À la Réunion, l’Europe détruit aussi !

dimanche 1er mai 2011.
 

Voici quelques lignes rédigées à La Réunion, au terme de mon séjour sur place. Il s’agit d’un peu plus que d’une carte postale, on s’en doute. Mais c’est encore du matériau brut, mis en forme juste avant de décrocher pour de bon, en congé.

C’est mon troisième séjour dans l’ile de la Réunion. C’est chaque fois le même vertige de la distance, du faible décalage horaire qui rend tout plus simple et fluide. Puis, sur place, c’est le choc de toutes ces différences dans le cadre si familier des enseignes, pancartes, signalisation communes à tous les départements français. J’ai tout de même ce pincement au cœur de regret que tout soit si uniformisé d’un bout à l’autre de cette planète que j’ai finalement pas mal parcouru. Cet aéroport, cette enseigne agressive, cette forme, cette couleur : ce pourrait être n’importe où ailleurs autant qu’ici. Je sais que ce ne sont pas seulement les choses qui ont été standardisées. C’est leur usage et pour finir ce sont leurs utilisateurs. Ce monde là nous a uniformisés. Le dedans est sans cesse sous la pression d’être conforme au dehors.

La première fois j’y vins comme ministre de l’enseignement professionnel. J’en garde un souvenir précis. Pas seulement du fait de l’enchantement que me procure toujours un lieu où je séjourne pour la première fois. Il faut dire qu’a cette occasion là, on avait fait fort. Un survol en hélicoptère pour rejoindre le sud de l’ile m’avait frappé au ventre. On ne sort pas indemne d’avoir survolé un volcan. Il s’y ajoutait l’émotion de trouver la France si loin de l’hexagone et je ne veux pas le cacher. Je parle de la France pour désigner notre langue et notre usage républicain. Car pour le reste je suis bien capable de voir au premier coup d’œil quel incroyable mélange de cultures et de styles se noue sur ce territoire. Je n’en ressens que mieux la République qui les rassemble. On me trouvera sentimental. Je ne m’en cache pas. Mais après tout, mes émotions valent bien celles que nous infligent, à longueur d’années, les communautaristes de tous poils avec leurs névroses identitaires.

A l’époque, j’avais aussi trouvé sur place, dans un lycée professionnel, un exemple de méthodes pédagogiques spécialement remarquable. J’en ai fait ensuite cent fois le récit comme d’un modèle. L’exemple illustre la thèse selon laquelle il n’y a pas de contradiction entre l’enseignement professionnel et l’émancipation culturelle des élèves que cet enseignement accueille. Tout le contraire. Là, on avait organisé un cours rassemblant plusieurs disciplines autour de la réalisation de sculptures métalliques géantes. La difficulté venait de ce que ce parcours s’adressait à une classe d’élèves absentéistes. En fait la sculpture métallique géante n’était pas le problème mais la solution. Ce fut un succès total. La qualification professionnelle fut acquise dans le domaine concerné. Celui de la métallerie, si mes souvenirs sont bons. L’intérêt de l’affaire est que les jeunes avaient été conduits à réaliser leur apprentissage à travers un projet en apparence purement culturel. Le secret pédagogique de la démarche est que la réalisation de l’œuvre mettait en jeu des dizaines de compétences qui une fois réunies font une qualification professionnelle. Résistance des matériaux, soudures, stabilité, peinture, autant de disciplines professionnelles, tout cela était appelé à la rescousse pour construire l’œuvre. Mais avant cela il avait fallu avoir l’idée de l’œuvre à construire. C’est pourquoi avaient été organisées des visites d’exposition. Elles furent d’abord subies par les élèves avant d’être réclamées et attendues avec une impatience digne d’une classe de Beaux Arts. L’absentéisme a cessé dans cette classe et le taux de réussite à l’examen dépassa les 80 %. Ce fut pour moi une éblouissante vérification de l’idée que je me faisais au sujet du lien entre apprentissage technique concrets et cultures considérées comme abstraites. La leçon vaut toujours.

La seconde fois je vins à la Réunion en campagne pour le congrès du Mans. J’y perdis mon temps. Les mœurs socialistes du lieu en matière de vote interne, à cette époque, étaient un mix très acide entre les pratiques métropolitaines des faces de pierre socialistes de la Haute Vienne et des voyous de la fédération de l’Hérault. Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui. Mal reçu, maltraité, je ne me réjouis que d’y avoir connu des hommes et des femmes qui, depuis, m’ont suivi dans la création du Parti de Gauche. C’est à cette occasion que je fis la connaissance de Jean Hugues Savigny, ami plein de finesse et d’élégance, qui est depuis, adjoint au maire de la commune de La Possession où se tenait ma réunion publique. Et de quelques autres têtes dures et courageuses. Lors de ce second voyage, je fus reçu par Paul Vergès qui présidait alors la Région. Les dirigeants socialistes locaux de l’époque hurlèrent. Leur anti-communisme était déjà pitoyable. Il les a conduits à faire perdre la région à la gauche en 2010.

Car les donneurs de leçon du PS métropolitain qui me harcèlent sur « ce-que-fera-deuxième-tour-sinon-perdre-la-gauche » se gardent bien de dire ce qu’ils ont fait ici. Ils se sont maintenus au deuxième tour en dépit de leurs vingt points de retard. Bien sûr, ils ont fait passer la droite. Exactement la manœuvre qu’ils ont tentée partout où ils l’ont pu avec leur supplétif d’Europe Ecologie les Verts dans les départements à direction Front de Gauche en métropole. Ici, ils ont eu le dernier mot. Cette violence sectaire permet de comprendre du coup la difficulté pour constituer un bloc majoritaire autour de la gauche ici. Et donc les arrangements déroutant auxquels il faut recourir pour repousser l’UMP. Je ne dis pas que cela me convienne. Je veux faire mieux que de donner des leçons. Je constate donc lucidement quels sont les enchainements qui conduisent aux situations que j’observe. Comme celle de ce conseil général où socialistes et communistes dirigent en alliance avec un groupe de droite dissident.

