Démocratie et Institutions (forum du Front de Gauche - Réflexions)

mercredi 9 mars 2011.
 

Dans deux ans, notre peuple aura à se prononcer sur l’avenir de la France.

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy est marqué par une dangereuse dégradation des droits fondamentaux et libertés publiques. Les institutions de la Ve République articulées aux options politiques du président sont au coeur de cette dégradation.

Il en résulte un décrochage démocratique massif marqué par une diminution sévère des inscriptions sur les listes électorales et une abstention majeure, notamment dans les quartiers populaires.

Nous, organisations politiques composant le Front de Gauche, faisons la proposition d’un changement radical. Radical parce qu’en rupture avec le régime présidentiel de la Ve république, en rupture avec la confusion des pouvoirs, en rupture avec la relégation des citoyens et des salariés, en rupture avec la domination du FMI, de l’OMC et des autres dirigeants de la finance mondialisée.

La rupture viendra aussi de la méthode portée par le Front de Gauche. Le projet politique du Front de Gauche, s’il est partagé au sein des organisations qui le composent, devra l’être aussi avec le peuple. Nous pensons en effet que seule la méthode de l’implication populaire permettra cette transformation sociale profonde.

Ce texte a fait l’objet d’une discussion au sein d’un groupe de travail unitaire. Il ne clôt pas le débat, il l’ouvre. Il pourra ainsi servir d’introduction à des rencontres locales ou nationales, quelles qu’en soient les formes (forums ou chats sur Internet, réunions publiques ou d’appartement, …) : à vous d’en inventer !

A) Pourquoi une rupture avec notre système institutionnel estelle nécessaire ?

a) Sarkozy a engagé depuis 2007 une politique de régression sociale sous le signe d’un autoritarisme croissant qui menace les droits et libertés. Il remet en cause les acquis démocratiques inscrits dans les constitutions françaises dès la Révolution.

Que ce soit à travers la pratique du pouvoir de l’hyperprésidence, la réforme des collectivités territoriales et la multiplication des lois sécuritaires, la mainmise sur les médias, les remises en cause du droit de grève – comme on a pu le constater avec la réquisition de salariés pendant le conflit des retraites –, c’est un bouleversement des pratiques et des cadres démocratiques qui est à l’oeuvre et qui tend à réduire tous les espaces démocratiques. Le mépris du résultat du référendum contre le TCE et le refus de considérer l’opposition du mouvement populaire et de l’opinion publique sur la réforme des retraites en sont des illustrations caricaturales.

b) Plus globalement cette rupture s’inscrit dans une régression généralisée, que marque notamment la poussée des partis d’extrême droite dans plusieurs pays d’Europe.

Partout, la démocratie est en crise : le divorce entre « les politiques » et les citoyens ne cesse de grandir (abstentions, votes « refuges », bombardement des enquêtes d’opinion…)

Ce phénomène n’est donc pas propre à la France : la mondialisation capitaliste confisque les pouvoirs des citoyens au profit des actionnaires, et plus généralement d’une économie largement financiarisée.

Les gouvernements sont au service des choix économiques capitalistes. Ils s’inscrivent dans la logique de confiscation de la souveraineté populaire et la remise du pouvoir aux mains de quelques uns.

c) En ce qui concerne plus spécifiquement la France, l’évolution institutionnelle au détriment de la souveraineté populaire s’illustre de plusieurs manières :

► Primauté de l’exécutif sur le Parlement poussée à l’extrême aujourd’hui.

► Collusion entre le monde des affaires et les dirigeants politiques formant une oligarchie effective et assumée au service des intérêts financiers.

► Tutelle sur la justice et les médias qui deviennent des outils du pouvoir et non plus des remparts contre les abus.

► Multiplication des lois attentatoires aux libertés individuelles et collectives, à l’action des organisations syndicales et associatives, sans contrôle démocratique.

► Etouffement des potentialités démocratiques dont sont porteuses les collectivités territoriales, notamment les municipalités, par leur asphyxie financière, la recentralisation des pouvoirs, le développement de l’autoritarisme à tous les niveaux…

Notre tâche est donc de rompre avec cette dérive et de créer les conditions d’un nouvel essor démocratique. Ce rebond est nécessaire pour que s’exerce la souveraineté populaire, que soit établie la confiance des citoyens dans la politique indispensable à la mise en oeuvre d’orientations répondant aux aspirations populaires.

Cette rupture répondrait à la montée en puissance d’un mouvement social et démocratique qui s’inscrit dans la durée et veut contribuer à la recherche d’alternatives.

B) Avec quels objectifs essentiels ?

