Katrina L’ouragan de l’aubaine pour les possédants

dimanche 10 avril 2011.
 

Août 2005. L’ouragan Katrina déferle sur la Louisiane et le monde découvre un coin d’Amérique en perdition. Pourtant, on savait que les digues de La Nouvelle-Orléans ne pouvaient tenir sous la force d’un ouragan de catégorie 3. On savait que la mise à mal des barrières naturelles de protection de la Louisiane par l’exploitation pétrolière et immobilière a rendu la région encore plus vulnérable aux cyclones. On savait que cette force déferlante est la conséquence plus que probable du réchauffement climatique de la planète en général. Annoncé de longue date, le cataclysme naturel révèle cruellement les faiblesses de la première puissance mondiale.

Victimes de l’incurie de l’administration Bush et de la démission des responsables locaux (démocrates), les habitants de La Nouvelle-Orléans, majoritairement noirs, sont abandonnés de tous. La détresse est immense. Mais le pire reste à venir. Ce sont ceux qui vivaient du côté des mauvaises digues et ceux qui travaillaient dans les cités polluées qui ont été les plus exposés. Ils seront aussi frappés par le décret d’évacuation obligatoire du maire (démocrate) qui, par ailleurs, licencie 3 000 employés municipaux. L’État fédéral (républicain) suspend immédiatement, de son côté, le salaire minimum, les dispositifs de l’Affirmative Action et d’autres garanties sociales : il faut faciliter la reconstruction de la ville.

Le patron des patrons de la ville annonce très vite l’objectif : il faut utiliser la catastrophe « comme une unique chance de changer la dynamique de la ville ». Cependant, entre 150 000 et 200 000 travailleurs, presque tous noirs (67 % des 455 000 habitants sont afroaméricains), resteront dans la ville dévastée. Les autres sont partis, victimes de ce que certains n’hésitent pas à qualifier de « nettoyage ethnique ». Il est vrai que les prix du terrain grimpaient aussi vite que le niveau de l’eau et que les premiers spéculateurs se sont manifestés très tôt pour racheter tout ce qui pouvait être à vendre (la majorité des logements sont en location). Et quand on sait que les neuf dixièmes des logements détruits étaient en location…

En plein bonheur, un député républicain s’exclamera : « Nous avons finalement nettoyé le logement public. Nous n’arrivions pas à le faire mais Dieu l’a fait. » Notons au passage cette extraordinaire capacité de la classe dominante américaine à se saisir des opportunités que lui offre l’histoire. De fait, la fureur des éléments de l’été 2005 sera une occasion « inattendue » pour se saisir d’une ville et pour en expulser les habitants dont on ne veut plus, parce qu’ils entravent, par le simple fait d’exister et d’être là où ils sont, la bonne vieille loi du marché et la bonne marche du profit.

La reconstruction de La Nouvelle- Orléans devient un énorme chantier. On veut raser des quartiers entiers et reconstruire une ville nouvelle, on préconise la construction d’un nouveau Las Vegas du Sud. La bataille pour le contrôle de la ville commence dès les premiers jours de la catastrophe. Il s’agit de déplacer la force de travail noire résidente hors de la ville, quitte à la faire venir le temps d’une journée de labeur. Les milieux d’affaires se mettent en ordre de bataille. Ils ont l’argent, les appuis, les complicités politiques, la force de la loi et les bandes armées (des mercenaires de la société Blackwater, tout juste revenus d’Irak, patrouillent dans la ville pour protéger les banques… ils portent un badge de l’État de Louisiane qui les rémunère).

De leur côté, les habitants se sont réunis pour tenter de dessiner un autre avenir. Face aux expropriateurs, les coalitions citoyennes et les organisations progressistes américaines, et particulièrement, évidemment, celles de Louisiane, se sont mobilisées pour que les habitants aient voix au chapitre dans la reconstruction, tous les habitants, y compris les évacués disséminés aux quatre coins du pays. La catastrophe naturelle devient une catastrophe sociale. Une autre bataille s’engage alors. Les populations expulsées font même appel aux résolutions de l’ONU sur les réfugiés pour défendre leur droit au retour dans leur ville. Aujourd’hui encore, les habitants se battent pour le droit au retour dans leur ville dont ils ont été chassés. Un des lieux emblématiques de ce combat est le Fightback Center, un immeuble réhabilité par des citoyens (www.communitiesrising. wordpress.com) et qui se veut un instrument au service de la population.

PAR PATRICK LE TRÉHONDAT, AUTEUR DE KATRINA, LE DÉSASTRE ANNONCÉ (*).

(*) Patrick Le Tréhondat et Patrick Silberstein, coauteurs de l’Ouragan Katrina, le désastre annoncé. Syllepse, 164 pages, 8 euros


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