Alternative au capitalisme CONTRIBUTION AU CONGRES MARX INTERNATIONAL 2010

mercredi 2 février 2011.
 

Lorsqu’il m’a été demandé de rédiger un texte pour l’invitation à ce congrès, ma réflexion suivait de très près la problématique du livre. C’était aussi juste l’après d’un nouveau développement de la crise financière. Mon texte a donc été rédigé comme une réaction presque à chaud dans la conjoncture. Je vais commencer mon développement par une phrase qui est en apparence une évidence dans le champ du marxisme. « Le dépassement du capitalisme implique une modification en profondeur des rapports sociaux sous plusieurs dimensions ». En pointant cette généralité, je veux souligner que l’étendue des rapports sociaux à transformer est un sujet clef de la construction d’un projet, dès le début d’un processus de dépassement. Certes, c’est le mouvement de l’histoire, des luttes sociales et politiques, qui détermine le processus réel. Mais l’intervention politique, agissant comme une stratégie consciente pour la transformation de la société, accède à l’efficience à condition de prendre suffisamment en compte les potentialités principales de la période. Dans le contexte de la récente succession des crises financières du capitalisme, comment répondre à cette exigence ? Mon approche est de considérer que les dimensions de crise sur lesquelles les acteurs de la domination du capital apparaissent directement en difficulté ne forment pas l’étendue complète des potentialités de la période, par lesquelles des dynamiques sociales peuvent ouvrir une perspective. Mon analyse se situe dans la problématique de la nature du rapport dialectique entre d’une part, l’immanence provenant des contradictions du capitalisme, dans le développement des forces productives, et d’autre part, les axes d’intervention qu’une force sociale et politique doit investir pour gagner les étapes d’un processus de transformation sociale. Je vais m’expliquer plus précisément dans l’actualité.

Face aux crises financières et au constat des difficultés du capitalisme à se réformer, s’expriment diverses conceptions d’une nouvelle forme de la maîtrise de la finance en alternative au néolibéralisme, certains positionnements se prononçant pour un retour à une certaine forme de Keynésianisme. Une question se pose alors. L’amorce du processus de dépassement du capitalisme se joue t’elle essentiellement par la maîtrise sociale de la monnaie et la finance ? Qu’en est il du devenir du rapport salarial ? Comment appréhender l’état actuel des forces productives, et l’immanence résultant des contradictions du capitalisme ? Le besoin d’une clarification sur ces points est à l’ordre du jour de la période. Le compte rendu de l’entretien du 6 mai 2009 avec Michel Aglietta, réalisé par Michel Vakaloulis, est dans le vif du sujet. Michel Aglietta estime qu’une nouvelle version social démocrate est possible en réponse aux récentes crises financières. Je me permets d’interpréter son analyse comme quoi le dépassement du capitalisme n’est pas pour lui l’hypothèse la plus probable comme option pour sortir de la crise actuelle. Dans ses propos, je retiens comme axes principaux d’une nouvelle politique :

- le retour de l’Etat pour établir une cohérence globale, après l’échec de la finance à le faire,

- de trouver des mécanismes émergents de régulation,

- de maîtriser des enjeux mondiaux comme l’alimentation, l’eau, l’énergie, par des relations interétatiques, en évitant la guerre,

- d’inverser les inégalités dans les pays occidentaux par la fiscalité, de stabiliser la dette de sortie de crise et poursuivre le capitalisme patrimonial. Cette approche considère possible de canaliser le capitalisme, sans devoir le démanteler. Il est intéressant de noter comment elle aborde les structures productives. Elle retient que le capitalisme fonctionne par vagues technologiques permettant la plus-value relative, et que tant qu’une vague technologique n’est pas épuisée comme source de gain de productivité, il n’apparaît pas rentable d’inventer une autre. C’est seulement quand il y a une baisse de la rentabilité du capital par épuisement des conséquences d’une vague technologique qu’apparaissent les prémisses de la possibilité de transformer les structures productives.

