Patrice Lumumba Une tête mise à prix par le monde capitaliste

lundi 7 février 2011.
 

Assassiné voilà cinquante ans, le premier ministre congolais Patrice Lumumba était dans le collimateur des services belges, américains et français. Exécuteurs des basses œuvres : Tschombé et Mobutu.

Le 17 janvier dernier marquait le cinquantième anniversaire de l’assassinat de Patrice Lumumba. Une commémoration célébrée à travers tout le continent africain, tant ce crime est encore aujourd’hui ressenti comme emblématique du passage du colonialisme direct à la domination néocoloniale du «  Sud  » par le «  Nord  ». Il y eut certes d’autres assassinats de leaders africains, des Camerounais Ruben Um Nyobé et Félix Moumié au Togolais Sylvanus Olympio liquidés par les services français afin de faire place nette à des Ahidjo et Eyadema relais dociles et intéressés du pillage des richesses de leur pays par les groupes financiers de l’ex-métropole. Mais le meurtre de Lumumba revêt cette dimension particulière que, la guerre froide aidant, il fut le fait d’une véritable union sacrée du monde capitaliste dans sa croisade contre le camp socialiste et les mouvements de libération du tiers-monde. Cela avec d’autant plus de résolution que l’ex-Congo belge est caractérisé comme un véritable «  scandale géologique  » tant est diverse la profusion de ses ressources naturelles. Un exemple historique célèbre : la première arme nucléaire, celle d’Hiroshima, fut produite avec de l’uranium extrait à Shinkolobwe, dans la province du Katanga (sud du pays), les Américains ne l’emportant d’ailleurs que d’une courte tête sur l’Allemagne nazie qui, elle, travaillait sur un programme identique à partir d’un stock de ce minerai saisi en Belgique et provenant également de la colonie africaine.

La rupture fut considérée par Bruxelles comme consommée dès la cérémonie d’accession à l’indépendance. Le 30 juin 1960, le roi Baudoin, soit par provocation, soit par bêtise raciste, prononce un discours au paternalisme épais, conviant en substance le peuple congolais à se montrer digne de la confiance que lui-même et son pays daignaient lui accorder, ajoutant qu’il serait toujours là pour donner des «  conseils  » si besoin était. Après une réponse inodore du président Kasavubu, Patrice Lumumba, alors devenu premier ministre (peu de temps après être sorti des geôles belges), prend la parole de façon inattendue. Au lieu de s’adresser au monarque, il commence par une salutation «  aux Congolais et Congolaises, aux combattants de l’indépendance aujourd’hui victorieux  », avant de proclamer que cette dernière ouvre la voie d’une ère de liberté et de justice sociale. «  C’est une lutte qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force.  »

Le roi Baudoin ne pardonnera jamais ce qu’il considéra comme un crime de lèse-majesté. Dès les semaines suivantes, il encourage ouvertement Moïse Tschombé dans sa tentative de sécession du Katanga, la province la plus riche du pays. Peu de temps après, le Kasaï, «  tenu  » par l’Union minière belge exploitant le cuivre, déclare suivre la même voie. C’est le début d’une tourmente sanglante dont, un demi-siècle plus tard, le Congo est loin d’être sorti.

Parallèlement, la Belgique s’adresse à Washington pour lui assurer que le panafricanisme de Patrice Lumumba ne peut que le conduire aux idées communistes. Inquiètes des déclarations sur la «  justice sociale  », les grandes sociétés belges ou multinationales relaient systématiquement cette propagande et financent les mouvements sécessionnistes.

Par ces temps de guerre froide planétaire, Washington n’avait pas besoin d’être convaincu. Selon 
Robert Johnson, membre du personnel de la Maison-Blanche, le président Eisenhower donne son accord pour l’élimination du premier ministre congolais au mois d’août. Le directeur de la CIA, Allen Dulles, qui, dit-on, avait surnommé Patrice Lumumba le «  chien fou  », envoie une armada d’agents en Afrique centrale. Au moins deux tentatives d’assassinat par empoisonnement auraient été perpétrées.

Les services français, eux, travaillent en amont. Tandis que Londres laisse Tschombé utiliser la Rhodésie du Nord comme base arrière, eux approvisionnent les sécessionnistes en mercenaires, dont un nombre important de militaires n’ayant pas caché leurs sympathies pour l’OAS. Dans ses mémoires, le colonel Trinquier, ex-membre du Comité de salut public d’Alger en 1958, assure avoir été pressenti pour le commandement des forces katangaises et avoir consulté Pierre Messmer qui l’aurait encouragé à accepter. Cette «  promotion  » est rendue impossible par les officiers belges également mercenaires et peu désireux de voir un Français prendre le pas sur eux.

Bruxelles et Washington avaient un même joker, le colonel Mobutu. Cet ancien membre de la sûreté belge était en contact avec la CIA depuis les années cinquante. Au plus fort de la crise de 1960, il devient chef d’état-major d’une armée en voie de décomposition. La suite est connue : démis par le président Kasa-Vubu, Patrice Lumumba est bloqué à Léopoldville (Kinshasa) par Mobutu, qui vient de s’emparer du pouvoir. Le premier ministre parvient à s’enfuir et tente de gagner Stanleyville (Kisangani) où Antoine Gizenga a formé un gouvernement reconnu par les pays africains progressistes, Moscou et Pékin. Capturé en cours de route, il est livré à Tschombé. Au terme de longues tortures, il est achevé par un peloton d’exécution katangais. Que commandait un Belge.

Jean Chatain, L’Humanité


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