Comment lutter contre le chantage à la dette publique ? (conférence du PGE à Athènes)

lundi 14 mars 2011.
 

Le PGE tient en ce moment une conférence sur la dette publique à Athènes. François Delapierre, secrétaire national à la Bataille idéologique et au Programme y a pris la parole pour présenter les orientations que le PG a travaillées sous la houlette de Jacques Généreux, secrétaire national à l’économie.

Vous trouverez ci-dessous le contenu de son intervention.

Je veux d’abord vous remercier de votre invitation. Elle me donne une occasion exceptionnelle d’apprendre. Car la Grèce est devenue un laboratoire. J’en suis désolé car je suppose que ce n’est pas agréable de se retrouver dans la peau d’un cobaye. Ma présence est donc une contribution à votre résistance. Nous sommes lucides et savons que le déchaînement des spéculateurs contre la Grèce nous menace tous. Nous sommes tous des PIGS en puissance, et nous combattons dans nos pays le discours dominant, qui à grand coup de préjugés xénophobes, explique que vous avez bien mérité les coups qui vous frappent.

Quelle crise affrontons-nous ?

Notre conférence est consacrée à la dette publique. Mais la crise que nous affrontons est-elle une crise de la dette publique ? Oui et non.

Economiquement, non. La dette publique n’est pas le problème. Son augmentation régulière a d’abord été la conséquence des politiques néolibérales d’appauvrissement de l’Etat. Puis son explosion récente est la conséquence du transfert de la dette privée devenue insoutenable.

Rappelons qu’en 2008, avant la crise financière, la dette publique moyenne en Europe atteignait 70% du PIB tandis que les dettes privées s’élevaient déjà dans certains pays comme l’Espagne ou le Royaume-Uni à 200% du PIB. Le taux d’épargne des ménages américains était alors négatif, c’est-à-dire que les ménages dépensaient plus qu’ils ne gagnaient. Cette explosion de la dette privée est une conséquence des limites intrinsèques du capitalisme, qui détruit ses propres bases à mesure de son extension et de son développement. L’austérité salariale déprime la consommation, le productivisme épuise les ressources naturelles et détruit les écosystèmes.

L’invention financière destructrice des subprimes est le reflet de cette contradiction dans l’économie réelle entre l’extrême inégalité sociale qui règne aux USA et la nécessité de nourrir la bulle immobilière par un accès élargi au crédit immobilier. La crise que nous affrontons est donc une crise du capitalisme et elle n’aura d’issue que dans un dépassement du capitalisme.

Politiquement, oui. Car la crise globale du capitalisme prend aujourd’hui la forme d’une crise des dettes publiques. C’est une forme directement politique car ce stade est celui d’une remise en cause explicite de la souveraineté populaire. Les administrations grecques mises sous tutelle du FMI et l’imposition d’un véritable tribut au peuple grec ont pour seuls précédents des cas d’occupation par une puissance étrangère. Cette logique est en marche dans toute l’Union Européenne avec les pactes de compétitivité qui visent explicitement à contourner les institutions politiques pour imposer les politiques néo-libérales que les peuples ont rejetées dans les urnes. De la même manière, le pouvoir qu’ont les agences de notation de fixer les conditions de financement des budgets nationaux est une atteinte à la souveraineté budgétaire.

La dette publique atteint souvent des niveaux qui restent économiquement supportables. Le problème ce sont les taux d’intérêt excessifs, l’impossibilité de recourir à l’épargne nationale, la politique des banques centrales. C’est-à-dire le contrôle de la dette publique par les marchés obligataires internationaux, qui est justement le moyen par lequel la finance impose aux Etats des politiques favorables à ses intérêts. Comme l’histoire des révolutions dans le monde l’a montré, la contrainte extérieure contre un peuple est un puissant détonateur révolutionnaire.

Il y a un parallèle avec ce qui se passe dans les pays arabes. La crise sociale ne peut être résolue que par une révolution politique. En Tunisie, pour donner à manger aux pauvres, de l’emploi aux étudiants, il a fallu faire partir le dictateur, puis le premier ministre, puis tout le gouvernement à travers la convocation d’une Assemblée Constituante. Voilà ce qu’il nous reste à faire chez nous.

Le programme de la révolution citoyenne

C’est donc une révolution qui est à l’ordre du jour, nous l’appelons pour notre part révolution citoyenne car le rétablissement de la souveraineté des citoyens est à la fois son premier objectif et son principal instrument.

C’est un programme nécessairement global dont voici trois axes.

La refondation des institutions politiques par une Constituante. C’est la condition d’un nouveau rapport de forces avec la finance. L’Islande l’a montré. Le referendum, finalement négatif, sur l’accord passé avec le FMI a obligé ce dernier et les gouvernements britanniques et danois à proposer de meilleures conditions de financement.

Le partage des richesses avec notamment le salaire et le revenu maximum. C’est la condition pour que les dépenses publiques puissent être financées par les richesses du pays (dont la composition varie selon les pays : richesse produite par les travailleurs, épargne nationale, ressources du sous-sol).

La planification écologique. Car la catastrophe écologique est la dimension la plus récente mais la plus urgente et radicale de la crise du capitalisme. La préservation d’un environnement viable fonde un intérêt général de l’humanité qui exige de rompre avec le court-termisme de la finance et avec un modèle d’accumulation et de consommation qui détruit les conditions de la vie humaine sur Terre.

Ce programme propose une transformation des institutions, une modification des rapports de propriété et, au plan culturel, un changement des normes dominantes qui orientent l’activité humaine. C’est en cela qu’il s’agit d’une révolution.