Les cycles du capitalisme sont estimés coïncider avec des vagues technologiques, entrecoupées de crises profondes considérées comme des phases de transition. La crise profonde de la rentabilité du capital des années 1960 et 1970 est ainsi considérée comme avoir trouvé sa réponse dans l’apport de la révolution amenée par l’informatique et les diverses technologies de l’information.

Par contre, la tendance endémique aux crises financières des dernières années ne semble pas rentrer dans ce schéma car elle s’explique par l’accumulation spéculative consécutive au partage très inégalitaire des richesses, au détriment du salariat, depuis le tournant néolibéral des années 1970 – 1980. et la fuite en avant dans la globalisation de l’économie. Des analyses se positionnant comme relevant du marxisme complètent le raisonnement en avançant que la vague technologique actuelle, appelée révolution informationnelle, ne produit pas tous ses apports, car la valorisation du capital s’effectue au détriment de l’emploi, de la formation, des conditions de travail. Cette approche considère qu’il faut établir un partage des richesses nettement plus favorable au travail, à la fois pour permettre d’utiliser toutes les potentialités de la vague technologique en cours, et aussi pour obtenir une croissance économique fondée sur une réponse aux besoins de toute la population. Un lien s’effectue alors entre l’exigence d’une maîtrise sociale de la finance et la nécessité d’un partage plus égalitaire des richesses, directement à partir de l’entreprise. La finance est alors considérée comme un outil au service d’une croissance utile, par le recours au crédit sélectif. Des analyses vont plus loin en montrant que l’information et la connaissance sont des marchandises particulières, car quand on les fournit à d’autres, on continue à en disposer pour soi. L’information et la connaissance se partageant par nature, le capitalisme serait face à un problème inédit, contradictoire avec l’appropriation privée. Il y aurait alors une tendance immanente à la vague technologique actuelle, mettant en perspective le dépassement du capitalisme comme nécessité historique.

Mon approche est de considérer que les potentialités du dépassement du capitalisme ne sont pas suffisamment appréhendées si la construction du projet ne s’appuie pas sur une investigation suffisante des mutations profondes du travail, comme défis du devenir des sociétés et de l’économie. Les rapports sociaux dans l’activité des entreprises, dans les échanges entre entreprises jusqu’à l’échelle internationale, sont certes pilotés par la finance avec le capitalisme. Mais leurs contenus complets comprennent une multitude de contradictions et de potentialités. Il est ainsi particulièrement instructif d’examiner comment le management financier et centralisé des entreprises devient une entrave au travail efficace.

Dans les conditions actuelles des forces productives, la finalité de la valorisation du capital se traduit par un management poussant à une contradiction explosive. Elle intervient constamment pour obtenir une intensification du travail, pour une utilisation optimisée des forces productives, tout en occasionnant tendanciellement à la défaillance et aux gâchis. Le travail étant poussé à la limite, les risques de défaillance sont multipliés, d’où le besoin de s’efforcer de détecter à temps les dérives afin d’éviter des catastrophes. La hiérarchie n’est aujourd’hui plus en mesure de faire entendre des alertes, car par principe, elle est suspecte de vouloir conserver des marges de confort dans la tenue des objectifs de son secteur, ce qui n’est pas compatible avec l’optimisation de la productivité apparente. Auparavant, la hiérarchie formait un filtre que le haut management avait du mal à contourner. La hiérarchie était alors investie de responsabilités avec une marge d’autonomie significative, pour autant que les résultats généraux étaient satisfaisants. Maintenant, l’informatisation et l’accès en temps réel à l’information sur

l’ensemble des processus de travail ont permis de modifier profondément le contrôle et le pilotage du travail. Le capital veut tirer parti au maximum de son accès direct et rapide aux informations sur les coûts, mais cela exige que le résultat du travail soit aussi contrôlé par des indicateurs, d’où la forte emprise des méthodes d’évaluation. Les modes de contrôle et d’intervention du management qui en découlent sont vécues comme une bureaucratisation inadaptée aux exigences d’organisation et d’animation du travail. La tyrannie des indicateurs surcharge les hiérarchies dans la diversité des secteurs professionnels comme l’industrie, l’hôpital, la recherche… Les contradictions exacerbées au sein du travail dans les diverses filières économiques sont telles que le stress et les suicides liés au travail font partie de l’actualité.

