Je rentre au Parti de Gauche parce que le temps presse (Leila Chaibi 6 mars 2011)

dimanche 6 mars 2022.
 

On n’a plus le temps de se triturer la cervelle. Plus de temps à perdre à pronostiquer les échecs en enfilant les lunettes du savant professionnel de la révolution. Plus le temps de se regarder de travers en guettant une trahison de son voisin le plus proche, et de polémiquer sur la pureté des virgules. Plus le temps d’attendre le grand soir depuis son canapé et l’élévation miraculeuse des « niveaux de conscience », comme certains espèrent encore l’arrivée d’un messie. La majorité de la population se fiche de ces débats, et elle a bien raison.

Le capitalisme a changé, il n’est plus celui de l’Angleterre industrielle du milieu du XIXe. Nous, à gauche, ne devrions-nous pas faire pareil pour mieux lui résister ? Que dit Marx sur les stagiaires ? Que propose Lénine aux gens qui galèrent entre chômage et temps partiels ? On ne peut pas se battre aujourd’hui contre le système capitaliste sans se battre contre la précarité. C’est la nouvelle arme du capital, elle transcende toute notre société. Le capitalisme nous éparpille, nous classe, nous promet, nous vend, nous vole et nous rend con. La précarité nous avilit et nous soumet, par la concurrence entre salariés et précaires, entre précaires, et même au plus profond de nous puisqu’elle nous oblige à nous vendre nous-mêmes. Mais pour se battre contre la précarité, les mots et les constats ne suffisent pas. Il nous faut des outils.

Comment être efficace, comment servir à quelque chose ? Je n’avais pas besoin d’un parti pour être dans les luttes, j’y étais déjà, je continuerai à y être. Un parti politique doit donner des débouchés. A l’inverse d’une gauche inutile cantonnée à l’observation, ou pire encore, de cette gauche d’accompagnement du système, nous devons construire la gauche de transformation sociale, celle qui ne renonce pas. Celle qui s’assume en acceptant d’avoir des élus qui portent au sein des institutions ce programme de rupture qu’on entend tous les jours au sein du mouvement social, sans craindre de se mettre à dos les financiers, les oligarques, leur Europe du fric qui n’est pas la nôtre, leurs agences de notation.... Une gauche qui a le courage politique de changer les choses. Pas pour faire du témoignage, mais pour être majoritaire, pour rendre possible l’alternative. Et pour ne surtout pas se résigner.

Je rentre au Parti de Gauche parce que je ne me résigne pas.

Je n’ai jamais attendu d’avoir la bénédiction de l’héritage marxo-bourdieusio-negristo-trotsko-quelque chose pour me révolter et pour agir. Nos postures d’extrême-gauche névrosée ne font qu’éternellement nous diviser, pour le seul bénéfice du camp d’en face. Quelqu’un a dit qu’on a toujours les mains blanches lorsqu’on n’a pas de mains. Sommes-nous aujourd’hui si nombreux, si forts, si crédibles pour pouvoir dresser entre la majorité des gens et nous-mêmes ce mur de mots, de rancœurs, et de grammaires ? Si le pouvoir se prenait dans la cour de la Sorbonne, ça fait 40 ans qu’on le saurait. Si le changement pouvait être conçu dans les séminaires de sciences politiques et morales, la révolution s’élèverait en laboratoire. Nous adorons nous regarder à la loupe, cela nous excite. Mais quel spectacle pour qui n’est pas dans ce petit aquarium pompeux.

Au contraire, il faut casser les murs de nos enclos idéologiques et faire déborder notre radicalité. La possibilité de rompre avec le système capitaliste doit pouvoir se comprendre aisément, devenir banale, palpable et générale. J’ai envie que dans le métro, au bureau, dans les salles d’attentes des hôpitaux, dans les squares le dimanche en famille, au guichet de Pôle Emploi, que partout, on se dise qu’il est possible de tordre le cou à cette logique qui nous assomme, nous divise et nous rend si peureux. Nous pourrons alors tous hurler : « à notre tour de les mettre KO », comme d’autres disent ailleurs “ Ya Basta ! ” et “Qu’ils dégagent !”.