Une priorité : nationaliser la dette et le crédit

La première tâche de la révolution citoyenne sera de nationaliser la dette et le crédit. Il s’agit de rétablir la souveraineté du peuple sur ce qui est aujourd’hui aux mains des banques. Cela implique donc une confrontation avec les banques, le système financier et les organisations internationales qui sont à leur service.

Nous avons travaillé sur cette question en nous demandant concrètement ce que ferait un gouvernement du Front de Gauche confronté dès son élection aux attaques des agences de notation et des financiers qui décident aujourd’hui des conditions du refinancement de notre dette.

Nous prendrions d’abord des mesures immédiates pour casser la spéculation et rétablir les marges de manœuvre de notre gouvernement :

- Déclaration et taxation sélective des sorties de capitaux

- Plancher minimal de détention d’obligations publiques nationales pour toutes les institutions financières

- Prélèvement sur le patrimoine financier et sur les hauts revenus pour assurer le financement des dépenses publiques nécessaires pour assurer les droits essentiels de chaque citoyen et pour réduire le poids de la mauvaise dette due au sauvetage des banques

- Lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, notamment par une imposition des Français installés à l’étranger compensant les éventuels privilèges fiscaux tirés de leur expatriation au détriment du financement des biens publics et de l’égalité des citoyens

Nous engagerions aussi des mesures à moyen terme pour remettre le système bancaire à sa place, le financement de l’économie productive :

Création d’un pôle financier public, politique sélective du crédit pour encourager les dépenses socialement utiles et écologiquement soutenables

Séparation des banques d’investissement et des banques de dépôt Interdiction des instruments financiers spéculatifs

Un pays européen a les moyens de le faire

Un gouvernement qui déciderait de mener cette politique aurait pleinement les moyens de le faire.

Face à la résistance des intérêts privés, il pourrait utiliser :

La saisie des établissements privés qui violeraient les nouvelles dispositions légales et règlementaires. Ceux-ci menaceront de partir ? Alors qu’ils s’en aillent ! L’épargne nationale et les richesses enfin réparties peuvent pourvoir au financement des biens publics. En fait, ce sont les établissements financiers qui ont besoin de nous car ils vivent de la ponction qu’ils exercent sur nos économies.

Le rapport de forces du débiteur au créancier, en menaçant de restructurer la dette (ce qui s’avèrera au final nécessaire en Grèce) comme l’a fait avec succès l’Argentine. C’est une vérité bien connue de tous : si vous promettez à votre banquier de le rembourser malgré vos difficultés il vous prendra jusqu’à votre chemise, si vous lui annoncez que vous ne lui rembourserez rien, il se contentera de votre chapeau.

Face au traité de Lisbonne, qui interdit la plupart des mesures que nous proposons, un gouvernement aurait une arme très efficace, la désobéissance :

Annoncée auparavant à son peuple et à ses partenaires (établissement d’une liste de dérogations aux dispositions des traités ou « opt-out »)

Le compromis de Luxembourg donne à chaque pays le droit de faire prévaloir ses intérêts vitaux contre des décisions européennes or la souveraineté du peuple est l’intérêt le plus vital d’une nation puisque c’est sa raison d’être

Le traité de Lisbonne ne prévoit aucune mesure d’exclusion d’un Etat-membre : il faudra donc discuter

La désobéissance européenne est parfaitement possible dans le cadre de l’euro

La création monétaire reste possible (et conforme aux traités qui ne font pas de distinction entre banques publiques et privées !) via le pôle financier public

Il n’y a aucun de problème de maîtrise technique : ce sont toujours les banques centrales nationales qui contrôlent le système bancaire et financier dans leur pays et peuvent en conséquence connaître et taxer les mouvements de capitaux, voire bloquer ceux qui mettent en danger son économie

En revanche, l’existence de l’euro fait disparaître la possibilité pour les marchés de sanctionner la monnaie nationale comme cela s’est souvent fait contre des gouvernements de gauche.

Nous pourrions alors réorienter radicalement l’Union Européene

D’abord parce que l’effet d’entraînement sur les peuples serait irrépressible. Un peuple européen se libérant de à la dictature des marchés financiers créerait dans toute l’Europe une vague comparable à ce qui s’est passé avec les révolutions arabes.

Ensuite parce que même les autres gouvernements seraient contraints de négocier. En effet l’euro leur est utile et nécessaire. C’est notamment le cas de l’Allemagne : 60% de ses exportations sont réalisées dans la zone euro, et ses conditions de financement seraient fortement dégradées si elle restait seule soumise aux marchés obligataires internationaux. Des politiques monétaires non coopératives impacteraient l’Allemagne de la même manière que nous sommes impactés par le dumping fiscal et social qu’elle mène. Il faudrait alors une négociation pour avancer le plus loin possible vers une union monétaire optimale.

Celle-ci imposerait de sortir du traité de Lisbonne et de remettre notamment en cause 5 points clés :

L’indépendance de la BCE

La limitation à un niveau ridicule du budget européen

Le dumping social et fiscal

La libre circulation des capitaux avec l’extérieur

Le libre-échange

C’est pourquoi l’attitude de Papandreou, le président de l’Internationale socialiste et premier ministre de la Grèce, il est particulièrement lamentable. Il n’a pas résisté une minute face aux banques. Mais s’il leur avait tenu tête il aurait renversé la table en Europe et tous les peuples lui en seraient redevables.

Nous ne savons pas quel peuple déclenchera l’irrépressible vague de révolutions citoyennes qui a déjà déferlé en Amérique Latine. En ce qui concerne les forces politiques capables de la porter, nous savons à la lumière de l’exemple grec que nous ne pouvons pas compter sur la social-démocratie. Dès lors les partis de l’autre gauche rassemblés dans le PGE doivent se préparer à en être les instruments.


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