Cette analyse sommaire d’une dimension des contradictions à l’entreprise met en question l’approche considérant le capitalisme comme indépassable. En effet, il n’est plus fondé de prétendre que l’organisation du travail et ses processus sous domination des critères du capitalisme constitueraient la rationalité correspondante à l’état des forces productives. Par conséquent, il est permis d’avancer que la transformation des rapports sociaux n’a pas à attendre qu’une vague technologique comme celle en cours conduise mécaniquement à une hausse de la productivité jusqu’à ce qu’elle épuise son potentiel. Le capitalisme s’empare des résultats de la recherche scientifique, mais en la canalisant en fonction des perspectives de marchés. Il est aussi cause d’une sous utilisation des potentiels d’une vague technologique directement par les rapports sociaux de production qu’il impose. Ceci ne se limite à l’insuffisance des salaires, de l’emploi et de la formation. Ma conclusion est de considérer que le projet de dépassement du capitalisme ne peut pas faire l’impasse de réponses aux enjeux du travail et de sa libération effective par rapport à la domination du capital, ce qui signifie un champ beaucoup plus large que le simple partage des richesses et la maîtrise de la finance. Dans le cadre de cette séance, je ne développerais pas plus sur ce sujet très vaste, qui appelle des contributions multiples.

Je vais maintenant développer à propos de la façon dont on conçoit le rapport entre le politique et l’économie, car s’y joue un fil conducteur principal de l’alternative. Avec le capitalisme, le politique est en adéquation avec la domination du capital sur le travail. Et l’économie, comme discipline d’analyse et de pilotage des activités productives, intervient par un ensemble de techniques servant à mesurer les richesses créées par le travail, et à fixer des objectifs au travail. Certes, c’est une façon trop sommaire de définir l’économie classique, vu en particulier la complexité induite par le monétaire, la finance, le capitalisme patrimonial…Ce qui est maintenant patent, c’est que la révolution informationnelle a permis à l’analyse économique classique de devenir un outil sophistiqué de contrôle et de pilotage du travail, qui asservit l’ensemble des rapports humains de travail à devenir des automates sous contrainte de la valorisation du capital. Une façon de définir le dépassement du capitalisme est de se prononcer pour un choix politique général en faveur de nouvelles finalités sociales à traduire sous forme d’indicateurs économiques appropriés. Le remplacement des critères de gestion capitalistes par des critères de finalité sociale est alors considéré comme un axe déterminant de l’alternative. Ma remarque est de souligner l’importance des modes de contrôle et de pilotage de l’activité des entreprises, censée impulser une nouvelle efficacité sociale. Si le choix politique de nouvelles finalités économiques et sociales se traduit en s’appuyant sur les modes actuels de gestion et de management, il ne traite pas de la démocratisation des rapports sociaux humains de travail, de toutes les dimensions anthropologiques qui font le vécu et qui détermine l’efficience du travail. Considérer que de nouveaux critères de gestion favorables à l’emploi, aux conditions matérielles de travail, à la formation, aux salaires, conduiraient mécaniquement à une modification plus étendue des rapports sociaux est discutable. L’histoire du 20ème siècle fournit de multiples objections. Les stéréotypes actuels de la division du travail, des formes de pouvoir, du rapport de l’individu au collectif, de la personnalité, constituent des structurations dans la société. Ils ne sont pas seulement sous l’emprise du libéralisme. Ils plongent si loin dans la profondeur de l’anthropologie humaine que le dépassement du capitalisme ne peut laisser la question pour plus tard, après que le processus soit suffisamment engagé. Au moins deux arguments me convainquent dans cette affirmation.

La crise de la personnalité auquel conduit le capitalisme et le libéralisme est un aspect déterminant de la façon dont les pensées individuelles et collectives se structurent. Ce n’est pas seulement pour faire diversion que les pouvoirs politiques se sont emparés du sécuritaire.

L’efficience du travail, avec les évolutions en cours des forces productives, dépend directement de la nature du rapport individu collectif, de la dynamique du pouvoir d’agir de chaque personne. Fixer aux individus et collectifs de travail, des objectifs traduits en critères de gestion, ne produit pas en soi une dynamique de travail, et fait perdurer un management de domination du travail, même si les critères sont conçus pour une finalité sociale.

