Universités à l’heure du libéralisme (dossier)

vendredi 14 janvier 2011.
 

1) Le Medef s’invite dans les facs

Une convention signée il y a peu avec les présidents d’université lui permet de peser sur la recherche.

Un pacte de dupes. Lionel Collet, président de la Conférence des présidents d’université (CPU), et Laurence Parisot, présidente du Medef, ont signé le 23 novembre dernier la première convention destinée à donner un cadre aux partenariats entre les universités et les Medef régionaux et territoriaux, et les fédérations professionnelles intéressées. Une démarche inscrite dans la loi LRU de 2007, qui laisse les universités trouver les moyens financiers que l’État ne leur donne plus. La convention parle de « favoriser l’emploi des jeunes, la recherche et l’innovation », sans piper mot de la culture en soi ou de l’esprit critique.

Le Medef est donc à présent un acteur de taille dans les facs. Pour améliorer « la connaissance mutuelle », le syndicat patronal pourra siéger dans différents conseils d’universités, d’orientation stratégique et autres conseils d’administration des fondations. Désormais, les représentants des entreprises pourront participer aux « décisions stratégiques des établissements d’enseignement supérieur et de recherche », stipule la convention. La réciproque n’est bien sûr pas prévue, et la CPU ne participera pas aux conseils d’administration des entreprises.

« En échange », la fac fournira des bataillons de travailleurs précaires et souspayés, voire pas payés du tout, via « le développement de stages à tous les niveaux et dans toutes les filières de formation ». Là encore, le but est, nous dit-on, de « favoriser l’insertion professionnelle ». Au niveau de la recherche, l’université se fait allégrement faire les poches par le privé. Des « contrats associant laboratoires universitaires et industriels » seront créés, ce qui mènera à des diplômes liés aux entreprises et à la « mise en place de portails favorisant l’accès des entreprises à l’expertise de la recherche publique ».

MEHDI FIKRI

Source : http://humanite.fr/06_01_2011-le-me...

2) Universités : les premiers dégâts de l’autonomie

Présentée par le gouvernement comme un remède miracle, l’autonomie est lourde de dangers  : cadrage des activités, concurrence faussée entre facultés, gestion entrepreneuriale, influence grandissante des entreprises…

« Ce qui se passe dans les universités est absolument extraordinaire », s’enflamme régulièrement Nicolas Sarkozy. Trois ans et demi après son adoption, la loi libertés et responsabilités des universités (LRU) est devenue l’un de ses thèmes favoris. Et alors que 22 facs sont passées à « l’autonomie » le 1er janvier, portant le total à 73, le chef de l’État entend bien faire passer cette réforme pour l’une des grandes réussites de son quinquennat. Seulement voilà, la communauté universitaire, largement mobilisée contre la loi LRU en 2009, est loin de partager son enthousiasme. Et constate, jour après jour, les premiers effets délétères de ce détricotage sans précédent de l’université et de la recherche publique.

Selon les termes de la loi LRU, les 73 établissements « autonomes » gèrent désormais eux-mêmes leur budget et leurs ressources humaines. Une autonomie toute relative   : la majeure partie des financements reste attribuée par l’État, via une dotation globale accordée au cas par cas, selon des critères de « performance », aussi bêtement quantitatifs que le nombre de chercheurs publiant. « Loin de se préoccuper des besoins de chaque établissement, le gouvernement impose le cadrage de toutes nos activités, dénonce Stéphane Tassel, secrétaire général du Snesup-FSU. En fait d’autonomie, on n’a jamais été aussi dépendant financièrement  ! »

Dotation de l’État sous-estimée

À ce petit jeu, certaines universités, plutôt riches, plutôt tournées vers les sciences «  dures  » et plutôt proches du monde économique, semblent bénéficier de ces allocations de moyens indexées sur « l’excellence » et la rentabilité scientifique. Tandis que d’autres, plus petites, commencent à craindre pour leur avenir. Dans plusieurs établissements, la dotation de l’État, censée couvrir la masse salariale, s’est révélée largement sous-estimée. Mi-décembre, l’université de La Rochelle a été contrainte de repousser le vote de son budget 2011, accusant un manque à gagner de 575 000 euros. Même problème à Limoges, à Toulouse-III, ou à Nice.

Le ministère de l’Enseignement supérieur relativise, invoquant « des cas particuliers ». N’empêche. Ces difficultés budgétaires donnent du crédit à tous ceux qui reprochent à la loi LRU d’instaurer une université à deux, voire à trois vitesses. Même la très conciliante Conférence des présidents d’université s’inquiète du financement insuffisant de l’État.

