Budget national, déficit et sanctions européennes : « garantir la souveraineté du peuple en matière budgétaire »

dimanche 10 mai 2015.
 

Mardi 7 décembre 2010 passait au vote en séance, à l’assemblée nationale la proposition de loi du Parti de gauche et du PCF, présentée par Martine Billard pour « garantir la souveraineté du peuple en matière budgétaire ».

J’ai évoqué le sujet dans ma précédente note. Tout part d’une décision du Conseil européen le 28 octobre dernier. Le Conseil a adopté la mise en place de ce qu’il a appelé « le semestre européen de coordination des politiques économiques ». Pour la Commission européenne et le Conseil européen « une surveillance budgétaire et économique en amont, qui fait défaut pour le moment, permettrait de formuler de véritables orientations qui tiennent compte de la dimension européenne et qui se traduiraient par des décisions politiques nationales. » J’ai montré comment ce « semestre européen » a pour objet d’exercer une influence directe sur les choix budgétaires nationaux et ce avant même les décisions des parlements souverains.

Notre proposition de loi était dès lors très simple. Au point de paraitre relever de la tautologie politique. Nous proposons d’écrire, dans la Constitution, à l’article 88-2 « En matière budgétaire cependant, le Parlement reste souverain. Les institutions européennes ne pourront se prononcer qu’après la délibération des assemblées parlementaires ». Ce n’est pas la révolution socialiste, n’est-ce pas. Juste un rappel de la raison d’être du parlement. Qu’ont dit les opposants de droite et du PS à cette proposition ? Que le renforcement du contrôle du budget de chaque pays est une vraie avancée. Qu’il ne s’agit que de conseils, que de meilleure coordination. Qu’il n’y a pas de droit de veto de la Commission, pas de contraintes. Que l’inquiétude est légitime mais qu’il n’y a pas de risques. Bref circulez, il n’y a rien à voir. L’orateur socialiste lors du débat de présentation de la proposition de loi, Jacques Valax était spécialement mal à l’aise. C’était un homme venu du « non » au référendum de 2005. Il lisait laborieusement un papier à la tribune au nom du groupe socialiste et prétendait s’interdire « toute digression face aux provocations ». Son papier ne valait pas grand-chose sur la forme et en partie sur le fond, en dehors même de nos divergences. En effet d’une part il répondait à un état antérieur de la rédaction de notre texte et le malheureux ne s’en était pas aperçu. Bonjour le sérieux. D’autre part il n’avait pas suivi le détail des décisions réellement prises par le Conseil européen depuis le dépôt de notre proposition de loi et il contestait des points pourtant tranchés par cette réunion. De nouveau : bonjour le sérieux. De tout son pesant récit restait surtout un satisfecit donné au gouvernement pour s’être engagé à faire une déclaration en avril devant l’assemblée pour expliquer ce qu’il aura transmis à la commission européenne à propos du budget du pays. Puis le socialiste a adressé un deuxième satisfecit au gouvernement parce que celui-ci a prévu une deuxième séance où l’assemblée donnera son avis… sur l’avis qu’aura donné la commission ! La bonne conscience socialiste s’achète à petit prix. Au demeurant, quiconque lit son discours s’aperçoit qu’il parle comme si le parlement aurait à discuter… du budget de l’Europe. Alors qu’il s’agit du contrôle de l’Europe sur le budget national. Encore une fois : bonjour le sérieux !

Ceux qui suivent attentivement ce débat doivent se souvenir de la dispute qui avait éclaté et dont la presse avait fait grand cas. Les durs de durs libéraux voulaient qu’il y ait sanction automatique dès qu’un pays sortirait des clous fixés par les idéologues illuminés de la Banque Centrale Européenne et du gouvernement allemand. Les commentateurs avaient pointé du doigt l’accord Sarkozy–Merkel pour que ces sanctions ne soient pas automatiques ! Quels laxistes ! En fait le temps de vérifier les détails et d’avoir les textes en français, l’actualité était ailleurs. Pourtant la réalité n’est pas joyeuse. Certes, les sanctions automatiques ont été écartées. Mais les sanctions existent et personne n’en a discuté le contenu spécialement dur comme le retrait du droit de vote du pays sanctionné, par exemple. Ni l’absurdité puisqu’un pays sanctionné pour déficit excessif se voit infliger une amende qui aggrave son déficit ! Ni l’arrogance : certains pays peuvent être sanctionnés même si leur déficit n’excède pas les sacro-saints 3% ! Ils le seront seulement parce que la commission aura estimé que leur orientation budgétaire peut conduire dans l’avenir à un déficit excessif. C’est à peine croyable, n’est-ce pas ?

Comment seront décidées ces sanctions « pas automatiques » ? Lisez attentivement. Un : la commission décide la sanction. Deux : la sanction s’applique… « sauf si ». Trois : « sauf si… » une majorité qualifiée ne s’y oppose pas. C’est clair ? C’est une manière hypocrite de mettre en place une automaticité de facto. Ce système de « majorité inversée » restera comme la trouvaille la plus grossière inventée par les eurocrates contre le droit des nations et des peuples.

