toutes les économies. Même les plus fanatiques de la stabilité de la monnaie n’arrivent pas à y résister. Voyez plutôt : en avril les prix avaient augmenté depuis 1 an de 8,6 % en Inde, 6,5 % au Brésil, 5,3 % en Chine, 4,5 % au Royaume Uni, 3,2 % aux USA, 2,8 % dans la zone euro. La zone euro est certes la moins touchée mais les objectifs d’inflation de la BCE (2 % maximum) sont allègrement enfoncés depuis plusieurs mois. C’est la première fois depuis les années 1980 que toutes les grandes économies de la planète sont touchées en même temps et durablement par ces hausses rapides de prix. Car cela dure depuis plusieurs mois. Les bonds conjoncturels des prix du pétrole ne suffisent pas à expliquer cette lame de fond. La hausse des prix de l’énergie est de toute façon une tendance lourde qui ne peut que conforter cette inflation structurelle et durable.

L’inflation c’est le cauchemar du rentier. C’est le poison qui hante les marchés financiers et les banquiers. Dans leur jargon, ils expliquent que l’inflation "brouille le système de fixation des prix", au détriment de la rémunération de l’argent placé. Avec l’inflation, il devient plus intéressant de consommer ou d’investir productivement que de placer son argent. Pour les marchés, c’est une menace considérable car elle peut tarir le flot de liquidités qui les abreuvent et leur permet d’entretenir leurs spéculations. Venue d’ailleurs, l’inflation n’est pas contrôlée par les marchés et fausse donc tous les calculs financiers. Des milliards risquent donc de jeter l’éponge et de sortir des marchés pour revenir dans l’économie réelle.

L’inflation peut ainsi atteindre le cœur du moteur du capitalisme financier. Elle est donc un allié pour tous ceux qui, comme nous, veulent définanciariser radicalement l’économie. Et pas seulement l’économie mais plus largement l’activité humaine soumise jusque dans l’intime à la tyrannie du court terme et de la vitesse qu’induit dans toute la société le régne de la finance. Mais pour que l’inflation s’installe vraiment et ruine la rente, il faut que s’engage une boucle des prix et des salaires. Sinon ce sont à court terme les ménages et les travailleurs qui trinquent avec des hausses de prix non compensées par des hausses de salaires. Même s’il n’est pas encore arrivé chez nous, cet enchainement est déjà l’œuvre dans les nouveaux moteurs de l’économie mondiale. Notamment en Chine où les salaires progressent très rapidement : le salaire minimum y a augmenté de 20 à 30 % selon les provinces depuis l’été 2010. L’explosion des conflits salariaux en France en est aussi une illustration éclatante.

Bien sûr les banksters ne vont pas se laisser faire. Pour résoudre le problème de la dette, les Etats et les banques centrales sont face à un choix. Soit laisser filer l’inflation pour dévaluer la dette et ainsi alléger le poids des intérêts à verser. Soit contracter la demande, les dépenses publiques et l’investissement pour dégager de l’épargne supplémentaire pour financer la dette. Les marchés pèsent de tout leur poids pour que la deuxième solution s’impose. Dans la zone euro c’est donc le branle-bas de combat contre l’inflation. Alors qu’elle est encore très limitée en Europe avec 2,8 %, la BCE a sorti en avril l’arme lourde du relèvement des taux d’intérêt. Là où la Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre font au contraire le choix du maintien de taux très bas, alors même que l’inflation est plus forte dans ces pays. Eux font donc pour l’instant le choix de financer la dette par l’inflation. Dans la zone euro à l’inverse, la crispation anti-inflation ne se cantonne pas à la BCE. Elle contamine toutes les politiques mises en œuvre. Une des priorités explicitement annoncées du fameux Pacte Euro-Plus n’est elle pas d’éviter des hausses de salaires ? Une telle politique enchaînée aux préoccupations des marchés expose l’Europe à un regain de chômage et de pauvreté. L’économiste Patrick Artus le résume sans détour dans une note de la banque Natixis : "il va falloir que la BCE déprime profondément l’activité pour que son objectif d’inflation soit respecté. … Le coût en activité et en emploi de la désinflation dans la zone euro sera aujourd’hui très important." Chers lecteurs, vous êtes prévenus.


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