Nouvel Obs et DSK : Jean Daniel, quel increvable guérillero de l’esprit ! (décembre 2010)

lundi 19 décembre 2011.
 

Image bouffie de la vanité à l’état pur, ce jour là Jean Daniel descendait les marches de l’hôtel Marigny, rouge de plaisir, tenu à la main par Abdel Aziz Bouteflika, président de la république algérienne. Sacré Boutéf ! Des flashes striaient l’air et Jean Daniel était à deux doigts d’éclater. J’étais ministre de Lionel Jospin et ma très officielle mission était de raccompagner à Orly, selon les usages, l’hôte de la France. L’image de cet instant me reste à l’esprit comme un de ces moments où j’ai pu voir de près comment le pouvoir, comme une dinde au four, fait ruisseler des jus gras sur les légumes qui l’entourent et s’en gorgent. J’en retrouve le gout de bouffissure pure en lisant le lamentable éditorial du numéro du Nouvel Observateur soi disant consacré à nous donner « les réponses à toutes vos questions » à propos de Dominique Strauss-Kahn.

L’immense Jean Daniel, cette carpette de tous les conformismes de la gauche en pantoufles, y est pris du vertige de l’action : « je suis loin d’être contre le fait de crier son indignation. Je crois même que c’est indispensable à certains moments ». Prout ! Prout ! Puis après une sieste réparatrice et ronflante de trois ou quatre lignes auto satisfaites et pédantes, le refrain des bien pensants est là : « il n’y a pas de démocratie parlementaire sans tentation démagogique, pas d’ambition participative sans tentation populiste, pas de populisme sans la pratique renouvelée du cri ». Baveux à souhait et semi incompréhensible, ce pic de l’esprit culmine bientôt à une nouvelle altitude à peine soutenable pour les médiocres « le monde est devenu mille fois plus complexe et que les énigmes de ses barbaries comme les ivresses de ses progrès sont devenues souvent indéchiffrables » Waooo ! Et voici l’estocade finale : « or on ne voit nulle part dans les ébauches de programme qui nous sont proposés que leur auteurs aient pris conscience de ce constat ».

Heureusement Jean Daniel veille et nos illusions peuvent se dissiper. De toute façon Jean Daniel sait tout. Il a lu tous les programmes. Et de toute façon il avait déjà tout juste avant tout le monde. Il est vrai qu’il pérorait déjà quand Podgorny, Gromyko et Brejnev faisait leur bal des débutants.

Bien sûr, un nombre impressionnant de mal informés avaient cru lire les radotages d’un petit bourgeois fasciné par le fric, un de ces illustres aigles de la deuxième gauche devenus la « troisième droite » que redoute Jacques Julliard en quittant le Nouvel Observateur après son coming out de gauche. Erreur ! Jean Daniel est le premier des altermondialistes, le premier anticapitaliste de l’ère moderne. Avec maturité et dignité, bien sûr. Pas comme un chien de populiste. « Nous ne croyons pas qu’il suffise de dénoncer les gens « friqués » pour nous identifier aux humiliés et aux offensés » Ouf ! « Mais cela ne nous empêche pas de nous insurger contre les responsables et contre les méthodes de la crise suscitée par une forme de l’économie de marché connue sous le nom de « financiarisation du capitalisme » !

Ah ! Tant d’audace nous arrache un sanglot d’angoisse. Jean Daniel, quel increvable guérillero de l’esprit ! Et voici la botte finale où la vielle toupie arrogante et prétentieuse se laisse voir sous le masque de circonstance : « Nous avons ici répété clairement que cette crise transformait les fondamentaux de la pensée socialiste et nous l’avons fait avant même que les voix de toutes les gauches de la gauche ne s’enivrent de leurs propres cris ». Avant même… bien sûr ! Lui s’enivre de sa propre célébration sans fin. L’édito s’achève sur un numéro de cirage de ses propres pompes qui laisse gavé mais surtout pantois : « c’est avec de telles convictions que nous avons contribué a créer un climat idéologique qui a conduit les forces de gauche appelées à la gestion du pays à ne pas abandonner la nation aux nationalistes à comprendre le besoin de sécurité du peuple et à tout faire pour empêcher que le communautarisme ne compromette le respect de la diversité ».

N’empêche, la une du « Nouvel observateur » est un classique du parler mondain. On croit qu’on achète un journal qui va nous apprendre quelque chose sur Strauss-Kahn, ses idées, son histoire, son activité actuelle. Mais pour 3,50 euros, soit 22 francs on a droit à cinq pages d’enfilages de perles et lieux communs rédigées entre deux passages à la machine à café. Lisons les titres qui nous guident d’un chapitre à l’autre de ce « tout sur DSK » et les chutes de paragraphes après cette si excitante entrée en matière : « Quels sont ses envies, ses handicaps, ses amis, ses promesses… ? »

« 1. A-t-il envie de revenir ? » chute du chapitre : « DSK » l’homme qui ne sait pas dire non »

« 2. Est-il encore de gauche ? Chute : « Ceux qui à l’extrême gauche ou parfois même à gauche le soupçonnent d’être un renégat poursuivent l’éternel combat de déligitimation de la gauche réformiste »

« 3. Est-il l’affameur de la planète ? « A Washington, les économistes du FMI sont formels : le fonds a changé »

« 4. Connait-il encore la France ? « Pour l’instant, quand il retraverse l’Atlantique l’ancien élu de Sarcelle se partage entre son appartement place des Vosges et son Riad de Marrakech plutôt qu’entre les foires aux bestiaux et les sorties d’usines »

« 5. Qu’a-t-il négocié avec Aubry ? « En attendant le troisième acte du pacte. A lui l’Elysée, à elle Matignon ? » Sans oublier un tartufesque « Israël, internet et lui ».

« 6. A-t-il des casseroles ? « les casseroles attribuées à DSK sont en fait des faiblesses liées à son mode de vie et à son train de vie. DSK est un homme riche et qui ne le cache pas. »

« 7. Est-il dans la main de Sarkozy ? « Quand il s’agira de revenir dans le marigot politique français, l’histoire sera bien différente ».

Un jour ou l’autre on pourra lire quelque chose à propos de ses idées, de celle du bloc qui l’accueille comme champion au PS, de ses alliances et de son parcours depuis l’extrême gauche révolutionnaire. Mais je mentirais si je peignais seulement sous cet angle ce numéro de l’Observateur, qui me fait l’honneur d’utiliser cinq fois mon nom pour qualifier des dérives en tous genres. En feuilletant, on peut aussi se réfugier facilement sous la bannière de la chronique de Jean-Claude Guillebaud intitulée comme un résumé de la critique du reste du journal : « il faut se méfier de la démagogie, mais l’anti populisme ne peut pas tenir lieu de pensée aux nantis » Le titre tient sa promesse dans l’article : « A la réflexion ce tocsin, (la peur du populisme ndlr), rituellement sonné est bien moins vertueux qu’il n’y parait. Il procède d’une stratégie élitiste incroyablement datée. Taisez-vous les peuples ! » Et Jean-Claude Guillebaud de remarquer « Tout se passe comme si cette vieille défiance de classe faisait subrepticement retour » Puis, reprenant le philosophe Peter Sloterdijk il note que celui-ci dans le journal « der Spiegel » « s’y moque de l’anti populisme frelaté qui tient parfois lieu de pensée aux nantis ». Jean Daniel ferait bien de lire son propre journal.


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