Rousseau, l’État et la religion civile

dimanche 28 novembre 2010.
 

La relation entre religion et politique « est l’une des questions les plus controversées de la pensée de Jean-Jacques Rousseau », écrit Ghislain Waterlot dans son introduction à cet ouvrage. Rousseau oppose la « religion des prêtres » et celle « des hommes » qu’expose le « Vicaire savoyard »  ; et par ailleurs il propose une « religion civile » problématique, entre théisme et patriotisme. Sur les six études qui composent ce livre, quatre concernent la « religion civile » que l’auteur de Du contrat social entend fonder selon les principes du droit. Florent Guénard montre la contradiction entre l’autonomie de la politique et la contrainte de la religion civile  ; mais il pose que cette dernière porte plutôt sur les mœurs, rejoignant les analyses d’Éliane Martin-Haag (dans Rousseau ou la conscience sociale des Lumières).

La religion civile serait davantage une idée régulatrice qu’une institution (« à la fois nécessaire et impossible »). Blaise Bachofen est plus radical et parle de « théologie politique négative », un bouclier anti-théologique, un préservatif contre « la religion des prêtres » aux « effets délétères ». Cette religion civile institue la tolérance religieuse (Locke) par les moyens de la coercition (Hobbes), et vise à « déthéologiser l’ordre politique ». C’est tout le contraire que soutient Ghislain Waterlot  ; pour lui la religion est le ciment qui fait durer un peuple, elle est « nécessaire et indispensable ». Pour montrer que « jamais un peuple ne subsistera sans religion », il évoque la critique rousseauiste de l’athéisme : un athée n’est pas un citoyen crédible. Confronté à la figure de Monsieur de Wolmar (dans la Nouvelle Héloïse), athée, vertueux, il le qualifie de figure « idiosyncrasique ».

L’argument qui fait de la religion une passion, une « force agissante » au sein de l’État, est plus convaincant. Dans la même lignée, Vera Waksman montre comment le christianisme pourrait être la religion civile, et qu’il « contribue à la constitution de la volonté générale » et au maintien de l’État. Antoine Hatzenberger étudie la figure de l’apostat, renégat  ; relaps, converti, unifiant, Jean-Jacques lui-même, le vicaire savoyard, Émile (dans la suite les Solitaires), les Maures rencontrés au couvent de Turin… Il montre comment le vicaire sort tout droit de la tradition des récits utopiques en terre d’islam. Il affirme que l’apostasie est une posture philosophique qui permet la critique des croyances. Enfin, Julie Saada aborde la religion par la voie d’une réflexion sur la guerre et montre que Rousseau a pensé le droit de la guerre (guerre légitime, limitation de la violence) en évacuant les thèmes théologiques (guerre juste, charité chrétienne). Rousseau réforme ces théories par une requalification formelle qui attribue la guerre à un acte de l’État, soit pour se conserver (guerre défensive légitime), soit pour affaiblir l’État opposé (guerre limitée à ce seul but excluant les massacres des civils et prisonniers). Ainsi la théologie est chassée du champ de bataille. Un livre qui n’est pas une somme, mais un éventail stimulant.

Yves Vargas, philosophe.

La Théologie politique de Rousseau,

sous la direction de Ghislain Waterlot.

Presses universitaires de Rennes, 2010, 170 pages, 15 euros


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