Lybie et relations internationales : "je plaide pour l’ordre légal porté par l’ONU"

mercredi 6 avril 2011.
 

L’affaire de l’intervention en Libye a déclenché un grand nombre de discussions comme c’est normal et prévisible. J’ai déjà écrit ici que je connaissais la difficulté de prendre des décisions dans ce domaine. Au cas précis mes prises de positions ont été dictées par plusieurs facteurs que je voudrais rappeler. Le premier d’entre eux est que, de la veille le soir pour le lendemain midi, il a fallu que je décide de mon vote sur une résolution proposée au parlement européen. C’est sur ce texte étudié comme il se doit littéralement que j’ai travaillé. Mes quatre camarades députés du Front de gauche en ont fait de même et sont arrivés les quatre à la même décision de vote, en dépit de la diversité des cultures et des positions récentes que l’on a pu connaitre et que l’on constate encore sur tant de sujets entre nous. Il s’agit de Jacky Hénin, Patrick le Hyaric et Marie-Christine Vergiat. Puis je me suis rapproché de la direction du PCF en la personne de Pierre Laurent et de Gauche Unitaire en appelant Christian Piquet. Je précise que j’ai également consulté les membres du bureau de la commission internationale de mon parti et le groupe de coordination de la direction du parti.

Tout cela parce que j’étais conscient de la gravité d’une décision que je ne pouvais prendre sans confronter les points de vue pour former mon propre jugement et décider de mon vote. Cet exercice est compliqué à mener pour quelqu’un comme moi qui croit au collectif et qui sait aussi que le mandat impératif n’existe pas en République, je le rappelle pour prendre date pour l’avenir. Je vote et je voterai toujours d’après ce que je crois juste personnellement et que je suis ensuite capable d’expliquer, de faire vivre et de rendre compte. Dans ce cas mon vote est conforme à l’avis de tous ceux qui ont été consultés à deux exceptions près, dans mon parti. Et pour la plus totale clarté et honnêteté je dois dire que mon vote final ne fut pas celui que j’avais d’abord pensé faire. Mon point de vue s’est construit par la discussion et le travail sur le texte. C’est pourquoi je plaide d’autant plus facilement pour le respect de chacun. Je ne dirai rien à ceux qui étaient hostiles à ce texte, et à sa suite logique, d’autre que pour faire le constat d’un désaccord. Je préfèrerais qu’on s’abstienne de m’insulter ou de me repeindre en agent de l’impérialisme américain parce que je ne partage pas le point de vue de mes contradicteurs. Mais, bien sûr, le débat argumenté m’intéresse. Et je le recommande. On est plus fort et mieux préparé quand vient l’heure de décider la fois suivante.

Je note que depuis les prises de position successives du Parti de gauche et mes propres déclarations à propos de l’entrée en scène de l’OTAN, les désaccords qui s’expriment ne portent plus sur les évènements de la semaine passée mais plus directement sur le fond de mon analyse sur l’ordre international. Ce qui est en cause c’est mon attachement à l’ONU. Celle-ci est décrite par divers bulletins que je lis, et qui me font l’honneur d’étudier mes propos, comme une officine vouée aux impérialismes dominants. Je n’en crois pas un mot pour ma part. Ce débat revient en quelque sorte, à sa façon, sur ce que l’on pense des institutions, de leur nécessité ou non, du rapport que l’on peut et doit avoir avec elles du point de vue d’une action de changement radical de la société qu’elle soit nationale ou mondiale. Dans un autre registre j’ai eu cette discussion avec Olivier Besancenot récemment à l’initiative du journal « Regards ». J’en recommande la lecture ou l’audition puisque l’entretien a été filmé.