Nous ne voudrions pas ici préjuger du résultat du large débat qui devra traverser notre peuple pendant la période constituante, mais seulement indiquer une orientation générale qui recueille d’ores et déjà la faveur de notre mouvement unitaire. Notre conviction va à la République démocratique et sociale. Cela signifie que règnent dans notre collectivité la solidarité et la participation, l’intérêt général plutôt que les intérêts particuliers, la laïcité plutôt que le choc des civilisations, la liberté mais aussi l’égalité, l’efficacité mais aussi la justice.

Cela passe par le partage, notamment des richesses, mais aussi du pouvoir, condition de l’intervention directe du peuple dans les affaires qui le concernent. Cela passe aussi par le partage de l’information et de la formation : le citoyen éclairé peut alors utilement prendre sa part de la responsabilité du pouvoir. Ce partage implique bien des révolutions !

1. Une Constitution démocratique fondée sur les droits de la personne et le respect de la planète.

Nous voulons impulser une série de ruptures :

■ Le respect des droits et libertés individuels et collectifs, y compris les droits sociaux (emploi, santé, logement...) qui devront recevoir une inscription constitutionnelle solennelle et précise. Il convient d’envisager l’inscription renouvelée et actualisée de droits fondamentaux dans la tradition de la déclaration révolutionnaire de 1789 et du préambule de 1946. Ces droits anciens et nouveaux auront valeur constitutionnelle du fait de leur inscription dans le corps même du texte de la constitution ou bien par renvoi à une partie du préambule de la constitution nouvelle.

■ La citoyenneté de résidence devrait être adoptée, entraînant un droit de vote pour les résidents extra-communautaires, la régularisation des sans-papiers associée à une politique de co-développement à l’échelle internationale.

■ La réorganisation de la séparation des pouvoirs devrait se faire dans le sens d’une primauté du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif, conformément à la tradition parlementaire respectueuse de la souveraineté du peuple qu’il a mandat d’exercer.

Pour ce faire, une organisation nouvelle du Parlement s’imposerait.

Plusieurs hypothèses sont envisageables. Aujourd’hui, la seconde chambre, le Sénat, pose problème. L’une des options est la suppression pure et simple de la seconde chambre. Une autre option est de conserver une seconde chambre, à condition qu’elle n’exerce pas la même fonction de représentation du peuple souverain que la première, la souveraineté ne se divisant pas. Il serait alors possible d’envisager une nouvelle répartition des rôles entre une chambre de députés élue au suffrage universel direct, par un scrutin proportionnel de liste, exerçant de droit la souveraineté, et une seconde chambre élue différemment, jouant le rôle de relais des initiatives populaires (pétitionnaires) et des collectivités territoriales.

■ Une instance pluraliste chargée du contrôle de constitutionnalité pourrait se substituer au Conseil constitutionnel actuel ; les citoyens ayant pouvoir de la saisir.

■ L’institution actuelle du Président de la République cristallise les critiques que suscite la Ve République. Il faut en finir avec elle !

Les pouvoirs propres du Président de la République sont exorbitants. Ils sont la conséquence d’un mode de scrutin qui lui confère une légitimité démesurée par rapport à la représentation parlementaire. Plusieurs formules alternatives sont envisageables : modification du mode de scrutin qui préside à son élection, restriction de ses pouvoirs et maintien de son élection au suffrage universel, suppression de l’institution au profit d’un exécutif collégial (gouvernement) issu de la majorité parlementaire.

■ Nous avons besoin d’une autorité judiciaire réellement indépendante dans l’exercice de son pouvoir juridictionnel (création d’un véritable Conseil de Justice remplaçant le Conseil supérieur de la magistrature actuel, mesures d’interdiction et de sanction des empiètements de l’exécutif sur l’exercice normal de la fonction juridictionnelle).

■ Nous devons aussi garantir l’indépendance des médias à l’égard du pouvoir politique et de l’argent. Car l’information doit être libre et pluraliste. Elle est un bien commun qui doit échapper au carcan que lui imposent aujourd’hui les puissants.

C’est au contraire la puissance publique qui devrait avoir obligation de contribuer à l’exercice du droit à l’information par des services publics et par des fonds publics dont l’usage ferait l’objet d’une concertation démocratique.

La concentration dans les médias et l’interdiction de la détention d’organes de presse par des groupes non spécialisés dans l’information devraient être interdits.

Un « Conseil national des médias » pourrait se substituer au CSA. Composé d’élus, de professionnels et de représentants des usagers, il aurait pour missions de veiller au respect de la responsabilité publique et nationale et de favoriser la création de coopératives de presse ainsi que la diversification des programmes et de la pédagogie dans les écoles de journalisme.

