Explosions dans le monde arabe (entretien avec Dominique Vidal)

vendredi 11 février 2011.
 

Journaliste et écrivain, auteur de plusieurs livres (*) sur le Proche-Orient, Dominique Vidal analyse la vague de colère qui soulève le monde arabe.

Après la Tunisie, l’Égypte et le Yémen, comment analysez-vous les soulèvements qui se succèdent dans le monde arabe ?

Dominique Vidal. De mon point de vue, il s’agit d’une véritable révolution, au sens de la Révolution française. C’est-à-dire un mouvement de masse composite qu’il serait absurde de réduire à une cause unique.La dimension sociale existe et elle est même majeure, aggravée par la crise qui a déferlé sur le monde depuis 2008. Il faut savoir que, dans l’ensemble du monde arabe, 2 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour. Si l’on regarde les trois rapports du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) sur cette zone (2003-2004-2009), on voit que c’est celle où la progression de l’indice de développement humain a été la plus faible quand il n’y a pas eu régression.Le Pnud signale trois échecs  : l’échec démocratique avec une grande violence policière. Ce que tout le monde constate aujourd’hui en Égypte où l’on viole et torture dans les commissariats. Des autocrates qui se comportent comme des rois et sont remplacés par leurs enfants, comme cela s’est fait en Syrie, a failli se faire en Égypte et se fera peut-être en Libye.Le deuxième échec concerne les femmes dont la situation est plus dégradée qu’ailleurs. Les indicateurs en sont notamment la mortalité infantile et la participation à 
la vie politique  : seulement 8 % de femmes dans l’ensemble des Parlements arabes contre une moyenne mondiale de 18,7 %. Le troisième échec est dans l’éducation avec 60 millions d’illettrés sur 350 millions d’habitants et 23 % d’analphabétisme dans l’ensemble du monde arabe.

Pourquoi un tel échec  ?

Dominique Vidal. Le conflit israélo-palestinien et israélo-arabe y est pour beaucoup. À cause de lui, il y a eu un déficit de développement, l’essentiel des ressources étant consacré à l’armement. C’est le cas en Égypte – il n’y a qu’à voir le nombre de chars dans les rues – mais aussi en Syrie, comme en Irak. Cela a aussi servi de prétexte à ne pas démocratiser. Il y a peu de régimes au monde où les espoirs de la population ont été aussi violemment bafoués. Il y a eu deux grandes faillites  : celle des révolutions socialistes qui ont suivi les indépendances et qui ont fini en démocraties populaires autoritaires, même si des choses ont pu y être réalisées. Celui du capitalisme mondialisé, qui s’est traduit par des inégalités plus fortes encore qu’ailleurs. Cela à cause des guerres israélo-arabes, de la corruption et de l’inefficacité du système.

Ne risque-t-on pas de voir une montée de l’islamisme, comme l’affirmait hier l’ayatollah Khamenei  ?

Dominique Vidal. Je ne le pense pas, même s’il y a après ces deux faillites un repli identitaire sur les valeurs traditionnelles. Les gens qui prient sur la place Tahrir ne sont pas des islamistes  ; ce sont simplement des musulmans qui affirment leur identité face à une société qui les humilie et qui n’a cessé de les humilier. C’est une révolution contre trente à quarante ans d’humiliation économique, sociale, démocratique, sexuelle. Contre un monde qui ne représente aucun espoir d’avenir pour sa jeunesse. S’y ajoute le désespoir face à un Occident qui n’a cessé de soutenir leurs dictateurs et qui n’a pas été fichu d’imposer à Israël le respect des droits du peuple palestinien, occupé depuis 1967.

(*) Dernier ouvrage paru : le Grand Tournant. État du monde 2010, avec Bertrand Badie.

Entretien réalisé par Françoise Germain-Robin


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