L’oligarchie libérale et son pouvoir de domination dissimulation dans l’Etat démocratique moderne

dimanche 16 janvier 2011.
 

Entre mythe et théorie, Philippe Ségur analyse le double processus de domination et de dissimulation qui affecte le fonctionnement de l’État démocratique moderne. Le Pouvoir monstrueux, de Philippe Ségur. Éditions Buchet-Chastel, 
2010, 15 euros.

Les intellectuels de cour, qui se font les mercenaires du marché en échange de leur notabilisation, dénoncent sous des formes variées l’État (sauf lorsqu’il socialise les faillites privées) et ses agents (sauf la police et l’armée). Philippe Ségur, professeur de droit et écrivain, n’appartient pas à cette catégorie, bien qu’il fasse, avec érudition, le procès du pouvoir politique à toute époque. L’auteur démonte des fictions sur lesquelles repose la prétendue « démocratie représentative », enseignée pourtant avec enthousiasme dans les facultés de droit.

Les sociétés dites démocratiques et les sociétés totalitaires dépossèdent l’individu de son autonomie. La contrainte par la force, trop visible, affaiblit en réalité le pouvoir. Pour durer, il doit apparaître pour ce qu’il n’est pas, en occultant sa domination. Prenant pour exemple l’histoire de l’Antiquité, l’auteur fait la démonstration que la fraude est le véritable fondement du pouvoir. La fraude, de la volonté des dieux à l’élection, est omniprésente lorsqu’on prétend par des techniques juridiques représenter la volonté de la nation ou du peuple, notions confuses par nature, comme c’est le cas aujourd’hui.

Il s’agit, comme dans les régimes totalitaires, d’empêcher les antagonismes sociaux d’apparaître  : « La représentation est une opération de ligotage social » dans le cadre d’une mystique unitaire. Le pluralisme n’a de place que dans les tribunes et les isoloirs, c’est-à-dire en amont des décisions politiques dont la source authentique est oligarchique. Le peuple n’est qu’un tiers étranger au pouvoir, simple opérateur dans la sélection des décideurs. « Il pourrait être remplacé par des dés, des boules numérotées ou une roulette de table de jeux, sans que l’économie globale du système en soit affectée », écrit Philippe Ségur. Le rapport de domination demeure  : aujourd’hui, « le cœur du politique est le marché" et la formule « l’État libéral » n’est qu’un leurre. Le comble est que ceux qui passent pour des champions de la probité sont ceux-là mêmes qui se déclarent respectueux de « l’état de droit », parce qu’ils savent en être les principaux bénéficiaires.

Et de conclure par une condamnation bienvenue des « juristes positivistes » qui, exaltant la seule vertu des textes sans esprit critique, s’excluent eux-mêmes de la réalité pour dissimuler la véritable nature du pouvoir  : « Le droit est la plus efficace parure qu’ait jamais su trouver le pouvoir monstrueux » pour gommer sa monstruosité. Mais il est un drame que l’auteur n’aborde pas  : à défaut d’État, et surtout d’État social et en attendant son dépérissement souhaité par Marx, la situation de l’individu est la pire qui soit. Néanmoins, cette brillante leçon de lucidité est particulièrement utile dans une période où le pouvoir politique français est fortement manipulateur.

par Robert Charvin, professeur émérite, 
agrégé des facultés de droit.


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