Suite à cette première partie de mon exposé, je pourrais avancer que l’autogestion est la rupture radicale permettant l’appropriation du pouvoir par le travail, en rupture avec les managements classiques. Mais, pourquoi n’ai je pas utilisé la notion d’autogestion dans mon livre pour développer mon approche de l’alternative ? Ceci traduit une prudence résultant de plusieurs considérations. Il est utile de revenir à la controverse qui divisait la gauche au 20ème siècle, jusque dans les années 1970.

Schématiquement, deux options tendaient à s’opposer :

- celle considérant que le recours à un état démocratisé était l’outil nécessaire pour réussir à réaliser un développement optimisée des forces productives, au service de tous les individus, avec diverses approches de la péréquation, d’une solidarité institutionnellement organisée.

- celle arguant que l’économie administrée constitue une étatisation avec comme conséquence une délégation massive du pouvoir à une minorité de dirigeants finissant par devenir une nouvelle classe sociale. Et autour de 1968, la réponse s’est orientée explicitement en faveur de l’autogestion.

Mon propos n’est pas de me positionner par un « ni ni » face à cette alternative. Il est plutôt de montrer que des modes de raisonnement classiques issus de cette époque sont à examiner de façon critique. La condamnation du socialisme étatique fait consensus mais la compréhension de son échec reste souvent tributaire d’une conception relative à la construction de nouveaux rapports sociaux s’en remettant au pragmatisme. La domination du capital dans le cadre de l’entreprise étant acquise par l’instauration d’une autogestion, il existe une tendance forte à considérer que la libération du travailleur en découlant permet en soi de s’orienter vers des nouveaux rapports sociaux progressistes et durables. Au 20ème siècle, de nombreuses expériences ont eu lieu, avec le constat de difficultés sérieuses, et dans de nombreux cas, une durée de vie relativement brève.

Pour les tenants de l’autogestion, les échecs sont explicables soit par le fait qu’une grande partie des expériences d’entreprises autogérées ont eu lieu sous la contrainte du marché capitaliste, soit par l’impact des conceptions étatistes au sein des forces dirigeantes dans les expériences de transformations sociales. Si ses éléments de compréhension ne sont pas à ignorer, il est essentiel d’appréhender tous les écueils sur lesquels le projet autogestionnaire bute lors de la mise en pratique. Les comportements de chacun s’inscrivent dans des traits dominants de rapports sociaux, . Au fond, la critique que j’ai formulé à l’encontre d’une conception du dépassement du capitalisme, fondé sur le pilotage du travail en s’appuyant sur de nouveaux critères de gestion, n’est pas levé par une autogestion qui n’est pas construite en prenant en compte les dimensions principales de l’anthropologie dans l’état actuel des forces productives. D’ailleurs, une autogestion de décentralisation peut très bien avoir recours au pouvoir d’agir des individus répartis en multiples collectifs d’activité, sans pour autant que les structurations de transversalité dans lesquelles les collectifs de travail et les entreprises soient un objet de la démocratie sociale. D’une certaine manière, les nouvelles formes d’organisation du travail en projet, ont récupéré l’aspiration à l’initiative et à décider en la soumettant à une structuration encadrant le pouvoir d’agir des collectifs de travail. De même, les réformes progressives des collectivités publiques enfermant leur pouvoir de décisions sous l’emprise d’une réglementation libérale, ce qui fait que leur pouvoir d’agir concours aux rapports sociaux dominants sans qu’il apparaisse possible de s’en émanciper. Cette remarque m’amène à formuler le vœu suivant. La construction d’une alternative au capitalisme a besoin d’un développement de la pensée théorique sur l’efficience des diverses structurations dans le travail et la société complète, et sur les options à explorer dans la pratique, pour construire les structurations de la démocratisation dans la société et le travail à l’entreprise. En formulant ce vœu, j’ai conscience de me positionner sur une confrontation qui a été vive dans les années 1960 et 1970. Ayant récemment lu « Pour Marx d’Althusser » et divers positionnements à propos du marxisme dit « Hégélien », et du rapport entre le structuralisme et le marxisme, j’ai tendance à considérer qu’une reprise sereine de certains débats théoriques seraient très utiles vu les enjeux posés par l’état actuel des forces productives, dans lesquelles les mutations du travail sont une dimension essentielle. J’ose même suggérer que la relative victoire en fin du 20ème siècle d’une conception considérant qu’il faut commencer par les fins identifiables par des valeurs humanistes, et que le choix des moyens en découle, a fermé le débat ouvert par le structuralisme, alors qu’une confrontation nourrie d’une évaluation équilibrée aurait pu apporter des éclairages très utiles à la pensée de l’alternative.

