Nicolas Sarkozy, l’Islam et le multiculturalisme

dimanche 27 février 2011.
 

En terminant ma précédente note, j’ai posé la question de savoir où Sarkozy voulait en venir avec son étrange dénonciation du « multiculturalisme ». Maintenant on le sait. Il s’agit de revenir sur la question de la place de l’islam en France. Bonjour les dégâts avec ce genre d’inepties. A ce moment, je veux juste aider ceux qui veulent résister à avoir quelques éléments de compréhension. On va y revenir hélas, si souvent, que je compte faire un travail, par petites touches ici même. Voyons par le commencement. Le multiculturalisme. Première question : qu’est ce que c’est ? Personne ne sait le dire précisément, en réalité. Il existe des centaines d’occurrence différentes pour le mot. Aucune définition ne rassemble. L’expression est aussi floue que les mots qu’elle contient. Car déjà qu’est ce qu’une « culture » ? Il y a aussi des centaines de définition de cette expression. Dans les faits nous avons le sentiment de savoir. Mais si nous devons en donner une définition nous sommes vite enfermés dans des généralités. Alors « multi » par dessus le marché ! Une difficulté supplémentaire s’oppose à ce travail de définition. Certes, on peut vite décrire des rites, mythes, habitudes et coutumes totalement partagés par un groupe humain fermé et isolé. Alors tout ceci peut constituer une véritable identité, c’est-à-dire une définition de soi, pour ceux qui y participent. Mais il en va tout autrement des sociétés ouvertes où les groupes communiquent et échangent. Dans nos sociétés de communication et de brassage, aucun groupe humain n’est défini par un mode unique de comportements et de références comme aux âges des sociétés fermées.

Les modes et coutumes sont poreux. De plus tous sont revisités par l’effet de nivellement de l’usage des objets produit en masse, des réflexes communs qu’ont créés les injonctions de la publicité. Et pour compliquer le tableau, aucun individu ne se définit plus d’après une référence unique ou permanente. On change volontiers de « tribu », ces temps ci. C’est bien pourquoi la théorie du « choc des civilisations » avait besoin de donner un fondement si délimité aux civilisations qu’elle opposait. Bien sur elle commençait par tout fonder sur les différences de « cultures ». Mais comme ce socle montre vite combien il est flou et friable, Huntington s’évertua à faire reposer chaque « culture » sur une assise plus solide pensait-il. Ce fondement chez l’auteur de la théorie c’était la religion. En effet, la religion, parce qu’elle est nécessairement dogmatique est une injonction qui semble plus structurante. Au fondement de toute civilisation et de sa culture dit Samuel Huntington, il y a une religion. Sarkozy ne dit pas autre chose. Trois jours après avoir mis en cause le « multiculturalisme » il parle d’organiser la religion, au prétexte de la place de l’islam en France. Ce que vaut un tel amalgame entre la culture et la religion pour décrire les peuples nous est montré dans les révolutions en cours. Musulmans et arabes, les tunisiens et les égyptiens ne revendiquent pourtant des droits universels : la démocratie et la justice sociale.

L’islam est une obsession pour Nicolas Sarkozy. Dès le mois d’aout qui suivi son élection il réunit les ambassadeurs de France et leur présenta le risque de confrontation entre l’islam et l’occident comme le premier des risque pesant sur la paix du monde. On sait ce qu’il faut en penser dorénavant. Il n’en est rien, la clef de compréhension des évènements n’est pas là. Et cela en dépit de la campagne des officines d’influence pour replacer les révolutions du Maghreb et du moyen orient dans le cadre du conflit entre Israël et Palestine, islam et Occident. Comme l’ont si lamentablement mis en scène Le Point et l’Express la semaine passée avec leurs « Unes » provocatrices. A plus forte raison l’islam n’est pas un problème dans notre société. Mis de côté quelques énergumènes qui font de leur religion un projet politique et se livrent à des provocations, et quelques autres qui en ont une vision intégriste, que voit-on ? Des millions de gens qui pratiquent plus ou moins, vivent en se conformant aux habitudes communes qu’ils observent autour d’eux. Rien de plus, ni rien de moins que ce que l’on constate dans les autres religions. Et surtout la grande masse est en voie de déconfessionnalisation plus ou moins avancée, comme le reste de la population. Le problème ce n’est donc pas l’islam mais l’usage qui en est fait par ceux qui se l’approprient politiquement pour le combattre où s’en réclamer dans l’ordre politique.

Ce parallélisme est un indice d’un fait de portée plus large. Il faut noter la connivence entre les points de vue différentialistes. D’un côté ceux qui ne veulent pas d’une présence ostensible et de l’autre ceux qui l’admettent par a priori, et quelque soi le contenu de cette ostentation. Ils ont en commun une vision réduite de l’être humain définit par ses différences plutôt que par ses ressemblances. On retrouve ici la différence qu’il y avait entre l’église et les humanistes dans les premier temps du combat des « Lumières ». Les catholiques exaltaient l’amour « d’autrui ». Les humanistes défendaient les droits universels de leurs « semblables ». De la sorte il y a un commun dénominateur philosophique entre Nicolas Sarkozy et les signataires du « manifeste pour la diversité » que j’ai déjà évoqué ici. Les uns et les autres partent et restent sur la différence pour construire leurs options et décisions politiques et produire du droit. A l’inverse nous partons, nous, des similitudes pour construire l’ordre politique. L’ordre politique laïque en séparant strictement les religions et l’Etat s’oblige à s’instituer à ne connaitre et à ne délibérer que sur ce qui est commun. Dans cette façon de faire, aucune différence ne fonde de droits permanents. Sauf une. Mais c’est parce que c’est la seule différence qui soit universelle : la différence des genres.

De toute façon le multiculturalisme est un fait. Il est antérieur à la présence des musulmans. Les cultures basques, bretonne, parisienne, occitane sont présente de longue date et de façon très évolutive en France. Ce qui n’est pas un fait c’est que cela fonde des droits politiques. C’est pourquoi la situation est absolument différente avec l’Allemagne où l’Angleterre. Dans ces pays, au nom du « multiculturalisme » des droits sont reconnus ou retirés. En Allemagne, le multiculturalisme réservait aux seuls allemands le droit du sol. En Angleterre de même. Mais divers droits « communautaires » sont reconnus. Rien de tel en France. La République est une et indivisible. Par conséquent, recopier les mots d’ordre de la droite de ces pays va à l’inverse de ce qu’eux mêmes ont en tête. Car Outre Manche comme Outre Rhin, la question est celle de l’instauration d’un « droit commun ». Si les communautés protestent c’est parce que leurs droits vont être réduits et parce que l’annonce se fait sur un mode dénonciateur, négateur qui est offensant et discriminant. J’y reviendrai. En fait Sarkozy le sait. Il use de cette conjonction pour revenir à ses propres objectifs. Ceux qu’il assume depuis le discours de Latran, le rapport Machelon et les innombrables interviews et discours sur le sujet : la remise en cause de la loi de 1905. En apparence il s’agira des musulmans, en réalité il s’agira de la place du religieux dans l’ordre politique et de la fin de la séparation des églises et de l’Etat. J’y reviendrai, on s’en doute.


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