Il y a au moins deux manières d’envisager la question de l’ordre dans les relations entre Etats : la "loi du plus fort", certes adoucie par des coutumes, ou la construction d’un ordre international légal. Mais on peut aussi commencer par déclarer qu’il n’est ni possible, ni fondé, de restreindre la souveraineté des Etats. Et moins encore de la faire superviser par la dépendance à une série de droits déclarés universels et reconnus comme tels par tous. Dans ce cas, le seul "ordre" du monde qui existe est un rapport de force permanent. Et par conséquent, ce sont les puissances militaires et économiques du moment qui dictent leur vision du monde. Les autres Etats ont le choix entre y adhérer et suivre les injonctions que prononcent les plus forts, ou être écrasés. Le monde a fonctionné de cette manière jusqu’au milieu du XXè siècle. Certes, les pratiques coutumières ont peu à peu réglé les façons avec lesquelles on se faisait la guerre. Mais la décision d’utiliser la force armée restait aux mains des Etats. Ils étaient légitimes à envahir leur voisin si cela correspondait à leur analyse de leur intérêt propre. La nouveauté en 1945 est la conviction des Etats survivants à la deuxième guerre mondiale qu’il est possible, et nécessaire, d’organiser les relations internationales autour de règles légales et universelles. L’ordre international ainsi constitué par des traités se trouve sous la protection de l’ONU. L’utilisation de la force y est bannie par principe. Certes, on peut y avoir recours en cas d’absolue nécessité. Mais alors elle ne peut être utilisée que sous autorisation du Conseil de sécurité. C’est donc un renversement total de logique où les droits universels de l’homme sont supérieurs dans la hiérarchie des normes aux intérêts particuliers des Etats.

Bien sûr, cet ordre légal est très imparfait. Il est continuellement bafoué. Il est souvent contourné comme lorsque se réunissent le G8 ou le G20. Cet ordre et cet organisation doivent être réformés, il n’y a pas de doute. On verra utilement le programme de mon parti à ce sujet. Mais je soutiens qu’il doit être considéré, et respecté. Non seulement parce qu’il n’y a pas de construction ultérieure qui soit possible sans partir de cet édifice initial. Ensuite parce qu’il donne dès à présent un point d’appui à nos discours et revendications dans l’arène mondiale. Il donne une légitimité à des décisions que l’on aimerait voir appliquées. Refuser de reconnaître une place et une légitimité à l’ordre onusien c’est de fait renoncer à l’application de multiples résolutions exigeant la reconnaissance d’un Etat palestinien ayant des frontières sûres, par exemple. Ou encore les résolutions votées chaque année par l’Assemblée générale de l’ONU, qui demandent la fin du blocus états-unien contre Cuba. Ne pas s’appuyer sur l’ordre international légal incarné par l’ONU c’est accepter que la résolution faisant du droit à une eau potable salubre et propre un droit fondamental et les résolutions protégeant l’enfance ou les personnes LGBT, votées, ne soient pas mises en œuvre. Enfin, nier l’ONU c’est également valider les interventions des Etats-Unis en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003 toutes lancées sans mandat international.

Les puissants de ce monde cherchent à se débarrasser de l’ONU, pour réinstaller la loi du plus fort. Pendant les années Reagan, puis sous les Bush, tous les moyens furent bons pour discréditer cette organisation et même la faire mourir. Il y eut ainsi des années de contentieux sur le non versement par les USA de leur part de contribution au budget de l’ONU. A l’heure actuelle encore c’est sur l’ONU que nous pouvons nous appuyer pour stigmatiser le refus de certains pays d’appliquer des dispositions de l’ONU. J’en prends pour exemple la non reconnaissance par les Etats-Unis, la Libye, le Maroc ou encore l’Egypte de la Cour Pénale Internationale, pourtant en capacité de juger les responsables de crimes de guerre, de crimes d’agression et de crimes contre l’humanité.

Evidemment, suivant les périodes, l’ONU peut être soit méprisée soit instrumentalisée. Je n’ai aucune naïveté à ce sujet. Le vocable médiatiquement martelé de communauté internationale désigne en général ce qui convient aux USA et aux « occidentaux ». Il arrive que ce soit une décision de l’Onu et le plus souvent c’est une décision des Etats Unis et de leurs larbins. Quoiqu’il en soit, hors de l’ONU que reste –t-il ? Si nous ne voulons pas du commandement de l’OTAN nous avons celui prévu par le statut de L’ONU. Il n’a jamais marché, ou si peu, du fait de la guerre froide. Pour autant il existe et c’est un point d’appui pour nos démonstrations et revendications. Il existe un programme des nations unies pour le développement, le PNUD, qui a mis en scène l’indicateur de développement humain. C’est un point d’appui pour nier les indicateurs de performance de l’économie capitaliste et pour piloter le progrès d’une société. Il existe la CNUCED qui permet de s’opposer au G20 en plaidant le double emploi et la prééminence des puissants dans cette instance. C’est pourquoi je plaide pour l’ordre légal porté par l’ONU. Et je ne cache pas mon étonnement de le voir parfois dénoncer ou relativiser par tant d’amis avec qui je partage mes combats internationalistes.


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