Jusqu’à maintenant, mon intervention selon le fil conducteur de la « modification en profondeur des rapports sociaux sous plusieurs dimensions » a traité principalement des mutations du travail. Je vais maintenant être plus court pour aborder les deux autres aspects annoncés par le texte d’annonce de ce débat.

Le premier concerne la dimension patrimoniale du capitalisme. Pour la pensée de l’alternative ayant intégré l’apport de Marx, la succession des crises financières est d’évidence la confirmation que le dépassement du capitalisme est à l’ordre du jour. On peut nourrir l’espoir que cette perspective devienne une préoccupation très large dans la population. Des sondages récents en France tendraient à le montrer. Quand on creuse la question, les choses sont plus complexes, car la notion de réformer le capitalisme est probablement une notion sur laquelle un consensus majoritaire tend à s’effectuer. Cette tendance de l’opinion publique est particulièrement activée par l’impact du capitalisme patrimonial dans la population. Depuis les années 1980, l’accès à des placements sur le marché financier a été développé jusque dans les milieux ouvriers et employés. Certes, l’essentiel des ménages ont un patrimoine financier faible comparativement à ceux de la bourgeoisie. Mais, ceci ne veut pas dire qu’ils ne sont pas sensibles aux conséquences des chutes de valeur boursières ou obligataires. Ce qui fait que les attentes de cette population, en faveur d’une maîtrise de la finance par l’Etat ou de nouvelles régulations, peuvent se rattacher à deux objectifs. Il s’agit d’une part, de la réutilisation de la finance pour la relance de l’économie et de l’emploi, et d’autre part, d’une reconsolidation des cours des marchés financiers afin que les patrimoines des ménages soient sécurisés. Mais, la valorisation du marché financier a atteint une croissance spéculative telle que même le seul maintien de sa valeur est une contrainte insupportable pour la société.

Une relance de l’économie et de l’emploi, suppose donc une réduction forte des prélèvements des marchés financiers sur les richesses créées par le travail. Un réajustement très conséquent à la baisse de la valorisation financière serait inéluctable. Un défi de la mise en œuvre d’une nouvelle économie politique est d’ailleurs de déconnecter l’économie réelle de la tutelle des marchés financiers, afin entre autres que les cours boursiers et obligataires n’exercent plus une dictature sur l’économie, que leur baisse n’entraîne pas une dépression économique ou d’autres perturbations pour l’économie. Les deux finalités que la population attendrait d’une maîtrise de la finance forment un ensemble contradictoire. La réaffirmation d’une approche social démocrate peut être comprise comme l’expression d’une politique prétendant assurer de concert ses deux finalités contradictoires. Pour une approche de dépassement du capitalisme, le problème posé par l’impact du capitalisme patrimonial n’est pas à négliger car sans réponse appropriée, c’est la faisabilité politique du processus qui est en cause, voire c’est le risque de crises sociales et politiques, pouvant conduire à des radicalisations d’extrême droite, comme l’a montré les conséquences de la crise de 1929. C’est pourquoi, il est à mon avis essentiel d’envisager une stratégie de classe approfondie, comme élément constitutif du processus de dépassement du capitalisme.

