Pourquoi la Bolivie rejette-t-elle l’accord de Cancun sur le changement climatique ?

samedi 22 janvier 2011.
 

De simples promesses remplacent un système déjà peu contraignant

Par Pablo Solo chef de la délégation bolivienne à Cancun.

De nombreux commentateurs ont parlé de l’accord de Cancun comme d’un pas dans la bonne direction. À notre avis, au contraire, c’est un gigantesque pas en arrière. La valeur d’un accord sur le changement climatique se mesure à sa capacité à éviter un changement climatique catastrophique pour l’humanité. Or l’accord de Cancun fixe pour objectif de limiter la hausse de la température à 2°C, une hausse qui aurait des conséquences catastrophiques.

La Bolivie dépend de ses glaciers pour l’eau potable et l’agriculture et serait très durement touchée  : nos glaciers se sont réduits d’un tiers durant les vingt dernières années et, avec une hausse de 2°C, ils disparaîtraient complètement, tandis que notre capitale, La Paz, pourrait être transformée en désert.

Selon les propres rapports du Giec, limiter l’augmentation de la température à 2°C ne nous donne qu’une chance sur deux de préserver la vie sur la planète d’impacts irréversibles. Personne n’enverrait son enfant dans un avion qui n’a que 50% de chances d’atterrir, et pourtant c’est ce risque que nous demande d’accepter l’accord de Cancun.

Le continent africain serait particulièrement touché et subirait lui une hausse de 3°C. De nombreux États insulaires disparaîtraient. De 20% à 30% des espèces seraient en danger de disparition. Le nombre actuel de morts chaque année à cause de désastres naturels causés par le changement climatique est de 300 000 et pourrait monter à un million en 2020. On assisterait à un triplement de l’intensité des catastrophes naturelles, des problèmes de sécheresse, de désertification, d’inondations ou de famine que nous connaissons déjà actuellement avec une hausse de 0, 8 °C.

Le pire c’est que l’accord de Cancun ne garantit même pas la réalisation de l’objectif des 2°C. Il substitue à un système déjà peu contraignant (Kyoto), où l’effort collectif de réduction des émissions et la répartition de l’effort entre les pays sont négociés multilatéralement, un système encore moins contraignant de promesses volontaires, où chaque pays indique simplement ce qu’il va faire. Le résultat est que les promesses mises sur la table par les pays industrialisés (entre 13% et 17% de réduction par rapport à 1990) nous conduisent tout droit à une hausse de la température mondiale moyenne de 4°C ou plus. Un tel scénario serait catastrophique pour la vie sur la planète telle que nous la connaissons.

Des mécanismes de financement, de transfert de technologies et d’adaptation ont bien été établis, mais les ressources nécessaires à leur fonctionnement n’ont pas été assurées. Alors que la convention des Nations unies sur le changement climatique prévoit que les « pays développés fournissent des ressources financières nouvelles et additionnelles pour couvrir les coûts subis par les pays en développement », l’accord de Cancun parle de « mobiliser ensemble » 10milliards de dollars d’ici à 2020, à travers des marchés de carbone, des prêts, des investissements privés, et même conjointement avec les pays en développement. Les ressources nouvelles et additionnelles représenteront seulement une infime fraction des 10milliards de dollars, un montant pourtant déjà largement insuffisant. Les pays développés destinent pourtant chaque année à la guerre et à leurs budgets militaires 150milliards de dollars, soit un montant 15 fois supérieur à ce qu’ils offrent de « mobiliser » pour le changement climatique.

La question de la propriété intellectuelle n’est même pas abordée, alors qu’il est bien connu que 70% à 80% des brevets sur les technologies climatiques sont aux mains des entreprises privées des pays industrialisés et qu’ils constituent un obstacle au transfert massif de technologies requis.

L’accord de Cancun impulse également l’établissement de nouveaux mécanismes de marché qui permettent aux pays développés de s’affranchir de leur responsabilité historique en achetant des « certificats » de réduction d’émissions dans des pays du Sud plutôt que de réaliser chez eux les transformations qui s’imposent.

L’accord de Cancun promeut comme solution aux problèmes de déforestation l’établissement d’un nouveau type de marché basé sur l’évaluation monétaire et la marchandisation des fonctions de la nature, en l’occurrence de la capacité de capture du carbone des forêts. Ce mécanisme, appelé REDD, aura un impact insignifiant sur les émissions de gaz à effet de serre, puisque toute la déforestation évitée est convertie par le marché en droit de polluer, mais en plus il conduira à l’accaparement des forêts par les multinationales, au détriment des peuples indigènes qui y vivent et des États souverains dans lesquels elles se trouvent.

C’est pour toutes ces raisons que la Bolivie s’est opposée à l’adoption de l’accord de Cancun. Pourtant, l’accord de Cancun, élaboré sans mandat par un petit groupe de pays et présenté aux parties à la dernière minute, sans qu’il ne soit possible de négocier même une virgule du texte, fut déclaré adopté malgré la claire opposition de la Bolivie, en violation des principes élémentaires du multilatéralisme et de la règle du consensus qui veulent que, quand un pays manifeste clairement son désaccord, le document ne peut pas être adopté.

Pablo solo


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