La pensée solidariste. Aux sources du modèle social républicain, de Serge Audier, PUF, 2010, 340 pages, 27 euros.
Auteur d’un ouvrage sur les Théories de la République (2004), Serge Audier s’est intéressé, depuis cette date, aux penseurs qui ont tenté de donner à la IIIe République, une doctrine sociale. Au premier rang, Léon Bourgeois, un radical-socialiste qui fut président du Conseil en 1895 et douze fois ministre.
En 1895, ce dernier publia des articles réunis un peu plus tard en volume sous le titre Solidarité. Ce mot devint un thème politique et social et le « solidarisme » eut son heure de gloire dans les deux décennies précédant la guerre de 1914. La solidarité s’opposait au darwinisme social qui jugeait inéluctable la lutte entre les individus, mais aussi à la charité chrétienne ; elle tendait à se substituer à la fraternité qui n’impliquait pas de contrainte légale, et se voulait rivale du socialisme révolutionnaire, « collectiviste ».
Dans une introduction dense, l’auteur présente les courants de pensée divers et parfois opposés, qui convergèrent pour assurer le succès de la doctrine solidariste. Celle-ci se voulait scientifique, arguant que la solidarité était un fait de nature, prolongé dans la société comme le montrait la sociologie naissante avec Durkheim. Mais à l’origine de l’idée de solidarité se trouvaient aussi des courants coopérateurs et mutualistes, parfois issus du protestantisme (avec Charles Gide), qui valorisaient davantage la liberté individuelle. Si le mouvement solidariste est donc divers dans ses fondements philosophiques, il défend l’idée centrale que chaque individu a, vis-à-vis de la société dont il fait partie, une dette, et qu’il doit contribuer, en fonction de ses moyens, à l’acquitter.
Les riches devant plus que les pauvres, l’État est chargé d’assurer une redistribution en prenant en charge le sort des plus démunis. C’est pourquoi les plus avancés des solidaristes acceptaient de se ranger dans un « socialisme libéral ». La doctrine solidariste trouva des applications pratiques dans les lois sociales qui marquèrent la période antérieure à la guerre de 1914-1918, sur la mutualité (1898), l’assistance aux vieillards, aux infirmes et incurables (1903) les retraites ouvrières (1910).
Le solidarisme eut aussi une approche internationale avec l’idée d’une société des nations. Serge Audier fournit, à l’appui de sa présentation, un ensemble très riche de textes d’une vingtaine d’auteurs qui montrent bien la diversité de ce mouvement. Le point faible du solidarisme, c’était son incapacité à rendre compte de la conflictualité sociale puisqu’il excluait par principe la lutte des classes. C’est pourquoi la guerre de 1914-1918 et les nouveaux enjeux auxquels elle donna naissance affaiblirent son influence.
Est-il possible comme le suggère l’auteur, avec prudence d’ailleurs, qu’il retrouve une certaine actualité aujourd’hui comme antidote à l’ultralibéralisme ? Il semble bien que la pratique d’une réelle solidarité dans le monde actuel exige des mesures plus radicales que les aménagements modérés des solidaristes du XIXe siècle.
Raymond Huard, historien.
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