Avant de terminer, quelques remarques à propos du troisième aspect abordé dans le texte de présentation. Il s’agit de l’alternative à la soit disant « main invisible du marché des biens et des services ». Il s’agit de concevoir un nouveau type de développement, dans lequel le choix du citoyen s’exprime et pèse en amont des évolutions des modes de consommation et de production. Un caractère inédit de la période est que la succession des crises financière dans le même temps où la crise écologique est officiellement reconnue comme un défi de l’avenir. En conséquence, il est devenu incongru de se prononcer pour une croissance économique, sans définir des alternatives au productivisme, et sans préciser par quels processus une mutation des modes de production et de consommation peut s’opérer. Dans le sujet précédent, nous avons vu que la relance de la croissance économique et la sécurisation du capitalisme patrimonial forment deux objectifs contradictoires, que l’approche social démocrate prétend concilier. Avec le défi de la crise écologique, il s’agirait aussi de concilier le développement économique avec une problématique que les partisans de la décroissance pointent comme contradictoire. Une réponse sommaire à la question est de montrer que le concept de croissance économique recouvre l’ensemble des activités de travail salarié ou marchande, et que le défi écologique exige de modifier les modes d’activités productives ayant un impact sur la nature et le potentiel de richesses naturelles. Il me semble que la confrontation décisive concerne les modifications des rapports sociaux de production et de consommation qu’il y a lieu d’opérer. Pour les approches admettant le capitalisme, comme indépassable, deux axes sont déjà en cours de mise en œuvre. Il s’agit d’une part de l’établissement d’une réglementation des activités productives, des normes de produits, des normes d’environnement imposées aux entreprises. Et d’autre part, du retour à des taxations pénalisant les activités les plus polluantes, ou les plus consommatrices d’énergie ou de matières premières. Ces conceptions sous entendent que le marché des biens et des services se réoriente progressivement par l’impact de la réglementation écologique et de la taxation différentielle. Une remarque principale me semble à considérer. L’évolution des modes de production et de consommation s’effectue par les orientations des activités de recherche fondamentale et appliquée. Une recherche pilotée par les firmes capitalistes, ou une recherche orientée en fonction de finalités sociales définies en toute transparence avec la population, ne conduisent pas aux mêmes développements technologiques. Les normes et règlementations interviennent comme déterminants des réalisations industrielles et de l’utilisation des technologies, une fois que le développement d’une technologie a commencé à être prometteur. La contrainte écologique, sous forme de normes ou réglementation, est un déterminant de plus ajouté à celui des autres qualités de produit. Ainsi, elle n’a pas un rôle amont aux choix de développement. Et, face aux exigences de répondre aux besoins de la population, seules les technologies éprouvées sont à l’ordre du jour. Il suffit de parcourir le sujet des modes de production de l’énergie pour vite le comprendre.

Le principe des taxations différentielles, en visant à pénaliser les activités polluantes ou trop consommatrices de ressources naturelles, peut être appréhendées comme un impact plus important sur l’amont puisqu’elle déterminerait indirectement les axes de recherches appliquées des firmes. L’actualité montre à l’évidence que les résultats de la recherche sont instrumentalisées lorsqu’elle est pilotée par les firmes capitalistes. Il s’ensuit que l’établissement de diagnostics scientifiques, validés par une confrontation sereine, à l’écart de la pression de lobbies, n’a pas lieu sans un secteur public de la recherche inscrivant ces programmes dans des choix de finalité sociale. D’où des controverses multiples sur les types de production à privilégier ou à pénaliser. Ces quelques remarques tendent à justifier l’option d’une maîtrise nécessaire d’une marché des biens et des services, par des formes démocratiques intervenant sur les finalités sociales auxquelles se rattachent les programme de recherche, ainsi que sur le choix des technologies à développer. Il s’agit de fonder une démocratisation intervenant sur la valeur d’usage, ainsi que sur la détermination de la valeur d’échange, en remplacement de la soit disant « main invisible du marché ». Il serait trop de développer mon approche qui n’équivaut pas à une suppression totale du marché des biens et des services, mais plutôt dans une transformation des modes d’incitation aux gains de productivité.

En conclusion, je vous remercie de m’avoir écouté et j’espère a été suffisamment clair pour expliciter mon approche du dépassement du capitalisme.

Louis MAZUY, le 24 septembre 2010


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