Le 60e suicidé de France Télécom

lundi 30 mai 2011.
 

Rémy, 57 ans, salarié des télécoms depuis trente-trois ans, s’est immolé le 26 avril 2011 à 7 heures du matin dans un parking situé devant l’agence de Mérignac.

Rémy a choisi de se donner la mort dans un lieu public dédié aux voitures, engins emblématiques de notre modernité, de ses progrès techniques mais encore de ses catastrophes humaines. Quand les conditions de travail se font elles aussi de plus en plus déshumanisantes, les suicides en série des salariés sont des actes de désespoir et de révolte et constituent une affirmation de liberté là où ces conditions aliènent et asservissent jusqu’à faire disparaître les travailleurs en tant qu’humains. Le corps calciné de Rémy, méconnaissable, en est la signature, son immolation le fait disparaître comme le système de production de France Télécom l’a réduit à un simple segment technique de l’entreprise. La douleur de la perte d’un être cher pour sa famille, ses amis et collègues est sans doute à la mesure de la propre douleur subjective de celui qui a choisi de mourir.

Plus personne aujourd’hui n’ose considérer ces suicides comme fous ou absurdes, la logique managériale d’entreprise et son objectif de rentabilité économique immédiate dont l’évaluation en est le maître mot génèrent de la souffrance au travail. Les piètres traitements apportés sont tout aussi sidérants  : repérage des risques psychosociaux, cellules psychologiques, cellules antistress, débriefing… Repérer les sujets dits fragiles et espérer les remettre dans la course ou, mieux encore, les éjecter, ne sont en rien des solutions. Intéressons-nous plutôt au témoignage de Rémy dans sa lettre ouverte de l’automne 2009, adressée à son « employeur et actionnaire principal », « Monsieur le Président du CN HSCT », où il crie son ras-le-bol pour conclure sur « sa solution », « le suicide ». Rémy y dénonce une organisation du travail que l’on lit encadrée par un langage fait d’acronymes, HSCT, Sarbox, PABX, Codir, N +2, N +1 et autres N – 1. En deux clics, pas plus, le lecteur trouvera sur internet leur définition. Mais où est passé le travailleur et son métier dans ce langage technique  ? Langage de soumission, ne sert-il pas plutôt à faire passer le salarié d’un emploi à un autre au gré des tendances managériales du moment  ? L’un des derniers emplois occupés par Rémy était celui de « préventeur », nouveau mot pour une nouvelle activité, aussi vaine que vide, celle de « spécialiste de la prévention routière ou de la prévention des accidents du travail ».

Au lieu d’introduire du médical dans la compréhension de ces malheurs qui nous arrivent, ne devrait-on pas plutôt nous demander si ces techniques développées en système informatique, cette technicisation du langage et de la vie, favorisant de surcroît la gestion économique de toutes nos activités dans une logique de rentabilité, ne nous envahissent pas telles ces métastases cancéreuses dont on sait qu’elles finiront par tuer le malade  ? Dans cette invasion absurde d’un tissu sain par un tissu malin, la promotion des salariés peut s’accompagner d’une dévalorisation du travail et la perte du sens du métier est cruellement ressentie, tel un deuil sans fin qui s’accomplit dans la mélancolie et le suicide.

Par Marie-José Del Volgo, Directrice de recherches en psychopathologie clinique et psychanalyse à l’Université d’Aix-Marseille, maître de conférences.

Tribune dans L’Humanité


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