A partir de là, quand un tel arsenal menace, nous ne pouvons avoir la naïveté de croire que les jugements de la Commission et du Conseil, une fois rendus publics, ne constitueront pas une pression imparable sur les États au moment où se discuteront les budgets. En effet, ce ne sont plus des orientations globales pour la zone euro ou plus largement pour l’Union européenne que formulera la Commission comme le prétendait l’orateur socialiste mais bien des injonctions pays par pays dont il sera question. Les critères d’analyse qui seront utilisés sont éminemment idéologiques. Ce sont ceux des agences de notation et des marchés financiers : coût du travail, baisse du nombre de fonctionnaires et de leurs salaires, réforme systémique des régimes de retraites, coût des actifs financiers ou encore taux d’imposition. Bref tout le catéchisme libéral dans sa splendeur.

On nous dit : "le semestre européen constituera un premier pas vers un gouvernement économique de l’Union dans le but de ne pas créer de distorsion de concurrence". Ce qui est significatif, dans ce discours, c’est l’oubli de la justice sociale et de la prise en compte des enjeux écologiques. La preuve ? C’est que les premiers intéressés ont vendus la mèche. Ainsi quand le Premier Ministre Irlandais déclare : « je suis très heureux que le président français Sarkozy ait indiqué qu’il n’était pas question de faire du taux d’imposition des sociétés irlandaises un élément de ces discussions ou négociations ». Tout est dit.

Le Parti socialiste tente de nous vendre la simple consultation des Parlements nationaux comme une « grande avancée ». Le comble aurait été qu’ils ne soient pas consultés ! La réalité, c’est qu’avec le dispositif proposé par le gouvernement, le Parlement ne fera que donner son avis sur un avis. Il ne sera donc en rien souverain dans les décisions qui seront prises. C’est le principe même du consentement à l’impôt qui est fragilisé. Le renforcement du pouvoir d’institutions non élues, sur notre budget, au détriment des Parlements nationaux et du Parlement européen nous ramène à la situation d’ancien régime. Martine Billard en a fait la démonstration à la tribune. « En effet, dès le premier janvier 2011, l’agenda prévu est très clair. Le premier semestre de chaque année, la Commission et le Conseil européen jugeront les orientations budgétaires de chaque pays européen. La finalisation de l’élaboration des budgets nationaux interviendrait au cours du second semestre, et serait donc forcée de prendre en compte les injonctions émises par les institutions européennes. »

Ceux qui me lisent savent que cette décision intervient dans un contexte, de plus en plus pesant, de remise en cause de la souveraineté populaire. Je vous renvoie à la note intitulée « l’arnaque socialiste ». Le directeur du FMI, candidat socialiste pressenti à l’élection présidentielle va très loin en proposant « de créer une autorité budgétaire centralisée, dotée d’une indépendance comparable à celle de la BCE. [Elle] établirait le cadre budgétaire de chaque État et allouerait les ressources depuis un budget central pour atteindre la double cible de la stabilité et de la croissance ». Autant dissoudre tout de suite les Parlements nationaux ! Mais pour l’immédiat, la mise ne place de ce nouveau dispositif n’est pas des plus simples. Car les transferts de souveraineté ou la mise en place de critères de surveillance contraignant ne peuvent être adoptés sans être autorisés par une procédure constitutionnelle. Pour cette transformation de la gouvernance économique, comme le Conseil européen a peur du verdict populaire, la modification nécessaire du Traité de Lisbonne a été qualifiée de « limitée » afin de ne pas avoir recours à la ratification par référendum. On devine la peur que le mot référendum soulève depuis 2005. La présentation de notre proposition de loi était donc une occasion politique majeure de faire entendre la voix de la souveraineté outragée.

Voici le résultat du vote. Pour la proposition de loi présentée par Martine Billard au nom du groupe PG-PCF : 23 voix. Contre : 410. Quelle sont ces 23 voix ? Celle des députés communistes et du Parti de gauche. Plus une. Celle d’Henri Emmanuelli. Heureusement qu’il est là ! Mais en même temps sa solitude dans ce vote donne la mesure de l’ampleur du désastre idéologique de ce parti. Henri est seul. Même les autres membres de son courant ne votent pas avec lui sur un sujet aussi sensible et identitaire pour leur courant que la question européenne. Le MPF, parait-il, voulait voter pour. Mais il n’y avait personne en séance. Absent aussi : Dupont-Aignan. Ainsi, aucun de ceux qui, à droite, jouent du violon sur l’indépendance nationale n’a pu participer à sa défense concrète ! Quant aux votes de gauche c’est évidemment lamentable.

Seul Emmanuelli sauve l’honneur. Les députés de la bande à Benoit Hamon présents dans l’hémicycle se sont abstenus où ont voté contre. Deux PS seulement se sont ainsi abstenus : François Deluga et Olivier Dussopt. Au PRG ? Abstention d’Annick Girardin, Joël Giraud, Jeanny Marc et Dominique Orliac. Et chez les Verts ? Abstention des quatre députés : Yves Cochet, Noël Mamère, Anny Poursinoff et François de Rugy. Telle est la situation, tel est le fond de scène caché des débats qui devraient agiter la gauche et que le cirque des primaires occulte absolument avec sa cohorte de candidats tous du pareil au même sur ces questions décisives comme sur tant d’autres !


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