J’en étais à cette première prise de contact avec Paul Vergès. Elle commença une relation qui s’est entretenue depuis sur un plan personnel davantage que strictement politique. On pense ce que l’on veut de Paul Vergès sauf qu’il n’y aurait pas à apprendre de lui. Tant pis pour ceux qui passent à côté. De ce premier contact je repartis avec l’idée d’avoir rencontré un visionnaire dont le niveau de réflexion dépassait de loin toutes les maigres intrigues dont j’avais été régalé sur place jusqu’au moment où je l’ai eu rencontré. Ce sentiment ne s’est pas démenti lorsqu’il vint avec Elie Hoarau me visiter au siège du Parti de Gauche. Cette fois-là, mes centres d’intérêt n’étaient plus les mêmes. Il nous présenta le tableau du plan d’autonomie énergétique de l’île qu’il avait lancé avant que les socialistes lui aient fait perdre sa présidence. Depuis la droite a tout stoppé, tout arrêté. Les projets, notamment tous ceux en vue de conquérir l’autonomie énergétique de l’île, meurent à petit feu.

L’autonomie énergétique est le centre d’intérêt de mon séjour à La Réunion. Le contact avec Vergès et ses équipes ne s’est plus interrompu sur ce thème. Au parlement européen je siège à un fauteuil de distance d’Elie Hoarau, le secrétaire général du PCR. Il en résulte une facilité et une familiarité du dialogue que seule forge la pratique fastidieuse de ce soi-disant Parlement. Bref, ces circonstances et cette histoire m’ont rapproché d’un terrain qui certes reste à dix mille kilomètres de ma station de métro, bien sûr, mais se trouve bien moins distant que d’autres avec lequel je n’ai pas encore construit de centre d’intérêt.

Le plus grand résultat qu’apporte l’objectif de la conquête de l‘autonomie énergétique, pour une économie insulaire, c’est la dynamique globale qu’elle engendre. D’abord, chacun prend conscience de l’impact environnemental du mode de production de l’énergie. C’est la sortie de l’irresponsabilité écologique. Ensuite, c’est une prise de conscience de l’Etat de dépendance dans lequel nous sommes en ce qui concerne l’accès aux matières premières dont nous avons besoin pour produire notre énergie quotidienne. Le gaz, le pétrole, et l’uranium aussi ne se trouvent pas en France. Cette dépendance est cause de violences et de guerres un jour ou l’autre que ce soit avec des fournisseurs rebelles ou avec des concurrents trop rudes. La guerre d’Afghanistan n’a pas d’autres causes. Ces deux prises de conscience sont indispensables pour être un citoyen éclairé à l’heure où il faut choisir une politique avec son bulletin de vote.

Mais il y a davantage. La quête de l’autonomie énergétique déclenche une course à la recherche théorique ou technique qui est un volant d’entrainement pour la société, sa jeunesse et son niveau de qualification. Des millions d’emplois socialement utiles et écologiquement urgents sont à la clef. Ici, à La Réunion, la seule mise en branle du programme de développement du photovoltaïque a permis de créer mille deux cent emplois de solaristes. Le record d’équipement individuel en chauffe eau solaire est battu sur ce petit territoire et le plafond fixé par EDF est pulvérisé. Il faut se représenter cette affaire dans sa dynamique. Les emplois créés orientent la formation de la main d’œuvre à venir. Les gens formés développent une capacité d’innovation et d’adaptation qui est un moteur de progrès technique qui se déploie ensuite comme en réseau d’un compartiment d’activité à un autre.

On peut même affirmer que la sensibilité ainsi engendrée vers un ordre de solutions techniques, oriente l’imaginaire dans d’autres domaines. Et en tout cas dans tous ceux qui touchent à la question si stratégique de la production de l’énergie. Ici, on brûle la bagasse, déchets de l’industrie de la canne à sucre, pour alimenter les centrales thermiques. Le plan de la Région présidée par Paul Vergès prévoyait aussi l’installation d’une centrale de production d’électricité exploitant la différence de température entre l’eau de surface et celle des profondeurs. Et l’installation d’une machine convertissant en électricité l’énergie mécanique de la houle. Tout cela aujourd’hui est en panne. Ou au ralenti. J’espère être là quand sera lancé la machine expérimentale qui tire partie des écarts de température de l’eau de mer. La DCN va la construire à Saint Nazaire. Je me demande pourquoi elle est construite à Saint Nazaire et pas ici. La ressource intellectuelle est disponible. Il y a l’université et l’IUT. Les seules qui soient francophones et de ce niveau à six mille kilomètres à la ronde. La ressource technique s’y trouve aussi. Pourvoir à ce qui manquerait serait un robuste moteur local de progrès collectif. Installer les centres de recherche et de réalisation sur place, c’est accumuler un savoir et un savoir faire qui pourrait être un capital scientifique et technique de longue durée et de longue portée. Toute la zone a besoin de ces savoirs et de ces techniques. Un territoire isolé passerait ainsi aux avant postes des techniques de notre temps. Voilà les enjeux : l’autonomie énergétique et la relocalisation de sa production et une locomotive du progrès humain. Cette argumentation va être au cœur de notre programme de planification écologique.


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