Félix Pyat, député du Cher contre la Présidence de la République ! (1848)

samedi 27 novembre 2010.
 

Elu député du Cher à la Constituante de 1848, il y avait plaidé vigoureusement contre l’institution d’une Présidence de la république en France. Réfugié en Angleterre pendant le Second Empire, il en reviendra pour participer à la Commune de Paris, comme délégué du 10e arrondissement, avant de se réfugier à nouveau à Londres, après la victoire sanglante de la contre-révolution. A la veille d’une nouvelle joute présidentielle dans l’hexagone, plus personnalisée que jamais, cet ancêtre, âgé aujourd’hui de 196 ans, rappelle ici les positions qu’il a toujours défendues.

Pour quelles raisons t’es-tu battu contre l’institution de la Présidence de la république en 1848 ?

Dans la République, il n’y a plus qu’un droit, le droit du peuple, qu’un roi, le peuple même, représenté par une assemblée élue, l’assemblée nationale. Cette assemblée doit donc être souveraine comme le peuple qu’elle représente ; elle résume tous les pouvoirs, elle règne et gouverne par la grâce du peuple, elle est absolue comme l’ancienne monarchie, et peut dire aussi : l’Etat c’est moi. La monarchie absolue n’avait qu’un souverain, le roi ; la monarchie constitutionnelle en avait deux, le roi et le peuple ; la République n’en a qu’un seul et véritable, le peuple. Dans sa première constitution de 1790, nous avons vu la royauté d’un seul s’élargir en souveraineté de tous, représentés par les comités impersonnels de la Convention, puis ses comité se réduire à cinq directeurs ; puis ces cinq à trois consuls ; puis ces trois à un seul empereur, roi, président.

La République dont le président est affublé du titre de Chef de l’Etat n’est pas la République, c’est la royauté !

Quels dangers vois-tu dans la fonction présidentielle ?

Un président nommé par la majorité absolue des suffrages du peuple aura une force immense et presque irréversible. Une telle élection est un sacre bien autrement divin que l’huile de Reims et le sang de saint Louis. L’homme ainsi investi de cette magistrature, s’il est ambitieux, et il ne faut pas tenter Dieu encore moins l’homme, le président enfin, pourra dire à l’Assemblée : « Je suis plus que chacun de vous, autant et plus que vous tous. Chacun de vous n’a été élu que par un département, je suis à moi seul le peuple entier ; tous ensemble, vous avez moins de votes que moi ; j’ai six millions de suffrages, je vaux à moi seul plus que toute l’Assemblée ; je représente mieux le peuple, je suis plus souverain que vous ». S’il est plus fort que l’assemblée, ce sera le roi, un roi élu, un pouvoir rival, jaloux, qui répondra à vos interpellations par les faits accomplis, qui pourra enfin, s’il le veut, gouverner sans vous, contre vous.

Dans quelle mesure l’institution d’un président de la République a-t-il nécessairement des effets corrupteurs sur l’ensemble de la vie politique ?

Il s’agit je l’ai dit d’un roi, avec tous ses inconvénients, mais sans sa fixité, pour sûr, puisqu’il est transitoire, stimulant donc les ambitions, invitant les prétentions. Tout député veut être ministre et tout ministre président, le plus fort des rois, puisqu’il est élu. Il exerce le triple pouvoir royal – législatif, judiciaire, exécutif – avec ce comble d’anomalie que, nominalement exécutif, il domine réellement les deux autres, proposant et promulguant la loi, dissolvant les chambres, nommant et révoquant les juges, accordant ou refusant sa grâce, disposant de tous les emplois et de toutes les forces de la République contre la République. Le souvenir de la période royale subsiste d’ailleurs dans les mœurs présidentielles, qui n’ont aboli ni l’étiquette ni l’ordonnancement des dîners et des bals officiels. Tout président, quel qu’il soit, mauvais ou bon, fût-il Washington, sera victime de l’institution même, et nous aussi. De surcroît, ce système fait des petits : président du Sénat, président du conseil d’Etat, président du tribunal, président du conseil municipal…

La Présidence ne renforce-t-elle pas aussi l’autonomie de l’institution militaire par rapport à la représentation populaire ?

Oui, en Europe, les palais royaux étaient gardés par des soldats en uniforme généralement archaïques : les grenadiers d’Angleterre, du Danemark, des Pays-Bas, les cuirassiers blancs de Prusse, les cosaques ou les chevaliers-gardes du Tsar… Et la République a repris l’usage monarchique et impérial de la garde au palais : une garde républicaine assure la sécurité, mais surtout la parade, dans ses uniformes, ses cliques, sa musique et ses fanfares. Cette présence militaire rappelle que le président est le chef des armées, entouré d’un cabinet militaire qui assure la liaison avec le ministère, et à travers lui, avec les états-majors, même s’il ne peut seul déclarer la guerre ou signer les traités… Le 14 Juillet, jour anniversaire de la Révolution, le jour même de la première révolte et de la grande victoire du peuple contre l’armée, le président civil parle comme le roi, change la fête civile en fête militaire, substitue l’armée au peuple. Ainsi, un magistrat républicain, au lieu de dire que les citoyens doivent faire des soldats, affirme au contraire que les soldats font des citoyens. Le métier des armes, si propre à faire des hommes ! A les défaire, oui : à déformer les hommes en brutes, les citoyens en bourreaux et en victimes.

Comment conçois-tu alors le pouvoir exécutif ?

Je veux une assemblée nommant son pouvoir exécutif, un simple président du conseil qui n’ait pas ces attributions, ces prérogatives, cette force indépendante, cette initiative, ces traitements, ces états-majors, cour et couronne, toutes les conséquences de la royauté ; car je veux la République ; je la veux simple, vraie, libre et à bon marché. Ou monarchie ou Commune ! Si nous voulons la Commune, plus de présidence !

BATOU Jean, PYAT Félix

* Paru dans le périuodique suisse « solidaritéS » n°101 (24/01/2007), p.8.

* Les réponses de Félix Pyat ont été reconstituées par notre rédaction[« solidaritéS »] à partir de déclarations authentiques de ce démocrate intransigeant, tirées du recueil : Contre la présidence, pour le droit au régicide, les amis de paris-zanzibar, 2002. Seuls quelques petits aménagements formels ont été effectués.


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