Dans ce contexte, Pascal Binczak, président de Paris-VIII et hostile à la LRU, redoute le sort réservé aux universités spécialisées en sciences humaines et sociales. « À la différence des sciences dures, elles n’ont pas beaucoup de contrats de recherche et peuvent difficilement combler les trous budgétaires avec des ressources extérieures et la création de fondations que permet la LRU. Elles dépendent à 95% de cette dotation dont l’avenir est loin d’être assuré… » Même incertitude pour les 115 instituts universitaires de technologie (IUT) qui s’estiment « lésés financièrement » et rêvent désormais de prendre leur indépendance vis-à-vis de l’université.

Sur le fond, de nombreux enseignants et chercheurs vivent très mal l’irruption de cette logique entrepreneuriale et utilitariste au sein d’universités sommées d’entrer en concurrence. « Cette démarche est dangereuse et absurde, souligne Pascal Binczak. La recherche a parfois besoin de temps et de tâtonnements. »

Qu’importe. Dans la droite ligne de la stratégie européenne de Lisbonne, qui vise à placer la recherche au service du dynamisme économique, la réforme décline dans les établissements des modes de gestion propres aux sociétés du CAC 40. Le conseil d’administration, resserré à une trentaine de membres et comprenant « au moins » un dirigeant d’entreprise, est devenu l’instance de pilotage de l’université, avec un président grimé en PDG centralisant l’essentiel des pouvoirs. C’est lui notamment qui embauche, promeut et distribue les primes aux chercheurs « les plus méritants »… Pour Stéphane Tassel, « la mise en concurrence et l’individualisation de la reconnaissance mettent à mal la démocratie universitaire  ».

Partenariat avec le Medef

Les accointances avec le milieu économique sont désormais ouvertement encouragées. Le Medef vient de signer un partenariat avec les présidents d’université (ci-contre). À Tours, les étudiants de licence sont invités à suivre une unité d’enseignement baptisée « approche de l’entreprise humaine et responsable », en partenariat avec le Centre des jeunes dirigeants d’entreprise. Partout, le vocabulaire managérial fleurit.

Une « révolution culturelle » –dixit Valérie Pécresse– que connaît bien Martha C. Nussbaum. « Avides de réussite économique, les pays et leurs systèmes éducatifs renoncent imprudemment à des compétences pourtant indispensables à la survie des démocraties, écrivait en juin dernier la philosophe américaine. Si cette tendance persiste, des pays du monde entier produiront bientôt des générations de machines utiles, dociles et techniquement qualifiées, plutôt que des citoyens accomplis, capables de réfléchir par eux-mêmes. » Drôle « d’autonomie », en effet…

Laurent Mouloud

3) Toulouse-I, labo de la privatisation

4) STÉPHANE TASSEL « Pénurie et détournements de fonds »

SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU SNESUP-FSU.

La loi LRU (libertés et responsabilités des universités), comme le passage aux « responsabilités et compétences élargies », révèle à quel point le gouvernement se défausse de ses responsabilités et pousse la communauté universitaire à gérer la pénurie. Les « marges de manoeuvre » budgétaires autorisées par la loi LRU rendent possible le détournement des ressources du service public à commencer par l’emploi. Ces budgets sont devenus incompréhensibles pour qui souhaite réellement en maîtriser les destinations. Leur globalisation contribue à dissimuler tant la hausse des emplois précaires faiblement rémunérés, que celle de collaborateurs zélés aux rétributions outrancièrement élevées.

Est-il normal de pouvoir utiliser des sommes prévues pour rémunérer des agents à rénover des locaux ou fi nancer un surplus de primes individuelles ? Tout est fait pour escamoter l’effectif réel des agents d’un établissement ou leurs rémunérations. Ou encore pour rendre impossible l’établissement d’une cartographie nationale de l’emploi du supérieur. Un établissement peut décider de transformer des emplois de fonctionnaires en emplois de contractuels exonérés de toute limitation sur le niveau de rémunération. On assiste à l’ouverture d’un véritable marché « libre » de l’emploi du supérieur. Obtenir du ministère un suivi national de l’emploi, un engagement fi nancier pour garantir le niveau des rémunérations indiciaires, ainsi que l’amélioration des déroulements de carrière, est un préalable à un plan pluriannuel d’emplois publics et de revalorisation de tous. La seule adaptation à la marge de la loi LRU ne permettra pas de contrer les dérives concurrentielles mortifères pour les formations et la recherche publique et, audelà, pour la société.

STÉPHANE TASSEL


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