Conseil de lecture : le christianisme, une machine de coercition ?

jeudi 18 novembre 2010.
 

La Religion des seigneurs. Histoire de l’essor du christianisme entre le Ier et le VIe siècle, d’Éric Stemmelen. Éditions Michalon, 320 pages, 22 euros.

Comme les trois mousquetaires, ils sont quatre. Quatre athées et agnostiques scrutant les textes chrétiens des origines. Mordillat et Prieur, les plus provocateurs, ceux dont les séries pour Arte (Corpus Christi, l’Origine du christianisme, l’Apocalypse) et les essais (Jésus contre Jésus, Jésus après Jésus, Jésus sans Jésus) (1) ont fait se dresser contre eux la clique catholico-traditionaliste qui prospère à la Sorbonne et dans certains journaux. Pierre-Antoine Bernheim, le plus méthodique, dont le Jacques, frère de Jésus (2) est devenu une référence mondiale malgré les remarques désobligeantes (« juif Bernheim »). Et maintenant, Éric Stemmelen, le lecteur infatigable, dont la Religion des seigneurs (3) attaque l’histoire du christianisme par le versant économique et social, remettant en question l’apologétique qui voudrait que ce mouvement religieux ait été le produit d’une immense ferveur populaire, un soulèvement de foi et d’espérance…

Le livre d’Éric Stemmelen fait face aux textes. À l’origine, au IIIe siècle, il y a la crise profonde de l’esclavage. L’empire s’est tellement étendu qu’il devient impossible de capturer de nouveaux esclaves, main-d’œuvre ordinaire des grandes propriétés agricoles, qui, elles aussi, se sont étendues sur d’immenses territoires, les latifundiums. De l’effondrement économique des villae esclavagistes va naître le système du colonat – l’établissement de « colons » dans des fermes. Le colonat n’est qu’une forme abâtardie et plus hypocrite de l’esclavage. Dès lors, les nouveaux maîtres vont trouver chez les auteurs chrétiens les justifications morales et théologiques à l’exploitation des hommes, des femmes et des enfants qui travaillent sur leurs propriétés. Car le christianisme prône depuis toujours l’obéissance et la soumission. Paul, dans l’épître aux Romains  : « Que chacun se soumette aux autorités qui sont au-dessus de nous. » Sans oublier la lettre de Pierre  : « Vous, les domestiques, soyez soumis à vos maîtres… » Éric Stemmelen l’indique  : « Le christianisme, à l’opposé de toutes les morales antiques, valorise le travail contraint, qu’il ne juge pas dégradant et incompatible avec la condition d’homme libre. »

Vers 312, à partir de l’adoption par Constantin 
du dieu chrétien, jusqu’à Théodose (379), on va assister 
à une christianisation forcée de la population. Une christianisation qui n’est pas montée de la plèbe vers les élites mais, au contraire, du haut vers le bas – ce que l’Église et ses thuriféraires se refusent encore à reconnaître. Le christianisme n’est pas une religion populaire, c’est une religion qui a été ordonnée au peuple et, avec elle, son exaltation de la souffrance, sa glorification de la résignation, son goût morbide pour le sang, sa haine du corps, sa morale sexuelle répressive, etc. D’une foi rebelle à tout pouvoir née dans une petite secte juive, le christianisme, se confondant avec l’empire, va devenir la plus grande machine de coercition jamais apparue sur terre. Comme on peut le lire dans l’évangile selon Matthieu  : « Ce sont les violents qui l’emportent. »

Jean-Emmanuel Ducoin

Rédacteur en chef de l’Humanité, éditorialiste, chroniqueur et écrivain.

(1) Jésus contre Jésus, Jésus après Jésus et Jésus sans Jésus, 
de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur (Points/Seuil). (2) Jacques, frère de Jésus, de Pierre-Antoine Bernheim (Noesis). (3) La Religion des seigneurs, d’Éric Stemmelen (Michalon).


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