2. Une constitution garantissant de nouveaux droits et de nouveaux pouvoirs pour les citoyens

La démocratie participative, inscrite dans la Constitution, se décline du local au mondial. Elle s’applique à l’élaboration des lois, à la mise en oeuvre des grandes politiques publiques et à la gestion des collectivités territoriales.

■ Organisation de l’initiative citoyenne à tous les niveaux, jusqu’à l’initiative législative.

A tous les niveaux (communes, départements, régions, France et Europe), les élue- s devraient être tenu-e-s de rendre compte régulièrement de leur mandat. Ils disposeraient de financements spécifiques pour impulser l’initiative citoyenne.

Les collectivités territoriales devraient associer les citoyens à l’élaboration de leurs décisions budgétaires.

Le référendum ou toute autre forme de consultation populaire directe pourrait être initié par voie de pétition réunissant un pourcentage de la population.

L’initiative d’une loi serait ouverte aux citoyens, aux organisations syndicales et associations.

■ Il est continuellement nécessaire d’inciter les citoyens à s’investir politiquement.

Cela peut devenir possible en libérant les places (par interdiction des cumuls, limitation du renouvellement des mandats) et en offrant aux élus un statut favorable aux « allers-retours ».

Cela doit aussi être le résultat d’une meilleure formation à la participation non seulement des citoyens et des usagers de l’espace public en général, mais également des professionnels et des élus. Le travail collaboratif ainsi impulsé deviendrait alors un rempart contre la déresponsabilisation.

■ Les institutions du maintien de l’ordre et de la justice devraient être réformées (Réforme des institutions policière, judiciaire et pénitentiaire) conformément au respect des droits fondamentaux tels qu’ils seront formulés dans la constitution.

Notre intention est d’en finir avec les violences répressives de la police, les procédures judiciaires sommaires et le tout carcéral aggravé par l’état lamentable des prisons.

3. Une constitution tournée vers la démocratisation de la vie économique et financière

Pour mettre en oeuvre une rupture avec la logique du libéralisme et du productivisme, il ne suffira pas d’élire de « meilleurs » représentants que ceux qui sont actuellement au pouvoir, mais d’enclencher un bouleversement de nos institutions qui ouvre de nouveaux espaces démocratiques.

L’enjeu est de faire entrer la démocratie dans l’entreprise. C’est selon nous le moyen de sortir de la logique du profit et de subordonner les exigences des actionnaires aux besoins sociaux et écologiques. En d’autres termes, nous contestons le principe d’un « droit de propriété inviolable et sacré ». Si la crise mondiale démontre bien que l’économie dépend aussi de choix collectifs et de la responsabilité publique, on s’aperçoit également que l’entreprise devrait plutôt être conçue comme une propriété sociale parce qu’elle a de lourdes responsabilités sociales.

Cela suppose de soumettre toutes les grandes décisions d’investissements stratégiques des entreprises privées à des priorités sociales démocratiquement débattues. Par exemple, le choix entre le développement de la voiture individuelle - dont le marché est saturé – et celui des transports collectifs ne devrait pas relever de la logique du profit mais de celle de l’intérêt général qui est forcément le fruit d’un choix collectif. A l’échelle des entreprises, les salariés devraient pouvoir être partie prenante, en collaboration avec les syndicats, les usagers, les associations, les habitants, les élus locaux, des décisions les plus importantes.

■ La citoyenneté à l’entreprise devrait devenir un droit constitutionnel. Les institutions qui y concourent, et notamment les comités d’entreprise, exerçant des droits étendus d’expertise, de contrôle et de propositions. Le droit de grève ou de se syndiquer, la liberté d’expression et le droit de retrait seraient confortés.

■ La logique démocratique devrait s’appliquer au champ de l’économie, conduisant notamment à la participation des travailleurs, des citoyens et des élus aux choix économiques et sociaux.

■ Le changement de statut des grandes entreprises : le pouvoir ne devrait pas rester entre les mains des seuls détenteurs de capitaux, les salariés et les représentants élus des citoyens devant être appelés à participer aux choix de ces entreprises.

■ Dans toutes les entreprises, les droits des salariés devraient être garantis et accrus sur les choix de gestion.

■ La protection sociale doit être confortée, démocratisée et mise à l’abri de la concurrence.

4. Une transformation des rapports entre les institutions nationales et européennes

■ Les choix démocratiques nationaux (décisions parlementaires ou référendaires) doivent à nouveau prévaloir sur les décisions européennes.

