Il y a quarante-neuf ans, la fin de la guerre d’Algérie (ALAIN RUSCIO, historien)

samedi 2 avril 2011.
 

Le 19 mars 1962, après huit années d’une guerre sanglante qui n’en porte pas encore le nom, sont enfi n signés les accords d’Évian. Le bilan est lourd : des dizaines de milliers de morts et de blessés côté français, des centaines de milliers côté algérien, dont une immense majorité de civils.

La guerre d’Algérie n’a pas commencé le 1er novembre 1954, comme il est couramment écrit, mais le 14 juin 1830, lorsque les premiers soldats français d’un corps expéditionnaire puissant mirent le pied sur la terre de ce pays. Les conquérants se sont immédiatement heurtés à une résistance, qu’il serait certes aventureux de qualifier de « purement » nationale, mais qui n’en a pas moins vu le peuple algérien refuser le pouvoir des nouveaux maîtres. Et, par la suite, les insurrections, locales ou régionales, n’ont plus cessé, la dernière, en mai 1945, réprimée dans le sang, laissant sur le corps social algérien une cicatrice jamais refermée.

En novembre 1954, un mouvement auparavant inconnu, le FLN, prend l’initiative d’une insurrection. La France officielle ne comprend pas ce qui est en train de se passer. La formule « L’Algérie, c’est la France » remplit les discours officiels et les colonnes des journaux. La réponse va de soi : la « fermeté » éliminera vite cette « poignée de rebelles ». La quasi-totalité du monde politique et journalistique adopte le même ton. Seules quelques voix protestent : Charles-André Julien, François Mauriac, chez les intellectuels, Témoignage chrétien, l’Humanité et France-Observateur dans la presse. Les communistes, seule force politique à protester contre la répression, à affirmer le caractère « national » de la question algérienne, ne débouchent pourtant pas à ce moment sur l’affirmation du droit à l’indépendance de l’Algérie.

Malgré les dénégations officielles, c’est bel et bien une guerre coloniale de la pire espèce qui vient de commencer. Dès ce moment sont mis en place les moyens proprement inhumains de terroriser non seulement les combattants, mais toute la population, considérée comme complice, donc coupable : ratissages, arrestations, usage de la torture, évacuations de villages entiers et regroupements de force des populations civiles, bombardements au napalm.

La France, endormie par plus d’un siècle de bourrage de crâne, ne comprend pas les enjeux durant cette première phase. Les gouvernements de la IVe République qui se succèdent adoptent, avec des nuances, la même politique. Devant les piétinements de ces gouvernements, de Gaulle attend son heure. Les réseaux plus ou moins occultes qu’il couvre de son autorité s’agitent. En mai 1958, ils participent, aux côtés d’officiers Algérie française, à un coup de force. De Gaulle revient en préservant, certes, les apparences de la démocratie, mais ce sont bel et bien les factieux qui l’ont porté au pouvoir.

La légende dorée gaulliste l’a par la suite présenté comme un décolonisateur lucide. En réalité, le général a été porté au pouvoir par la mouvance Algérie française, puis a tout fait, durant les premiers mois, pour détruire toute résistance militaire de l’Armée de libération nationale ; il a lancé le plan de Constantine de mise en valeur de l’Algérie au sein, évidemment, du système français. Son calcul était de céder sur « certaines apparences », d’associer « certains Algériens » à la politique nouvelle, au prix de concessions, d’ailleurs non négligeables, mais de préserver l’essentiel, la mainmise économique.

Cette politique porte un nom : le néocolonialisme. Mais elle a une logique : elle ne peut être appliquée qu’avec un minimum de coopération des populations colonisées. Or de Gaulle n’a jamais pu obtenir ce minimum. Que faire ? La clairvoyance de De Gaulle a été de constater, puis d’accepter cette situation, bravant ainsi ses anciens soutiens. De Gaulle n’a pas été celui qui a « accordé » l’indépendance à l’Algérie : il l’a tout au plus accompagnée. Nuance. L’attachement de plus en plus affirmé du peuple algérien à l’indépendance fut donc, incontestablement, le facteur premier de la défaite du colonialisme.

Un autre facteur entra en jeu : l’opinion française. On peut considérer qu’après un temps inévitable de désarroi et d’incompréhension, elle a progressivement accepté, compris et enfin exigé le droit à l’indépendance de l’Algérie. Les premières manifestations étaient, tous les témoins le disent, maigrelettes. Mais progressivement les partisans de la paix ont marqué des points, conquis des consciences, organisé la protestation. Quel rôle ont joué, au sein de ce mouvement, les communistes ? Question brûlante, aujourd’hui encore objet de controverses. Ils ont choisi le « travail de masse », marquant ici des points, subissant là des revers. Pis : ils ont fait des faux pas politiques, en 1956, en accordant les pouvoirs spéciaux au gouvernement Mollet, empêchant, de fait, un temps, un essor de la lutte antiguerre. D’autres courants, dans la gauche radicale, ont privilégié l’aide concrète au FLN. Plutôt, près d’un demi-siècle plus tard, que de persister à opposer ces deux formes, ne peut-on considérer qu’elles furent complémentaires ?

Le 19 mars 1962 sont enfin signés les accords d’Évian qui mettent fin à huit années de guerre sanglante. Le bilan est lourd : des dizaines de milliers de morts et de blessés côté français, des centaines de milliers côté algérien, dont une immense majorité de civils. Un traumatisme persistant pour les deux sociétés. Le développement d’un racisme antiarabe, qui certes existait déjà avant 1954, dans les profondeurs de la société française…

Où était l’intérêt réel des peuples d’Algérie et de France entre 1954 et 1962 ? Dans la perpétuation de la guerre atroce, de la torture, des viols, des ratissages, pratiques couvertes par la majorité des dirigeants politiques français ? Ou dans la recherche patiente du dialogue, dans le refus du déchaînement de la violence ? Poser la question aujourd’hui paraît presque incongru. Et ce n’est pas le négationnisme historique, porté, là encore, par le sarkozysme et l’extrême droite, qui nous impressionnera.

ALAIN RUSCIO, historien (*)

(*) Dernier ouvrage : Y a bon les colonies ? Éditions Le Temps des Cerises


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