Tunisie : Les cadres d’Ancien régime sabotent la transition démocratique

samedi 28 mai 2011.
 

Quatre mois après la fuite de Ben Ali, les Tunisiens redoutent une reprise en main du pays par les cadres de l’ancien régime. Les attentes sociales, elles, restent impérieuses.

Il y a les bouleversements manifestes. Ces petits riens et ces grands changements qui esquissent une Tunisie nouvelle. Comme ces vitrines de librairie où trônent fièrement les livres de Sihem Bensedrine ou de Taoufik Ben Brik, opposants naguère traqués, insultés, jetés dans les geôles du régime de Ben Ali. Comme ces mouvements sociaux qui secouent sans répit le pays. Comme cette inextinguible soif de débat qui attire les citoyens dans les réunions des innombrables associations ou partis politiques créés depuis la fuite du dictateur, le 14 janvier. Il y a les changements, et puis il y a l’inquiétude. La peur du retour en arrière, la terreur de voir les séides de l’ancien régime reprendre le pays en main en semant la confusion, le trouble et le désordre. « Chaque révolution a sa contre-révolution. Sous des formes diverses, toutes les forces qui craignent de voir leurs intérêts menacés par la transition démocratique tentent de déstabiliser le pays », résume Abdelaziz Messaoudi, membre du comité politique du parti Ettajdid (gauche).

En mettant des mots sur ces craintes, en incriminant un « gouvernement de l’ombre » tirant, selon lui, les ficelles de la transition, l’ex-ministre de l’Intérieur Farhat Rajhi a suscité une onde de choc dans tout le pays. Après ses déclarations début mai, les manifestations appelant à une « seconde révolution » se sont succédé. Sur l’avenue Habib-Bourguiba, des policiers cagoulés ont durement réprimé les contestataires, blessant même des journalistes. Depuis, le couvre-feu décrété le 7 mai dans le Grand Tunis a été allégé. Mais le climat reste lourd.

Un climat de peur entretenu

Dans un pays qui comptait un policier pour 70 habitants et un nombre incalculable d’indics, le poids de l’appareil sécuritaire et de la police politique du régime se fait toujours sentir. Dans le même temps, le sentiment d’insécurité est attisé, si besoin à grand renfort de rumeurs, pour entretenir un climat de peur. Le 5 mai, une soixantaine de détenus s’évadaient de la prison de Sfax, après des faits similaires à Kairouan, Kasserine et Gafsa. « Tout cela est très suspect. Comme les Tunisiens parlent de politique, tout est fait pour qu’ils ne parlent plus que d’ordre et de sécurité », explique Massaoud Romdhani, militant des droits de l’homme et membre de la haute instance pour la transition démocratique.

Sur le front social aussi, le climat est à l’orage. Le premier ministre, Béji Caïd Essebsi, n’a pas de mots assez durs pour fustiger les « grèves sauvages » préjudiciables, selon lui, à une économie guettée par le ralentissement (le FMI prévoit une croissance de 1,3 % en 2011, contre 3,7% en 2010). Pour faire taire les revendications salariales, certains investisseurs étrangers n’hésitent pas à brandir la menace de fermeture. La fracture entre les régions côtières et celles de l’intérieur, minées par la misère et le chômage, est plus profonde que jamais.

Les attentes sociales restent impérieuses.

Autant de facteurs qui nourrissent la défiance vis-à-vis du gouvernement de transition. Premier ministre de Ben Ali, Mohamed Ghannouchi avait « dégagé » sous la pression des manifestants de la Casbah, aux yeux desquels il incarnait la continuité. À quatre-vingt-six ans, son successeur, Béji Caïd Essebsi, vétéran du bourguibisme, apparaît, lui, en décalage complet avec les aspirations d’une jeunesse refusant de voir « sa » révolution voler aux quatre vents. « Tant que les élections à l’Assemblée constituante n’auront pas eu lieu, le problème de la légitimité restera posé », se résigne Abderrazak Zouari, ministre du Développement régional. Prévu le 24 juillet, ce premier scrutin libre depuis l’indépendance pourrait être reporté. Officiellement pour des raisons « techniques ».

Rosa Moussaoui, L’Humanité


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