On m’a souvent prévenue : « tu verras, le pouvoir corrompt, vous ferez comme les socialistes en 81 : de grandes mesures et puis le vent tournera ». Pas de bol, j’étais pas née, je ne me sens pas responsable des conneries des autres. En revanche, je constate que ce que je défends chaque année dans la rue, dans les luttes et dans les urnes, est le fruit d’héritage social plus facile à défaire qu’à faire. A travers la casse systématique des acquis sociaux, du droit du travail, du service public et de tout le reste c’est la matérialisation du désir du vivre mieux et du vivre tous que l’on démolit. Et ces acquis-là ne s’étaient pas écrits à coup de prise du Palais d’hiver. Au moins je ne rase pas gratis en défendant un programme de transformation sociale. Sans doute, je n’adhère pas à toutes les dimensions du Front de Gauche ; la dimension républicaine et jacobine du Parti de Gauche, ce n’est pas vraiment ma culture et sur d’autres questions je n’ai pas d’avis absolument définitif. Mais ces divergences s’inscrivent dans le cadre d’un parti-creuset, elles l’enrichissent de leurs diversités. Ce n’est donc pas pour quelqu’un ou pour un parti que je me bats, mais pour un projet. Un parti est un outil, un rassemblement est une force, le programme un ciment. C’est ce que j’attendais du NPA, c’est ce que je trouve au Front de Gauche, en voulant m’investir pour réussir à le dépasser, à le grossir et à voir gagner la gauche anticapitaliste.

Je rentre au Parti de Gauche parce qu’il existe une force : le Front de Gauche.

Le Front de Gauche est le premier pas dans la construction du rassemblement nécessaire. Désormais, il existe une alternative incontestable à la gauche libérale et gestionnaire du Parti Socialiste, ce parti qui depuis 20 ans a choisi de tourner le dos à son histoire, à son héritage et à l’espoir de participer à l’accomplissement d’un monde meilleur. Je n’ai qu’un immense regret : voir le NPA choisir l’isolement et la défiance. Lorsque je suis rentrée au NPA, c’est un projet que j’ai rejoint. Un projet qui proposait de faire fi des différences et des héritages pour imaginer le socialisme du XXIe siècle, pour contester la gauche libérale et pour proposer au plus grand nombre un combat qui associe la rue aux urnes, et non l’une à la place de l’autre. Un projet qui avouait à mi-mot que le système de parti était un peu dépassé, que seule l’union faisait la force. Et curieusement nous fûmes des milliers à répondre à cet appel. Inutile de rappeler comment cette histoire se termine aujourd’hui. La seule bonne nouvelle concerne la 4ème Internationale : la LCR, après un petit tour audacieux à l’air frais, est revenue sagement à sa place, groupuscule parmi les groupuscules. On a expérimenté un peu, ça a fait un petit peu peur et mal à sa tête et on rentre sagement chez soi se faire un thé en lisant de gros livres. Et en laissant tomber des milliers de gens qui avaient cru qu’on pourrait enfin se réunir autour d’un projet fédérateur, ambitieux et résolument moderne. Aujourd’hui, faisons avec l’existant, et le Front de Gauche est la seule force capable d’affronter réellement la machine inhumaine du capitalisme.

Au sein du Front de Gauche, j’ai choisi de rentrer au Parti de Gauche pour continuer de combattre frontalement le capitalisme et la précarité. Pour ne pas arrêter et ne pas me résigner, pour faire vivre un projet qui n’appartient désormais plus à un seul parti mais aux milliers d’entre nous qui sommes lassés des querelles de la gauche sociale. Pour dépasser les idéologies, dépasser ce qui nous divise, dépasser la machine à perdre. La politique, c’était peut-être mieux avant d’après certains, mais je vis là où je vis, à une époque donnée et je fais avec. Le Front de Gauche est le début de quelque chose de neuf pour un horizon qui demeure le même : que ça change, pour toutes et tous. Et surtout, vite !

Leila Chaibi, 8 mars 2011.


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