Révolte en Algérie « Ici comme ailleurs, la colère est avant tout sociale »

samedi 4 avril 2015.
 

Ils étaient très nombreux, ces jeunes du quartier de Belouizdad qui regardaient, mi-curieux, mi-indifférents, les manifestants rassemblés ce 12 février sur la place du 1er-Mai à l’appel de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNDC). « Pourquoi ne parlent-ils pas de nos problèmes, qu’est-ce qu’ils veulent  ? Mettre Bouteflika dehors pour prendre sa place  ? Et alors qu’est-ce que ça va changer pour nous  ? Ce qu’on veut ? Un visa pour quitter ce pays », demande Chérif, vingt-six ans, chômeur, approuvé par ses copains de ce quartier populaire d’Alger. Même Ali Benhadj, l’ex-numéro deux de l’ex-FIS (Front islamique du salut) qui enflammait de ses prêches les foules algériennes dans les années quatre-vingt et début quatre-vingt-dix ne trouve pas grâce à leurs yeux. Samedi, le Savonarole islamiste n’a rameuté que quelques dizaines de fidèles. « Tire-toi  ! Va à Kaboul », criaient Omar et ses amis dans sa direction.

Le chanteur Amazigh Kateb, fils de l’écrivain Kateb Yacine, n’a pas tort quand il dit que les mots d’ordre de la CNCD sont trop « politiques », qu’ils ne signifient pas grand-chose pour les jeunes, et que « les revendications doivent coller à leurs préoccupations ».

Les initiateurs de la CNCD, qui ont brisé l’immobilisme de la scène politique en décidant de se ré-approprier l’espace public, la parole confisquée, ont sans doute pris la mesure du décalage existant entre leurs objectifs de changement et une partie de la population. Reste à savoir si la création de comités régionaux, la sensibilisation du monde du travail et de la jeunesse, restés en marge en dépit de la participation des syndicats autonomes et de mouvements étudiants, va retourner la tendance. « Jetez la révolution dans la rue et le peuple s’en emparera », a lancé Ali Yahia Abdenour, infatigable lutteur malgré ses quatre-vingt-dix ans, en paraphrasant Larbi Ben M’Hidi, assassiné par un certain général Aussaresses en 1957.

Cette génération de jeunes, grandie dans les années de violence terroriste (1990-2000, plus de 100 000 morts), rejette dos à dos les islamistes, le pouvoir, les démocrates et tout ce qui est institutionnel. « Tout ce qui intéresse ces politiques, c’est le koursi (fauteuil) », renchérit Lies, sans profession, qui a quitté les bancs du lycée en terminale.

Pour Noureddine, militant associatif, « le drame, c’est la rente pétrolière qui, pour l’heure, profite aux plus riches et à cette mafia de l’import née dans les années 2000, qui a inondé le marché algérien de produits, mettant en difficulté les entreprises locales. Ça, les jeunes n’en sont pas conscients parce qu’on nous interdit de leur parler, parce que les médias publics nous sont fermés. Au nom de l’état d’urgence. »

L’Algérie de 2011, c’est un pays riche où une jeunesse majoritaire ne voit aucune issue. La télévision officielle annonce que le pays dispose de 170 milliards de dollars de réserve de change mais ces jeunes ne constatent aucune amélioration de leurs conditions d’existence. Chômage (10% officiellement, le double selon des universitaires), précarité, pauvreté, crise du logement, mal-vie, inflation (5%), alimentent la colère.

« Chaque fois qu’il y a des émeutes, le pouvoir sort son carnet de chèques. Certes, le droit à la retraite est à 55 ans, la médecine reste gratuite ainsi que les cantines scolaires, les prix des transports publics sont à la portée de tous, mais cet héritage de l’époque socialiste ne peut faire oublier la destruction du tissu social et industriel quand l’Algérie a opté pour la voie libérale, » explique Salhi, syndicaliste.

Le front social est en ébullition. Plus de trente immolations. Et pas un jour sans explosion de colère. Dimanche, à Annaba (Est algérien), des affrontements ont opposé des milliers de jeunes chômeurs à la police. À l’origine, une offre de quelques centaines d’emplois proposée par les autorités locales. Pas assez dans une ville frappée par un fort taux de chômage. Le complexe sidérurgique, qui employait 17 000 salariés, racheté dans les années 2000 par le géant
indien ArcelorMittal, n’en emploie plus que 6 000. Le plan d’ajustement structurel imposé par le FMI en 1994 est passé par là... De prospère, Annaba est devenue pauvre et ne fait pas exception. Kherrata, Akbou (Kabylie), Meghaier (Sud-Est algérien), Ouargla, Souk-Ahras près de la frontière tunisienne, Telagh (Ouest algérien), Ain Defla à l’ouest d’Alger ont également été le théâtre de manifestations de chômeurs. Quand ce ne sont pas des logements qui sont squattés comme cela s’est passé ce week-end dans la banlieue est d’Alger.

Les paramédicaux sont en grève illimitée depuis le 8 février. Dans les universités algériennes, la contestation prend de l’ampleur. À l’origine le décret présidentiel organisant une filière doctorante jugé trop sélectif. Ailleurs, comme à Taghzout (Kabylie), la population revendique le raccordement au gaz naturel : le gazoduc se trouvant à moins d’un kilomètre.

Selon un rapport de la gendarmerie nationale, il y a eu 2 510 émeutes, sit-in, occupations de sièges de mairies en 2010. De fait, le pouvoir algérien est sous une triple pression  : sociale, politique mais aussi internationale. Après Washington, qui a mis en garde Alger, Berlin a fait de même, tandis que Paris, instruite par le désastre de sa diplomatie en Tunisie, a demandé que la « liberté d’expression soit respectée ». Et signe de la nervosité des autorités algériennes, après les révélations de WikiLeaks, le président Bouteflika a interdit à ses ministres tout contact avec les ambassades occidentales sans autorisation.

Hassane Zerrouky, L’Humanité

Publié le 18 février 2011


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