■ La démocratisation des institutions européennes et planétaires elles-mêmes et leur interaction avec les instances nationales devant être débattues dans d’autres forums, soulignons seulement que les mesures évoquées ici, pour une France membre de l’Union européenne, implique de sortir du Traité de Lisbonne qui organise la confiscation actuelle du pouvoir légitime des peuples.

■ Les forces productives sont mondialisées. Les « marchés » aussi. La finance a ses instances G20, FMI, OMC... Mais les systèmes démocratiques restent nationaux.

Ainsi les sociétés, les peuples n’ont plus de prise sur le cours des choses. A cela s’ajoute les enjeux qui n’ont de sens qu’à l’échelle mondiale : eau, environnement, lutte contre la faim dans le monde, crise énergétique et climatique, déforestation... C’est un nouveau défi : hisser la démocratie au plan mondial.

5. Des avancées en matière de décentralisation démocratique

■ La récente réforme des collectivités territoriales devra être abrogée.

■ Le principe général de responsabilité selon lequel l’Etat est le garant de l’égalité des citoyens sur l’ensemble du territoire (péréquation financière, garantie de l’application des droits, égalité de traitement…) devrait être réaffirmé et consolidé.

■ De même, un principe de proximité permettrait d’optimiser les décisions publiques dans le sens d’une plus grande satisfaction de l’intérêt général.

■ L’autonomie des collectivités territoriales devra être assurée grâce à l’actualisation du principe de libre administration contenu dans la constitution.

C) Comment opérer cette rupture ?

La rupture doit faire l’objet d’un large soutien populaire. Mieux, elle doit être l’oeuvre du peuple lui-même, sans quoi elle ne trouverait pas la signification qu’elle doit nécessairement recouvrir : représenter la volonté générale d’un peuple de retour aux commandes. La rupture institutionnelle doit être le résultat d’un processus d’implication populaire ; un processus constituant qui échapperait ainsi à deux écueils redoutables : l’autoritarisme et l’incantation.

1. Elire une assemblée constituante.

Pour respecter pleinement la souveraineté populaire et poser les bases de la république démocratique et sociale que nous voulons construire, il est indispensable de mettre en mouvement un processus constituant, mettant au coeur l’engagement citoyen et le débat public.

L’élection d’une Assemblée constituante au suffrage universel dès 2012, distincte de la nouvelle Assemblée nationale, ayant pour mandat de rédiger un projet de constitution nouvelle, s’inscrirait donc dans un vaste débat citoyen qui, sous des formes à définir (assemblées populaires, états-généraux, forums citoyens…), et trouvant écho dans les médias, devrait permettre au peuple lui-même de s’en approprier les enjeux. Le texte proposé serait ainsi l’aboutissement de ce grand débat public réunissant citoyens et organisations sociales et politiques autour du projet de VIe République.

Ce projet de constitution nouvelle, une fois voté par l’Assemblée constituante serait ensuite soumis à référendum populaire.

2. Commencer par rétablir les libertés publiques en abrogeant toutes les dispositions liberticides.

3. Imposer le rôle stratégique des mouvements sociaux et de la société civile.

Pour mettre en oeuvre cette rupture, il faudra instaurer une priorité concrète aux besoins sociaux en affrontant des intérêts matériels contraires : ceux des élites économiques et financières. C’est pourquoi la mobilisation des salariés et des citoyens est une dimension stratégique essentielle. Les réformes législatives qu’elle permettra devraient viser à :

■ Moderniser et développer les services publics.

■ Une fiscalité juste et solidaire.

■ Garantir les droits à l’éducation, au logement (c’est-à-dire notamment rendre effectives les loi Dalo et loi sur le logement social), aux soins et à la protection contre les risques sociaux.

■ Dynamiser et étendre la liberté syndicale et le rôle des associations.

■ Protéger de la précarité et de l’insécurité sociale (sécurisation des parcours professionnels, statut du travail salarié ; liberté syndicale...).

■ Protéger la vie privée et les libertés (fichage, technologies de surveillance, de fichage et de traçage...).

■ Assurer une justice indépendante et équitable, une police au service de la sûreté de tous (justice spécifique des mineurs, garde à vue, emprisonnement et alternatives à la prison, rôle et mission de la police...).

■ Lutter contre la corruption pour garantir l’égalité.

■ Garantir l’égalité toujours face au racisme, au sexisme et aux discriminations.

Si la gauche gagne en 2012, le processus démocratique que nous avons décrit devient possible. Avant la victoire, il devra être son mot d’ordre lors de la campagne présidentielle et législative. Si le peuple de France accorde sa confiance au Front de Gauche, celui-ci s’engage solennellement à en faire sa priorité concrète dès les jours qui suivront le scrutin.


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