Tunisie « La victoire de mon peuple est définitive » (Fahem Boukadous)

samedi 29 janvier 2011.
 

Le journaliste Fahem Boukadous est sorti des geôles de Ben Ali voilà une semaine, 
où il avait été incarcéré pour la « couverture » des grèves de Gafsa, en 2008. Il témoigne.

Le journaliste Fahem Boukadous avait été condamné en juillet dernier pour avoir couvert, en 2008, les grèves de la région minière de Gafsa, dans le centre-ouest du pays. Reconnu coupable dans un procès expéditif de « constitution d’une entente criminelle susceptible de porter atteinte aux personnes et aux biens » (sic), il avait alors écopé de quatre ans de prison ferme. L’Humanité avait été le seul quotidien français à mener campagne dès le début pour sa libération. Il a été libéré cinq jours après la chute du dictateur, le 19 janvier.

Comment allez-vous  ?

Fahem Boukadous. Je ne suis pas en bonne santé, je suis très asthmatique. C’est une situation très sérieuse et compliquée. Mais la joie de la liberté m’a pour ainsi dire fait oublier tout ça. Aujourd’hui, je me sens fort, je me sens mieux, je vais bien…

Vous avez été libéré il y a tout juste 
une semaine, vous avez donc vécu 
la révolution depuis la prison…

Fahem Boukadous. En prison, nous avions la télévision, mais seulement les chaînes tunisiennes. Malgré les conditions très dures dans lesquelles j’étais détenu, j’avais quelques rapports avec certaines personnes. J’avais mes réseaux, pour ainsi dire. Et puis, ma femme, militante, venait me rendre visite chaque semaine. Ainsi, même enfermé, je savais. J’ai vécu toute ma vie au nom de la liberté, de la démocratie et de la révolution. J’ai subi la prison, la clandestinité et le harcèlement judiciaire. Mais, même derrière les barreaux, j’étais intimement convaincu qu’un jour les Tunisiens feraient tomber la dictature de Ben Ali. Quand, le 14 janvier, mon peuple a gagné sa liberté, j’étais persuadé qu’enfin je retrouverai la mienne. Tous les matins qui ont suivi, je me suis levé, me suis bien habillé, et ai attendu que l’on vienne me chercher. Mercredi dernier, le directeur de la prison m’a appelé à 15 heures. J’étais libre à 15 h 30…

Quel est votre sentiment sur l’avenir 
de votre pays  ?

Fahem Boukadous. Cette victoire est définitive. Désormais, les Tunisiens sont promis à un avenir brillant. Dans les dernières années 
de la dictature, de plus en plus 
de journalistes ont défendu l’idée de la liberté d’expression. Aujourd’hui, nous respirons cette liberté, nous étions prêts. Mon peuple est courageux, engagé et cultivé, cette conviction ne m’a jamais quitté. Il ne s’agit pas seulement de l’avenir de la Tunisie, mais de celui de tous les peuples arabes et des peuples écrasés. Je dis à tous les journalistes qui vivent sous dictature de ne pas avoir peur, que l’avenir est toujours ouvert à la liberté et à la démocratie.

Que dire du silence de l’écrasante majorité des médias français depuis des années et du comportement 
des autorités françaises ces dernières semaines  ?

Fahem Boukadous. Nous pouvons effectivement parler de silence. Mais quelques journaux de France ont toujours soutenu le peuple tunisien. C’est le cas de l’Humanité au premier chef, mais également du Monde et de Libération. Les impérialismes français et américains n’ont aucun avantage dans les révolutions, en Tunisie et ailleurs, dans les pays arabes. Il faut bien comprendre où se situent leurs intérêts  : dans l’exploitation 
des richesses de ces pays. En ce sens, les paroles de la ministre des Affaires étrangères française étaient très claires. Nous espérons juste que, maintenant, le gouvernement français soutienne le peuple tunisien…

Quels sont vos projets  ?

Fahem Boukadous. Je suis sur un projet de livre dans lequel j’écrirai mes années de journalisme, et en particulier ces six premiers mois de l’année 2008, quand je couvrais les grèves de Gafsa. Je travaillais à l’époque pour les sites Internet alternatifs et les chaînes satellitaires. J’ai en ma possession des centaines d’heures de vidéo, des centaines 
de photos et des dizaines de textes. Ce travail m’a valu les poursuites 
du régime Ben Ali, m’a obligé 
à vivre clandestinement, 
m’a condamné à la prison. Tout sera dans ce livre, les textes et les photos. Le livre sera titré  : Un combat 
de presse.

Entretien réalisé par 
Marion d’Allard, L’Humanité


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